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"Les Visiteurs inopportuns"

 

  Un nouvel article de Pierre CAM
 

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"Les Visiteurs inopportuns"

 

Pierre Cam (Lestamp)

 

 

 

Parlant des œuvres d’art, Nelson Goodman écrit qu’ «une représentation ou une description convient, est efficace, pénétrante, elle éclaire ou intrigue dans la mesure où l’artiste ou l’écrivain saisit des rapports nouveaux et significatifs, et imagine des moyens pour les rendre manifestes »[1]. C’est ainsi que les « grands » films de SF constituent un réservoir de situations imaginaires dont la mise en scène tend à exagérer les effets pour mieux susciter l'éveil de l'intellect et nous maintenir en alerte. Ces mises en situation - par leur généralité même - constituent des schèmes de compréhension pour des aspects souvent négligés des relations avec notre environnement social. Plantes, animaux, voitures, et autres organismes ou objets qui constituent notre quotidien, et que l’on ne voit plus à force de les voir, deviennent par l’artifice de la SF autant de réalités intrigantes voire inquiétantes. Nombre de films de Science fiction participent également à ce qu’Ulrich Beck dénomme la « scientificisation réflexive » (Ulrich Beck, La société du risque, Flammarion 2001). En particulier, les films d’anticipation invitent par une sorte de « passage à la limite » à une mise en question des technologies actuelles en montrant non seulement leur incapacité à résoudre les problèmes de l’humanité mais leur capacité à générer de nouvelles nuisances. C’est cet aspect que nous développerons dans notre intervention.

Pour montrer comment pouvait s’opérer ce travail de « scientifisation réflexive », il m’a semblé heuristique de comparer un film abordant le thème de la « contagion » à un travail de recherche portant sur les maladies nosocomiales et leur prévention. Le film - Alien - de Ridley Scott sorti en 1979 reste aujourd’hui encore une référence s’agissant des rencontres du troisième « type ». Cette fiction n’est cependant pas sans rappeler à un univers plus quotidien, celui des hôpitaux et des services d’urgence. Il y tout d’abord le lieu de l’action - un vaisseau spatial surprotégé - puis le thème développé : la contagion provenant d’un organisme extérieur qui menace la santé et la cohésion des membres de l’équipage. S’agissant de mon terrain, j’en dirai quelques mots. Durant l’année passée, j’ai été amené à enquêter auprès d’un certain nombre de centres hospitaliers s’occupant de malades atteints de la mucoviscidose. Ces patients sont plus que d’autres sujets à ce que l’on appelle les maladies nosocomiales. Un centre hospitalier est à l’image d’un vaisseau spatial, un lieu surprotégé où les risques de contagion devraient en principe être limitées du fait de l’organisation environnementale et des pratiques qui y sont développés par un personnel formé aux techniques de prévention. Cependant près de 4000 patients décèdent chaque année d'une maladie nosocomiale.

Cet écart entre des technologies visant à rendre « inviolable » un groupe social et la réalité de la contagion par un Alien venu de l’espace me semble emblématique de nos sociétés où les systèmes les plus sophistiquées ne parviennent pas à endiguer les tsunamis humanitaires.  Le film Alien aborde à sa manière un thème obsessionnel pour l'ensemble des sociétés contemporaines  : « comment les risques et les menaces qui sont systématiquement produits au cours du processus de modernisation avancé peuvent-ils être supprimés, diminués, endigués (…) et dans le cas où ils ont pris la forme d’ « effets induits latents », endigués et évacués de sorte qu’ils ne gênent plus le processus de modernisation ni ne franchissent les limites de ce qui est tolérable »  ?

 

 

Chaos et cosmos

 

Les vaisseaux comme les centres hospitaliers sont des lieux soumis à des risques de « contagion » parce qu’ils font coexister durant des périodes plus ou moins longues des individus qui ne peuvent s’extraire aisément de leur environnement : il en va ainsi pour les malades hospitalisés comme pour les marins en haute mer ou les passagers d’une navette spatiale. Ces risques sont d’autant plus grands que les organismes sont parfois affaiblis que ce soit à la suite d’une intervention chirurgicale, d’une nourriture inadaptée, d’un ensemble de privations sensorielles, etc. C’est ainsi que l’histoire maritime est une longue suite de catastrophes humanitaires liées aux épidémies et dont le mythe du vaisseau fantôme porte encore la trace. Ce risque de contagion et de destruction potentielle des membres d’une communauté constitue – si j’ose dire -  « un des fonds de commerce » de la SF.  Les systèmes de protection les plus sophistiquées nées de la raison instrumentale – l’enveloppement machinal dont parle Morin Ulman - ne sont jamais à l’abri d’une faille ou d’un phénomène incontrôlable comme l’ont montré les événements récents (je pense à la centrale de Fukushima). Le film Alien « surfe » ainsi sur les peurs ancestrales de l’homme face aux menaces extérieures qui risquent à chaque instant de précipiter son monde dans le Chaos c’est-à-dire de le replonger dans « un état fluide et amorphe » pour reprendre les mots de Mircea Eliade[2].

 

Hormis les cas d’auto-infection[3], les risques de contamination et au-delà de contagion sont le plus souvent liés au phénomène de colonisation par des organismes rencontrés dans l’environnement ou lors de contacts avec des tiers. Ces organismes peuvent être des parasites colonisant leur hôte ou des micro-organismes. Dans Alien, Ridley Scott fait le choix d’une colonisation parasitaire. Plus spectaculaire que l’infection par un micro-organisme, l’infection parasitaire a également un effet psychologique plus marqué du fait de la relation qui s’instaure entre l’hôte et son parasite. La confrontation avec un endoparasite est largement traumatisante. Pour comprendre les mécanismes de l’infection parasitaire, je prendrai l’exemple du ver de CAYOR qui est un endoparasite temporaire à l’image du monstre d’Alien. Pondue par une mouche, la larve du ver de Cayor attend de trouver un hôte. Une fois qu’elle a trouvé son hôte, elle pénètre dans le corps de sa victime pour s’y développer. La larve subit plusieurs mues durant son séjour chez l’hôte provoquant une furonculose. Après trois ou quatre jours, elle s’éjecte du corps de sa victime pour se métamorphoser en nymphe qui évoluera dans un dernier stade vers l’adulte. Le choix d’un endoparasite par le réalisateur d’Alien tient également au statut de ces organismes vivants qui marquent dans l’évolution un stade supérieur puisqu’ils utilisent les ressources mises à sa disposition par un hôte généreux. En général, un parasite ne tue pas son hôte durant la période où il s’en sert.

Dans les centres hospitaliers, les contaminations à la base des maladies nosocomiales proviennent le plus souvent de micro-organismes qui peuvent être soi des

    * Commensaux de l’homme, c'est-à-dire des germes qui ne peuvent vivre qu'au contact de notre organisme. Ces bactéries sont souvent utiles au bon fonctionnement du corps humain. Il en va ainsi de la flore bactérienne résidant dans notre tube digestif et qui intervient dans les processus de digestion. En revanche, si pour une raison ou pour une autre lors d'une intervention chirurgicale, ces germes sont déversés hors de leur environnement, ils peuvent devenir dangereux et pathogène. Le staphylocoque doré est commensal de l’appareil respiratoire. Il peut muter et ses mutations sont résistantes aux antibiotiques. Il va infecter les plaies à la suite d’une opération, provoquer des troubles respiratoires, des infections au niveau des os, au niveau des yeux, voire de méningites, etc. C’est un micro-organisme qui mute aisément et dont les mutations sont résistantes aux antibiotiques.

    * saprophytes, c'est-à-dire des germes vivant dans l'environnement de l'homme (l'eau, l'air, les plantes, …) et pouvant le coloniser dans certaines conditions. Il en va ainsi pour le bacille pyocyanique qui vit dans l’environnement humide domestique ou hospitalier et qui peut dans certains contextes coloniser les voies digestives et conduire à la mort du patient. Il faut ajouter à cette liste de micro-organismes, les différents virus (grippe, HIV, hépatites, etc.) qui sont insensibles aux antibiotiques.

 

 

La notion de danger

 

 

A quel moment intervient le « chaos » dans le film Alien et quelle en est la véritable cause ? Loin de se plier aux évidences, le spectateur ne doit pas être obnubilé par l’apparente monstruosité qui se présente à la porte du vaisseau après avoir parasité un des hommes d’équipage. De fait, la monstruosité n’est pas toujours synonyme d’un danger potentiel pour l’entourage. On en conviendra aisément en comparant les deux films où John Hurt interprète une figure monstrueuse : l’hôte d’Alien en 1979 et le patient atteint d’elephantiasis dans le film de David Lynch (1980). On a ici deux apparences renvoyant à des réalités différentes. Comme dans la légende chinoise où le sage montre la lune et l’imbécile regarde le doigt, le spectateur peu attentif se trouve détourné de l’enjeu véritable du film qui n’est pas tant le monstre lui-même que les enjeux et rapports sociaux qui se font jour autour de ce « risque » particulier. L’Alien est un danger parmi d’autres. Un danger se définit par « ce qui est incompatible avec la présence humaine », c’est-à-dire très précisément « toute propriété ou capacité intrinsèque par laquelle une chose est susceptible de causer un dommage »( directive 89/391/ de la Cce)[4]. Le danger est au sens propre un « état » de fait.

 

Pour qu’il y ait un « dommage », il faut que se produise une rencontre entre un « danger » et l’homme. Ceci résulte d’un processus dynamique qui peut être un changement d’état comme dans le cas d’une immuno-dépression ou une intervention humaine comme une pause de sonde ou une prise de sang. Pour comprendre la nature du risque et le moment auquel il intervient, il faut donc pouvoir identifier les dangers. Pour ce faire,  nous reprendrons la typologie de Mary Douglas esquissée dans son ouvrage sur « la souillure » qui, par sa généralité, peut s’appliquer aussi bien à des lieux qu’à des organismes vivants ou à des systèmes de castes.

 

 

Mary Douglas distingue :

 

1.    Le danger qui rôde aux frontières extérieures et fait pression sur elles ;

2.    Le danger que l’on encourt en franchissant les divisions internes du système ;

3.    Le danger qui se situe en marge de ces lignes intérieures ;

4.    Le danger qui provient des contradictions internes.

 

 

Les risques de contamination peuvent être liés à l’environnement, aux contacts entre personnes, ou à des modifications dans l’état des personnes. Il est habituel de distinguer les transmissions directes et les transmissions indirectes. Les transmissions directes peuvent se faire lors de contact ou par projection de germes contenus dans des gouttelettes lors d’expectoration.  Les transmissions indirectes ou transmissions croisées proviennent des matériels, surfaces ou linges souillées par contact. Pour pouvoir lutter contre ces transmissions directes ou indirectes, il faut mettre en place des protections collectives ou individuelles, mais également contrôler les différentes relations internes au système de prévention et surtout éviter les contradictions. Parmi les protections collectives, on trouve les sas, les systèmes de fermeture automatique des portes, les vignettes ou affiches signalant la dangerosité d’un lieu. Parmi les protections individuelles, il y a les gants stériles ou non stériles, les surblouses, les masques et éventuellement les lunettes. Un spectateur attentif notera que tous ces éléments de protection existent dans le film Alien. La mise en œuvre de ces systèmes de protection est soumise à un ensemble de procédures plus ou moins formalisées qui sont laissées à l’initiative des différents responsables.

 

Toutes les sociétés connaissent à un niveau ou à un autre ces formes de protection contre des contacts pouvant être la source d’une « pollution sociale ». Il existe ainsi au niveau individuel des amulettes, des parures magiques, des armures, etc. et au niveau collectif des défenses: talisman, délimitations magiques, fossés, palissades, etc. Ces protections obéissent également à des procédures rituelles qui déterminent le moment et le lieu, et les circonstances où elles doivent être mises en place. Toutes les sociétés connaissent également à un niveau ou à un autre des enjeux de pouvoir et des contradictions qui peuvent rendre ces protections inopérantes. Il me semble que c’est de cela dont parle Alien et que le monstre n’est ici que la toile de fonds pour aborder les problèmes de cohésion au sein de nos sociétés.

 

 

Frontières extérieures et controverses sociales

 

La protection contre les risques extérieurs est le plus souvent collective mais elle peut dans certains cas revêtir des formes individuelles. De fait, un centre hospitalier comme un vaisseau spatial doit pouvoir contrôler les personnes qui entrent dans leur espace et évaluer les risques qu’elles peuvent éventuellement présenter. « Passer une porte est un acte banal, mais il peut signifier tant de façons d’entrer » écrit Mary Douglas. Tout le problème de la protection d’un seuil réside dans la manière dont les individus s’y présentent.

Dans le film Alien, l’entrée du vaisseau spatial « Nostromo » est contrôlée par un sas d’admission qui permet également des procédures de décontamination, et en cas de danger d’éjecter l’intrus. Mais ce sas d’admission ne joue pleinement son rôle que si chacun se plie aux procédures qui limitent l’entrée aux seules personnes qualifiées à franchir le seuil.

Dans le film Alien, les hommes d’équipage qui sont descendus à terre avec le commandant de bord – Dallas - se présentent à leur retour dans le sas de décontamination. L’un d’eux – joué par John Hurt - est affecté par un parasite qui s’est greffé sur son visage. Une controverse naît sur la procédure à suivre. Le commandant de bord sorti avec l’équipage ordonne à l’officier en second  « Ripley » - qui est resté à bord - d’ouvrir le sas. Il plaide pour emmener le pilote blessé à l’infirmerie en faisant jouer l’urgence et la nécessité du secours[5]. L’officier en second, Ripley refuse en se réfugiant derrière la procédure et en évoquant le principe de précaution face à un danger potentiel. On comprendra aisément que l’on est devant un dilemme qui ne peut être tranché que par un intervenant extérieur. C’est le phénomène bien connu du nœud gordien. La situation est d’autant plus inextricable que le commandant de bord est un homme et que le second officier est une femme, et que tout passage en force pourrait être assimilé à une forme de discrimination.  C’est Ash, un scientifique attaché au vaisseau qui finit par ouvrir le sas en arguant du pouvoir que lui confère sa responsabilité dans ce domaine. On ajoutera que la querelle peut sembler d’autant plus vaine que le vaisseau est doté de protections individuelles et collectives qui permettent en cas de danger des mesures de confinement.

Au niveau des hôpitaux où les va et vient entre l’intérieur et l’extérieur sont nombreux et concernent aussi bien des patients « potentiellement dangereux » que de simples visiteurs, les systèmes de contrôle se démultiplient également afin de faire face à toutes les éventualités. Cette démultiplication des protections est d’autant plus nécessaire qu’à la différence d’un vaisseau spatial, les hôpitaux en tant que service public ne peuvent refuser de soigner les patients. Il existe au sein des services comme à l’extérieur des services ce que l’on peut appeler des mesures d’isolement géographiques. A l’intérieur des services, il s’agira de chambres dotées de sas d’admission.

Au niveau des frontières avec l’extérieur, on peut également organiser des systèmes de protection collectifs par la mise en place de lieux réservés à des patients présentant certaines infections. Il en va ainsi pour les salles de « consultation hospitalière » et leurs salles d’attente. Mais, cette protection ne peut jamais être garantie totalement. Pour pouvoir orienter les patients vers les espaces qui leur sont réservés, il faut évidemment connaître leur niveau de dangerosité potentiel. Ce qui n’est pas toujours le cas.

On en arrive à des situations paradoxales comme l’illustre assez bien certaines salles d’attente des consultations hospitalières. C’est d’ailleurs un très beau terrain d’études sociologique pour comprendre le compromis entre impératifs de prévention et conventions sociales. Dotés le plus souvent de magazines, de jouets pour enfants, de machines à café ou de fontaine à eau, elles sont munies aussi d’affichettes rappelant qu’il faut « éviter de toucher les objets mis à disposition », « de se serrer la main », « et de maintenir avec un autre patient une distance d’au moins un mètre ». Pour éviter tout risque de contamination, il faudrait de fait supprimer les salles d’attente et imposer au minimum aux patients le port d’un masque et une friction des mains avec du PHA. Outre les problèmes de coût budgétaire, d’organisation des consultations, ces mesures conduiraient à traiter chaque patient comme s’il était porteur de germes multi-résistants. On comprend aisément les effets dévastateurs qu’aurait une telle mesure sur des patients sujets à l’anxiété. Notre enquête auprès des différents centres montre qu’il y a là un sujet de controverse entre les professionnels de la prévention d’autant plus important qu’il n’existe que peu d’études cliniques concernant la « consultation hospitalière». Faute d’un accord global sur les procédures en matière de consultation, chaque centre adapte son organisation des consultations en convoquant par exemple les patients à risque en fin de consultation ou un jour spécifique.

 

 

Pollution sociale et divisions internes

 

 

Les sociétés modernes ne sont pas totalement défaites des systèmes de caste et des pouvoirs qui y sont liés. Comme dans le système des castes, les rapports avec les malades sont organisés de manière à éviter toute pollution sociale en introduisant une discontinuité entre leur espace et le nôtre. Cette coupure entre le monde des bien portants et celui des mal portants est autant une césure réelle due à l’état du malade que symbolique :  symbolique car elle se manifeste par un grand nombre de signes comme le port des vêtements adaptés, une signalisation sur les portes ou les différents bons, des procédures d’évitement, etc. L’état de malade doit se manifester d’autant plus clairement à l’extérieur par un système de signes que les symptômes en sont invisibles.

Cette frontière symbolique qui sépare le malade du bien portant est toujours manipulable dans un sens ou dans un autre, et elle est à la source de nombreuses stratégies. Il en va ainsi dans le film Alien. Une fois admis dans le vaisseau, l’officier Kane est maintenu à l’isolement dans une salle d’infirmerie conçu à cet effet. L’état de malade de l’officier Kane se signale non seulement par la présence de la créature qui a parasité son visage mais également par les surblouses,  gants et masques utilisés par ceux qui l’approchent. Mais très vite, son état évolue. Lors de la mue du parasite, la larve qui constitue le premier stade se détache du corps et forme un résidu inerte. Le mal visible devient un mal invisible et lance la seconde controverse du film. Les signes d’une contamination possible ayant disparu,  faut-il ou non réinsérer Kane au sein de l’équipage? Alors que la première controverse avait opposé les détenteurs des différents pouvoir, la deuxième controverse oppose les officiers de bord au personnel d’entretien. Ces derniers qui n’ont cessé depuis le début du film de récriminer contre les officiers et de se plaindre de leurs conditions de travail sont partisans de laisser en quarantaine l’officier Kane voire de le réfrigérer. L’attitude des officiers est plus flottante. Pour trancher le débat, le metteur en scène utilise plusieurs artifices.

Une première habilité du scénario consiste tout en escamotant la créature à faire disparaître également tous les signes qui signent le statut de la maladie : les gants, masques et autres accessoires disparaissent désormais de l’écran. L’officier Kane reprend ainsi une apparence normale.   

Une seconde habilité du scénario réside dans l’invitation qui est faite à chacun de vérifier cette normalité apparente. Le responsable scientifique qui ne dit rien sur l’état réel du malade convie les hommes d’équipage à décider par eux-mêmes : « Vous devriez venir voir …  », et implique dans le même mouvement le spectateur.

Une dernière habilité du scénario consiste à réinscrire l’officier « contaminé » dans la condition humaine par le biais d’une pulsion organique – la faim – comme si le retour à l’appétit de vie manifestée par ce besoin primaire signifiait de manière définitive l’abandon de la maladie.

Parmi les attributs reliés au statut de « malade », l’exclusion du repas en commun en est une une manifestation tangible. Dans les centres hospitaliers, les repas pris dans les chambres signent le statut du patient et sa dangerosité éventuelle, et ce à un même degré que le port de la surblouse ou des gants par le personnel soignant.

 

S’agissant des problèmes de contamination, la part d’interprétation et de négociation n’est pas absente non plus dans les centres hospitaliers enquêtés. Même si la frontière entre personne contaminée et personne saine reste une dimension fondamentale, elle n’est pas toujours facile à déterminer. Tout dépend en définitive du terrain. Certains germes n’auront aucun impact sur la plupart des individus mais présenteront pour des personnes atteintes de certaines pathologies un risque mortel. Dans ce cadre, le simple visiteur peut présenter un risque. Mais ce risque reste extrêmement difficile à évaluer. Ce que les hygiénistes maîtrisent le mieux en définitive c’est le danger potentiel lié aux patients traités.

 A partir des années 1990, le risque nosocomial a amené les hygiénistes à distinguer les patients selon quatre classes biologiques qui manifestent le degré possible de contagion. Comme dans les systèmes de caste, une graduation dans les précautions à prendre en cas de contact a été mise à l’œuvre sous forme de recommandation. Les patients porteurs de micro-organismes de classe 4 qui présentent le plus de risques pour leur entourage ne peuvent être approchés qu’en usant de protections maxima. Ils sont placés en quasi-isolement dans des chambres individuelles aux portes fermées et signalisation de leur état. L’accès aux parties communes de détente et de sociabilité - hall, cafétéria, kiosque à journaux, salles de jeux) – leur est interdit. En principe, une équipe de soignants leur est réservée. Au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la classe 4, les précautions de contact deviennent moins contraignantes. Ainsi l’accès aux parties communes sera rendu possible pour les patients de classe 1 ou 2 à conditions qu’ils portent un masque. Cependant, comme dans le film Alien, des marges de manœuvre existent qui permettent une certaine « manipulation de classes de risque». Dans l’enquête menée auprès des CRCM, on constate que les limites entre les quatre classes disparaissent le plus souvent au profit de regroupements le plus souvent en deux catégories parfois en une seule.  On regroupera par exemple les classes extrêmes : classe 1 et 2, et classe 3 et 4, ou on appliquera à tous les patients les mesures de précaution de la classe 4.

Cette variation dans les pratiques s’explique autant pour des raisons budgétaires que pour des raisons « idéologiques ». Les différentes mesures pour prévenir les contacts ont un coût important lié à l’individualisation de tous les matériaux (stéthoscope, thermomètre, oxymètre, tensiomètre, etc.) mais également à la mise en place ou à l’existence de locaux adaptés : chambres avec toilettes et douches individuelles. Mais, plus fondamentalement, des clivages existent au sein des soignants sur l’étendue de ces mesures. C’est ainsi que l’existence d’équipes distinctes pour les patients de classe 4 - outre le coût budgétaire - suscite une forte opposition chez le personnel soignant qui refuse que les risques ne soient pas partagés au sein des équipes. Par ailleurs, beaucoup de ces mesures ne s’appuient pas sur des preuves scientifiques mais des recommandations d’expert qui sont laissés très largement à la libre interprétation des équipes comme le déplacement au sein de l’établissement :

« D’une manière générale, les déplacements doivent être évités malgré les conséquences psychologiques…Le risque est à apprécier selon la capacité du patient à ne pas tousser ou cracher, selon son âge, son hygiène personnelle, et son adhésion aux précautions d’hygiène » (extrait d’un manuel d’hygiène).

 

 

Contradictions internes et marges du système

 

 

Un vaisseau spatial comme un centre hospitalier est un cosmos organisé autour de lieux supports de fonctions sociales. Ces espaces sont le plus souvent hiérarchisés et impliquent des niveaux de protection différents.  Ainsi dans un vaisseau spatial affecté aux transports de minerai, ce sera le poste de commandement et la salle des machines qui constitueront les domaines soumis à une surveillance de tous les instants puisque directement liés à la mission de transport. Dans un hôpital, ce sont les lieux affectés aux soins et au séjour des patients qui constitueront la cible privilégiée des mesures de protection.  Par opposition à ces espaces supports de responsabilités, les coursives et les couloirs qui assurent les liaisons au sein d’un vaisseau ou d’un centre hospitalier constituent des points extrêmement vulnérables. Le patient ou le visiteur qui se déplace dans un établissement échappe peu ou prou à tout contrôle. Si l’on recommande aux patients de porter un masque et d’éviter les contacts directs lors de ses déplacements, il n’existe aucun moyen de contrôler le plus souvent la réalité des pratiques. Les gaines d’aération et les conduites d’eau présentent également des risques. Ce n’est pas un hasard si dans le film Alien, le monstre se réfugie dans les gaines d’aération pour mener ses attaques contre les membres du vaisseau et les exterminer. On peut y voir une référence à la maladie du légionnaire qui décima en 1976 à Philadelphie 29 membre de l’American Legion.

 

Cette vulnérabilité liée aux lieux de passage s’étend non seulement aux personnes qui y transitent mais également aux différentes matières transportées. A côté des transmissions directes et par contact, les risques de contamination proviennent le plus souvent des surfaces souillées. Tout ce qui entre ou sort de la chambre d’un patient devient potentiellement source de danger. Les dossiers, les télécommandes de télévision, les claviers d’ordinateur doivent être placés sous film plastique. Les plantes ou les fleurs sont ainsi interdites dans les chambres des patients. Les objets les plus inoffensifs deviennent ainsi sous le regard de l’hygiéniste comme pour le metteur en scène de SF des « tueurs » potentiels.

 

Ces craintes face à des contagions non contrôlables conduisent parfois les praticiens à se replier sur un hygiénisme forcé s’agissant des patients atteints de certaines infections. Il en va ainsi pour les malades souffrant de la mucoviscidose. Jusque dans les années 1990, l’objectif concernant ces patients était autant que faire ce peut de leur permettre d’avoir une vie sociale la plus normale possible. Au cours de ces dernières années, la tendance s’est inversée avec la prise en compte des contaminations possibles à partir de l’environnement ou des contacts avec des tiers. Les mesures de prévention débordent désormais les périodes d’hospitalisation pour se reporter vers tous les lieux de vie et leurs confins : loisirs, école, déplacements, camps de vacances, etc. Port d’un masque dans certaines circonstances, friction des mains régulière avec du PHA, mise à l’écart dans certains environnements, etc., tout cela contribue d’une certaine manière à faire aujourd’hui de ces patients des exilés de l’intérieur. 

 

Frontières externes, frontières internes, lieux de transit et marges forment pour l’homme moderne comme pour le primitif des lieux où les rituels et les grigris de toutes sortes ne suffisent jamais à produire un risque zéro. Mais plus fondamentalement, le film Alien montre que le principal danger qui guette nos sociétés se situe dans les contradictions au sein de notre système entre les impératifs liés à la protection des populations et  les logiques économiques d’un système mondialisé. Dans le film Alien, le responsable scientifique du vaisseau pêche par omission en ne précisant pas les risques liés au processus parasitaire ouvrant ainsi la voie à la contagion. A la solde de l’entreprise commerciale qui a affrété le vaisseau, ce responsable a reçu l’ordre de ramener la créature quel qu’en soit le prix à payer. Par candeur ou par humanisme, Ridley Scott n’a pas voulu que ce scientifique responsable de la mort de ses compagnons soit un être humain de chair et de sang, mais un simple robot.

Cette collusion entre responsables politiques, experts scientifiques et logiques financières n’occupait pas encore le devant de la scène politique au moment de la réalisation du film. Il faudra attendre les années quatre-vingt pour voir éclater un certain nombre d’affaires touchant à la santé publique. Le scandale du sang contaminé, celui de la vache folle, de l’amiante et aujourd’hui du médiator ont en effet montré que le souci de protéger la population pouvait s’effacer derrière les intérêts économiques.

Dans le domaine de la prévention des risques nosocomiaux, la contradiction entre santé de la population et intérêts privés est moins visible mais elle existe néanmoins. Les restrictions budgétaires concernant les centres hospitaliers liées à un politique qui vise aujourd’hui à réduire le poids des financements publics n’est pas sans conséquence. L’optimum en matière de prévention des maladies nosocomiales est rarement atteint faute de locaux adoptés, d’un personnel soignant suffisant et de moyens financiers permettant l’utilisation de tous les dispositifs assurant une protection. C’est ainsi que dans beaucoup de centres visités, les mesures collectives - SAS, salles de soin réservées aux porteurs de GMR, toilettes individuelles, équipes de soignants spécialisés, etc. – n’existent pas ou trop peu faute de moyens. On assiste du même coup à une individualisation des mesures de prévention et à un report de certains coûts ou mesures sur le patient et sa famille, et à débordement vers l’espace privé de la prévention. Les risques d’épidémie récentes ont montré comment l’Autre pouvait se transformer en Alien. Le port de masque, l’utilisation de gants ou de produits comme les PHA est un débouché important pour les entreprises oeuvrant dans la prévention.

 

Pour conclure, il me semble que le film de Ridley Scot est prémonitoire de cette société des risques qui marquent une césure entre société industrielle et société post-industrielle. « A la différence de toutes les époques qui l’ont précédée, la société du risque se caractérise avant tout par un manque : l’impossibilité d’imputer les situations de menaces à des causes externes. Contrairement à toutes les cultures et les phases d’évolution antérieures, la société est aujourd’hui confrontée à elle-même. » (Ulrich Beck, op.cit.). C’est ainsi que l’utilisation intensive des antibiotiques a conduit à produire des germes multi-résistants qui forment aujourd’hui l’une des sources de risque concernant les maladies nosocomiales. Notre système de prévention peut ainsi générer à terme ses propres contradictions et produire ces propres monstres.

 

L’avènement de cette société post-industrielle n’implique pas seulement une modification des risques mais aussi un tournant dans l’exercice de la démocratie.  Alors que dans les sociétés traditionnelles, les accidents et pathologie sont le plus souvent liées à des situations particulières et à des causes manifestes (transport, poste de travail, causes naturelles, etc.) qui peuvent faire l’objet d’un diagnostic partagé, dans les sociétés post-industriels, les pathologies et accidents :

 

o   Ils sont liés à des risques invisibles;

o   Ils sont globaux et concernent aussi bien une entreprise et ses salariés, que l’environnement proche ou lointain et les non-salariés;

o   Ils sont causés par des substances physico-chimiques ou des modifications de   l’environnement liées à l’intervention de l’homme;

 

Comme dans le film Alien, face à ces risques invisibles et globaux, le citoyen ne peut plus débattre simplement de leur dangerosité et tenter d’y remédier par la mise en place de mesures adaptées. L’analyse causale de ces nouveaux risques relèvent exclusivement de l’expertise scientifique. Or, comment éviter les dérives liées aux collusions entre le monde industriel et celui de l’expertise scientifique ?  Comment maintenir un débat citoyen et éviter que les scientocrates ne confisquent définitivement les lambeaux de nos démocraties ? La plupart des films de SF apporte une réponse négative à cette question et montrent des sociétés dominées par des oligarchies n’ayant cesse d’accroître leur pouvoir sur cette planète et au-delà. Il faut simplement souhaiter que la fiction d’aujourd’hui ne soit pas la réalité de demain.

"Les Visiteurs inopportuns"

 

Pierre Cam (Lestamp)

 

 

 

Parlant des œuvres d’art, Nelson Goodman écrit qu’ «une représentation ou une description convient, est efficace, pénétrante, elle éclaire ou intrigue dans la mesure où l’artiste ou l’écrivain saisit des rapports nouveaux et significatifs, et imagine des moyens pour les rendre manifestes »[6]. C’est ainsi que les « grands » films de SF constituent un réservoir de situations imaginaires dont la mise en scène tend à exagérer les effets pour mieux susciter l'éveil de l'intellect et nous maintenir en alerte. Ces mises en situation - par leur généralité même - constituent des schèmes de compréhension pour des aspects souvent négligés des relations avec notre environnement social. Plantes, animaux, voitures, et autres organismes ou objets qui constituent notre quotidien, et que l’on ne voit plus à force de les voir, deviennent par l’artifice de la SF autant de réalités intrigantes voire inquiétantes. Nombre de films de Science fiction participent également à ce qu’Ulrich Beck dénomme la « scientificisation réflexive » (Ulrich Beck, La société du risque, Flammarion 2001). En particulier, les films d’anticipation invitent par une sorte de « passage à la limite » à une mise en question des technologies actuelles en montrant non seulement leur incapacité à résoudre les problèmes de l’humanité mais leur capacité à générer de nouvelles nuisances. C’est cet aspect que nous développerons dans notre intervention.

Pour montrer comment pouvait s’opérer ce travail de « scientifisation réflexive », il m’a semblé heuristique de comparer un film abordant le thème de la « contagion » à un travail de recherche portant sur les maladies nosocomiales et leur prévention. Le film - Alien - de Ridley Scott sorti en 1979 reste aujourd’hui encore une référence s’agissant des rencontres du troisième « type ». Cette fiction n’est cependant pas sans rappeler à un univers plus quotidien, celui des hôpitaux et des services d’urgence. Il y tout d’abord le lieu de l’action - un vaisseau spatial surprotégé - puis le thème développé : la contagion provenant d’un organisme extérieur qui menace la santé et la cohésion des membres de l’équipage. S’agissant de mon terrain, j’en dirai quelques mots. Durant l’année passée, j’ai été amené à enquêter auprès d’un certain nombre de centres hospitaliers s’occupant de malades atteints de la mucoviscidose. Ces patients sont plus que d’autres sujets à ce que l’on appelle les maladies nosocomiales. Un centre hospitalier est à l’image d’un vaisseau spatial, un lieu surprotégé où les risques de contagion devraient en principe être limitées du fait de l’organisation environnementale et des pratiques qui y sont développés par un personnel formé aux techniques de prévention. Cependant près de 4000 patients décèdent chaque année d'une maladie nosocomiale.

Cet écart entre des technologies visant à rendre « inviolable » un groupe social et la réalité de la contagion par un Alien venu de l’espace me semble emblématique de nos sociétés où les systèmes les plus sophistiquées ne parviennent pas à endiguer les tsunamis humanitaires.  Le film Alien aborde à sa manière un thème obsessionnel pour l'ensemble des sociétés contemporaines  : « comment les risques et les menaces qui sont systématiquement produits au cours du processus de modernisation avancé peuvent-ils être supprimés, diminués, endigués (…) et dans le cas où ils ont pris la forme d’ « effets induits latents », endigués et évacués de sorte qu’ils ne gênent plus le processus de modernisation ni ne franchissent les limites de ce qui est tolérable »  ?

 

 

Chaos et cosmos

 

Les vaisseaux comme les centres hospitaliers sont des lieux soumis à des risques de « contagion » parce qu’ils font coexister durant des périodes plus ou moins longues des individus qui ne peuvent s’extraire aisément de leur environnement : il en va ainsi pour les malades hospitalisés comme pour les marins en haute mer ou les passagers d’une navette spatiale. Ces risques sont d’autant plus grands que les organismes sont parfois affaiblis que ce soit à la suite d’une intervention chirurgicale, d’une nourriture inadaptée, d’un ensemble de privations sensorielles, etc. C’est ainsi que l’histoire maritime est une longue suite de catastrophes humanitaires liées aux épidémies et dont le mythe du vaisseau fantôme porte encore la trace. Ce risque de contagion et de destruction potentielle des membres d’une communauté constitue – si j’ose dire -  « un des fonds de commerce » de la SF.  Les systèmes de protection les plus sophistiquées nées de la raison instrumentale – l’enveloppement machinal dont parle Morin Ulman - ne sont jamais à l’abri d’une faille ou d’un phénomène incontrôlable comme l’ont montré les événements récents (je pense à la centrale de Fukushima). Le film Alien « surfe » ainsi sur les peurs ancestrales de l’homme face aux menaces extérieures qui risquent à chaque instant de précipiter son monde dans le Chaos c’est-à-dire de le replonger dans « un état fluide et amorphe » pour reprendre les mots de Mircea Eliade[7].

 

Hormis les cas d’auto-infection[8], les risques de contamination et au-delà de contagion sont le plus souvent liés au phénomène de colonisation par des organismes rencontrés dans l’environnement ou lors de contacts avec des tiers. Ces organismes peuvent être des parasites colonisant leur hôte ou des micro-organismes. Dans Alien, Ridley Scott fait le choix d’une colonisation parasitaire. Plus spectaculaire que l’infection par un micro-organisme, l’infection parasitaire a également un effet psychologique plus marqué du fait de la relation qui s’instaure entre l’hôte et son parasite. La confrontation avec un endoparasite est largement traumatisante. Pour comprendre les mécanismes de l’infection parasitaire, je prendrai l’exemple du ver de CAYOR qui est un endoparasite temporaire à l’image du monstre d’Alien. Pondue par une mouche, la larve du ver de Cayor attend de trouver un hôte. Une fois qu’elle a trouvé son hôte, elle pénètre dans le corps de sa victime pour s’y développer. La larve subit plusieurs mues durant son séjour chez l’hôte provoquant une furonculose. Après trois ou quatre jours, elle s’éjecte du corps de sa victime pour se métamorphoser en nymphe qui évoluera dans un dernier stade vers l’adulte. Le choix d’un endoparasite par le réalisateur d’Alien tient également au statut de ces organismes vivants qui marquent dans l’évolution un stade supérieur puisqu’ils utilisent les ressources mises à sa disposition par un hôte généreux. En général, un parasite ne tue pas son hôte durant la période où il s’en sert.

Dans les centres hospitaliers, les contaminations à la base des maladies nosocomiales proviennent le plus souvent de micro-organismes qui peuvent être soi des

    * Commensaux de l’homme, c'est-à-dire des germes qui ne peuvent vivre qu'au contact de notre organisme. Ces bactéries sont souvent utiles au bon fonctionnement du corps humain. Il en va ainsi de la flore bactérienne résidant dans notre tube digestif et qui intervient dans les processus de digestion. En revanche, si pour une raison ou pour une autre lors d'une intervention chirurgicale, ces germes sont déversés hors de leur environnement, ils peuvent devenir dangereux et pathogène. Le staphylocoque doré est commensal de l’appareil respiratoire. Il peut muter et ses mutations sont résistantes aux antibiotiques. Il va infecter les plaies à la suite d’une opération, provoquer des troubles respiratoires, des infections au niveau des os, au niveau des yeux, voire de méningites, etc. C’est un micro-organisme qui mute aisément et dont les mutations sont résistantes aux antibiotiques.

    * saprophytes, c'est-à-dire des germes vivant dans l'environnement de l'homme (l'eau, l'air, les plantes, …) et pouvant le coloniser dans certaines conditions. Il en va ainsi pour le bacille pyocyanique qui vit dans l’environnement humide domestique ou hospitalier et qui peut dans certains contextes coloniser les voies digestives et conduire à la mort du patient. Il faut ajouter à cette liste de micro-organismes, les différents virus (grippe, HIV, hépatites, etc.) qui sont insensibles aux antibiotiques.

 

 

La notion de danger

 

 

A quel moment intervient le « chaos » dans le film Alien et quelle en est la véritable cause ? Loin de se plier aux évidences, le spectateur ne doit pas être obnubilé par l’apparente monstruosité qui se présente à la porte du vaisseau après avoir parasité un des hommes d’équipage. De fait, la monstruosité n’est pas toujours synonyme d’un danger potentiel pour l’entourage. On en conviendra aisément en comparant les deux films où John Hurt interprète une figure monstrueuse : l’hôte d’Alien en 1979 et le patient atteint d’elephantiasis dans le film de David Lynch (1980). On a ici deux apparences renvoyant à des réalités différentes. Comme dans la légende chinoise où le sage montre la lune et l’imbécile regarde le doigt, le spectateur peu attentif se trouve détourné de l’enjeu véritable du film qui n’est pas tant le monstre lui-même que les enjeux et rapports sociaux qui se font jour autour de ce « risque » particulier. L’Alien est un danger parmi d’autres. Un danger se définit par « ce qui est incompatible avec la présence humaine », c’est-à-dire très précisément « toute propriété ou capacité intrinsèque par laquelle une chose est susceptible de causer un dommage »( directive 89/391/ de la Cce)[9]. Le danger est au sens propre un « état » de fait.

 

Pour qu’il y ait un « dommage », il faut que se produise une rencontre entre un « danger » et l’homme. Ceci résulte d’un processus dynamique qui peut être un changement d’état comme dans le cas d’une immuno-dépression ou une intervention humaine comme une pause de sonde ou une prise de sang. Pour comprendre la nature du risque et le moment auquel il intervient, il faut donc pouvoir identifier les dangers. Pour ce faire,  nous reprendrons la typologie de Mary Douglas esquissée dans son ouvrage sur « la souillure » qui, par sa généralité, peut s’appliquer aussi bien à des lieux qu’à des organismes vivants ou à des systèmes de castes.

 

 

Mary Douglas distingue :

 

5.    Le danger qui rôde aux frontières extérieures et fait pression sur elles ;

6.    Le danger que l’on encourt en franchissant les divisions internes du système ;

7.    Le danger qui se situe en marge de ces lignes intérieures ;

8.    Le danger qui provient des contradictions internes.

 

 

Les risques de contamination peuvent être liés à l’environnement, aux contacts entre personnes, ou à des modifications dans l’état des personnes. Il est habituel de distinguer les transmissions directes et les transmissions indirectes. Les transmissions directes peuvent se faire lors de contact ou par projection de germes contenus dans des gouttelettes lors d’expectoration.  Les transmissions indirectes ou transmissions croisées proviennent des matériels, surfaces ou linges souillées par contact. Pour pouvoir lutter contre ces transmissions directes ou indirectes, il faut mettre en place des protections collectives ou individuelles, mais également contrôler les différentes relations internes au système de prévention et surtout éviter les contradictions. Parmi les protections collectives, on trouve les sas, les systèmes de fermeture automatique des portes, les vignettes ou affiches signalant la dangerosité d’un lieu. Parmi les protections individuelles, il y a les gants stériles ou non stériles, les surblouses, les masques et éventuellement les lunettes. Un spectateur attentif notera que tous ces éléments de protection existent dans le film Alien. La mise en œuvre de ces systèmes de protection est soumise à un ensemble de procédures plus ou moins formalisées qui sont laissées à l’initiative des différents responsables.

 

Toutes les sociétés connaissent à un niveau ou à un autre ces formes de protection contre des contacts pouvant être la source d’une « pollution sociale ». Il existe ainsi au niveau individuel des amulettes, des parures magiques, des armures, etc. et au niveau collectif des défenses: talisman, délimitations magiques, fossés, palissades, etc. Ces protections obéissent également à des procédures rituelles qui déterminent le moment et le lieu, et les circonstances où elles doivent être mises en place. Toutes les sociétés connaissent également à un niveau ou à un autre des enjeux de pouvoir et des contradictions qui peuvent rendre ces protections inopérantes. Il me semble que c’est de cela dont parle Alien et que le monstre n’est ici que la toile de fonds pour aborder les problèmes de cohésion au sein de nos sociétés.

 

 

Frontières extérieures et controverses sociales

 

La protection contre les risques extérieurs est le plus souvent collective mais elle peut dans certains cas revêtir des formes individuelles. De fait, un centre hospitalier comme un vaisseau spatial doit pouvoir contrôler les personnes qui entrent dans leur espace et évaluer les risques qu’elles peuvent éventuellement présenter. « Passer une porte est un acte banal, mais il peut signifier tant de façons d’entrer » écrit Mary Douglas. Tout le problème de la protection d’un seuil réside dans la manière dont les individus s’y présentent.

Dans le film Alien, l’entrée du vaisseau spatial « Nostromo » est contrôlée par un sas d’admission qui permet également des procédures de décontamination, et en cas de danger d’éjecter l’intrus. Mais ce sas d’admission ne joue pleinement son rôle que si chacun se plie aux procédures qui limitent l’entrée aux seules personnes qualifiées à franchir le seuil.

Dans le film Alien, les hommes d’équipage qui sont descendus à terre avec le commandant de bord – Dallas - se présentent à leur retour dans le sas de décontamination. L’un d’eux – joué par John Hurt - est affecté par un parasite qui s’est greffé sur son visage. Une controverse naît sur la procédure à suivre. Le commandant de bord sorti avec l’équipage ordonne à l’officier en second  « Ripley » - qui est resté à bord - d’ouvrir le sas. Il plaide pour emmener le pilote blessé à l’infirmerie en faisant jouer l’urgence et la nécessité du secours[10]. L’officier en second, Ripley refuse en se réfugiant derrière la procédure et en évoquant le principe de précaution face à un danger potentiel. On comprendra aisément que l’on est devant un dilemme qui ne peut être tranché que par un intervenant extérieur. C’est le phénomène bien connu du nœud gordien. La situation est d’autant plus inextricable que le commandant de bord est un homme et que le second officier est une femme, et que tout passage en force pourrait être assimilé à une forme de discrimination.  C’est Ash, un scientifique attaché au vaisseau qui finit par ouvrir le sas en arguant du pouvoir que lui confère sa responsabilité dans ce domaine. On ajoutera que la querelle peut sembler d’autant plus vaine que le vaisseau est doté de protections individuelles et collectives qui permettent en cas de danger des mesures de confinement.

Au niveau des hôpitaux où les va et vient entre l’intérieur et l’extérieur sont nombreux et concernent aussi bien des patients « potentiellement dangereux » que de simples visiteurs, les systèmes de contrôle se démultiplient également afin de faire face à toutes les éventualités. Cette démultiplication des protections est d’autant plus nécessaire qu’à la différence d’un vaisseau spatial, les hôpitaux en tant que service public ne peuvent refuser de soigner les patients. Il existe au sein des services comme à l’extérieur des services ce que l’on peut appeler des mesures d’isolement géographiques. A l’intérieur des services, il s’agira de chambres dotées de sas d’admission.

Au niveau des frontières avec l’extérieur, on peut également organiser des systèmes de protection collectifs par la mise en place de lieux réservés à des patients présentant certaines infections. Il en va ainsi pour les salles de « consultation hospitalière » et leurs salles d’attente. Mais, cette protection ne peut jamais être garantie totalement. Pour pouvoir orienter les patients vers les espaces qui leur sont réservés, il faut évidemment connaître leur niveau de dangerosité potentiel. Ce qui n’est pas toujours le cas.

On en arrive à des situations paradoxales comme l’illustre assez bien certaines salles d’attente des consultations hospitalières. C’est d’ailleurs un très beau terrain d’études sociologique pour comprendre le compromis entre impératifs de prévention et conventions sociales. Dotés le plus souvent de magazines, de jouets pour enfants, de machines à café ou de fontaine à eau, elles sont munies aussi d’affichettes rappelant qu’il faut « éviter de toucher les objets mis à disposition », « de se serrer la main », « et de maintenir avec un autre patient une distance d’au moins un mètre ». Pour éviter tout risque de contamination, il faudrait de fait supprimer les salles d’attente et imposer au minimum aux patients le port d’un masque et une friction des mains avec du PHA. Outre les problèmes de coût budgétaire, d’organisation des consultations, ces mesures conduiraient à traiter chaque patient comme s’il était porteur de germes multi-résistants. On comprend aisément les effets dévastateurs qu’aurait une telle mesure sur des patients sujets à l’anxiété. Notre enquête auprès des différents centres montre qu’il y a là un sujet de controverse entre les professionnels de la prévention d’autant plus important qu’il n’existe que peu d’études cliniques concernant la « consultation hospitalière». Faute d’un accord global sur les procédures en matière de consultation, chaque centre adapte son organisation des consultations en convoquant par exemple les patients à risque en fin de consultation ou un jour spécifique.

 

 

Pollution sociale et divisions internes

 

 

Les sociétés modernes ne sont pas totalement défaites des systèmes de caste et des pouvoirs qui y sont liés. Comme dans le système des castes, les rapports avec les malades sont organisés de manière à éviter toute pollution sociale en introduisant une discontinuité entre leur espace et le nôtre. Cette coupure entre le monde des bien portants et celui des mal portants est autant une césure réelle due à l’état du malade que symbolique :  symbolique car elle se manifeste par un grand nombre de signes comme le port des vêtements adaptés, une signalisation sur les portes ou les différents bons, des procédures d’évitement, etc. L’état de malade doit se manifester d’autant plus clairement à l’extérieur par un système de signes que les symptômes en sont invisibles.

Cette frontière symbolique qui sépare le malade du bien portant est toujours manipulable dans un sens ou dans un autre, et elle est à la source de nombreuses stratégies. Il en va ainsi dans le film Alien. Une fois admis dans le vaisseau, l’officier Kane est maintenu à l’isolement dans une salle d’infirmerie conçu à cet effet. L’état de malade de l’officier Kane se signale non seulement par la présence de la créature qui a parasité son visage mais également par les surblouses,  gants et masques utilisés par ceux qui l’approchent. Mais très vite, son état évolue. Lors de la mue du parasite, la larve qui constitue le premier stade se détache du corps et forme un résidu inerte. Le mal visible devient un mal invisible et lance la seconde controverse du film. Les signes d’une contamination possible ayant disparu,  faut-il ou non réinsérer Kane au sein de l’équipage? Alors que la première controverse avait opposé les détenteurs des différents pouvoir, la deuxième controverse oppose les officiers de bord au personnel d’entretien. Ces derniers qui n’ont cessé depuis le début du film de récriminer contre les officiers et de se plaindre de leurs conditions de travail sont partisans de laisser en quarantaine l’officier Kane voire de le réfrigérer. L’attitude des officiers est plus flottante. Pour trancher le débat, le metteur en scène utilise plusieurs artifices.

Une première habilité du scénario consiste tout en escamotant la créature à faire disparaître également tous les signes qui signent le statut de la maladie : les gants, masques et autres accessoires disparaissent désormais de l’écran. L’officier Kane reprend ainsi une apparence normale.   

Une seconde habilité du scénario réside dans l’invitation qui est faite à chacun de vérifier cette normalité apparente. Le responsable scientifique qui ne dit rien sur l’état réel du malade convie les hommes d’équipage à décider par eux-mêmes : « Vous devriez venir voir …  », et implique dans le même mouvement le spectateur.

Une dernière habilité du scénario consiste à réinscrire l’officier « contaminé » dans la condition humaine par le biais d’une pulsion organique – la faim – comme si le retour à l’appétit de vie manifestée par ce besoin primaire signifiait de manière définitive l’abandon de la maladie.

Parmi les attributs reliés au statut de « malade », l’exclusion du repas en commun en est une une manifestation tangible. Dans les centres hospitaliers, les repas pris dans les chambres signent le statut du patient et sa dangerosité éventuelle, et ce à un même degré que le port de la surblouse ou des gants par le personnel soignant.

 

S’agissant des problèmes de contamination, la part d’interprétation et de négociation n’est pas absente non plus dans les centres hospitaliers enquêtés. Même si la frontière entre personne contaminée et personne saine reste une dimension fondamentale, elle n’est pas toujours facile à déterminer. Tout dépend en définitive du terrain. Certains germes n’auront aucun impact sur la plupart des individus mais présenteront pour des personnes atteintes de certaines pathologies un risque mortel. Dans ce cadre, le simple visiteur peut présenter un risque. Mais ce risque reste extrêmement difficile à évaluer. Ce que les hygiénistes maîtrisent le mieux en définitive c’est le danger potentiel lié aux patients traités.

 A partir des années 1990, le risque nosocomial a amené les hygiénistes à distinguer les patients selon quatre classes biologiques qui manifestent le degré possible de contagion. Comme dans les systèmes de caste, une graduation dans les précautions à prendre en cas de contact a été mise à l’œuvre sous forme de recommandation. Les patients porteurs de micro-organismes de classe 4 qui présentent le plus de risques pour leur entourage ne peuvent être approchés qu’en usant de protections maxima. Ils sont placés en quasi-isolement dans des chambres individuelles aux portes fermées et signalisation de leur état. L’accès aux parties communes de détente et de sociabilité - hall, cafétéria, kiosque à journaux, salles de jeux) – leur est interdit. En principe, une équipe de soignants leur est réservée. Au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la classe 4, les précautions de contact deviennent moins contraignantes. Ainsi l’accès aux parties communes sera rendu possible pour les patients de classe 1 ou 2 à conditions qu’ils portent un masque. Cependant, comme dans le film Alien, des marges de manœuvre existent qui permettent une certaine « manipulation de classes de risque». Dans l’enquête menée auprès des CRCM, on constate que les limites entre les quatre classes disparaissent le plus souvent au profit de regroupements le plus souvent en deux catégories parfois en une seule.  On regroupera par exemple les classes extrêmes : classe 1 et 2, et classe 3 et 4, ou on appliquera à tous les patients les mesures de précaution de la classe 4.

Cette variation dans les pratiques s’explique autant pour des raisons budgétaires que pour des raisons « idéologiques ». Les différentes mesures pour prévenir les contacts ont un coût important lié à l’individualisation de tous les matériaux (stéthoscope, thermomètre, oxymètre, tensiomètre, etc.) mais également à la mise en place ou à l’existence de locaux adaptés : chambres avec toilettes et douches individuelles. Mais, plus fondamentalement, des clivages existent au sein des soignants sur l’étendue de ces mesures. C’est ainsi que l’existence d’équipes distinctes pour les patients de classe 4 - outre le coût budgétaire - suscite une forte opposition chez le personnel soignant qui refuse que les risques ne soient pas partagés au sein des équipes. Par ailleurs, beaucoup de ces mesures ne s’appuient pas sur des preuves scientifiques mais des recommandations d’expert qui sont laissés très largement à la libre interprétation des équipes comme le déplacement au sein de l’établissement :

« D’une manière générale, les déplacements doivent être évités malgré les conséquences psychologiques…Le risque est à apprécier selon la capacité du patient à ne pas tousser ou cracher, selon son âge, son hygiène personnelle, et son adhésion aux précautions d’hygiène » (extrait d’un manuel d’hygiène).

 

 

Contradictions internes et marges du système

 

 

Un vaisseau spatial comme un centre hospitalier est un cosmos organisé autour de lieux supports de fonctions sociales. Ces espaces sont le plus souvent hiérarchisés et impliquent des niveaux de protection différents.  Ainsi dans un vaisseau spatial affecté aux transports de minerai, ce sera le poste de commandement et la salle des machines qui constitueront les domaines soumis à une surveillance de tous les instants puisque directement liés à la mission de transport. Dans un hôpital, ce sont les lieux affectés aux soins et au séjour des patients qui constitueront la cible privilégiée des mesures de protection.  Par opposition à ces espaces supports de responsabilités, les coursives et les couloirs qui assurent les liaisons au sein d’un vaisseau ou d’un centre hospitalier constituent des points extrêmement vulnérables. Le patient ou le visiteur qui se déplace dans un établissement échappe peu ou prou à tout contrôle. Si l’on recommande aux patients de porter un masque et d’éviter les contacts directs lors de ses déplacements, il n’existe aucun moyen de contrôler le plus souvent la réalité des pratiques. Les gaines d’aération et les conduites d’eau présentent également des risques. Ce n’est pas un hasard si dans le film Alien, le monstre se réfugie dans les gaines d’aération pour mener ses attaques contre les membres du vaisseau et les exterminer. On peut y voir une référence à la maladie du légionnaire qui décima en 1976 à Philadelphie 29 membre de l’American Legion.

 

Cette vulnérabilité liée aux lieux de passage s’étend non seulement aux personnes qui y transitent mais également aux différentes matières transportées. A côté des transmissions directes et par contact, les risques de contamination proviennent le plus souvent des surfaces souillées. Tout ce qui entre ou sort de la chambre d’un patient devient potentiellement source de danger. Les dossiers, les télécommandes de télévision, les claviers d’ordinateur doivent être placés sous film plastique. Les plantes ou les fleurs sont ainsi interdites dans les chambres des patients. Les objets les plus inoffensifs deviennent ainsi sous le regard de l’hygiéniste comme pour le metteur en scène de SF des « tueurs » potentiels.

 

Ces craintes face à des contagions non contrôlables conduisent parfois les praticiens à se replier sur un hygiénisme forcé s’agissant des patients atteints de certaines infections. Il en va ainsi pour les malades souffrant de la mucoviscidose. Jusque dans les années 1990, l’objectif concernant ces patients était autant que faire ce peut de leur permettre d’avoir une vie sociale la plus normale possible. Au cours de ces dernières années, la tendance s’est inversée avec la prise en compte des contaminations possibles à partir de l’environnement ou des contacts avec des tiers. Les mesures de prévention débordent désormais les périodes d’hospitalisation pour se reporter vers tous les lieux de vie et leurs confins : loisirs, école, déplacements, camps de vacances, etc. Port d’un masque dans certaines circonstances, friction des mains régulière avec du PHA, mise à l’écart dans certains environnements, etc., tout cela contribue d’une certaine manière à faire aujourd’hui de ces patients des exilés de l’intérieur. 

 

Frontières externes, frontières internes, lieux de transit et marges forment pour l’homme moderne comme pour le primitif des lieux où les rituels et les grigris de toutes sortes ne suffisent jamais à produire un risque zéro. Mais plus fondamentalement, le film Alien montre que le principal danger qui guette nos sociétés se situe dans les contradictions au sein de notre système entre les impératifs liés à la protection des populations et  les logiques économiques d’un système mondialisé. Dans le film Alien, le responsable scientifique du vaisseau pêche par omission en ne précisant pas les risques liés au processus parasitaire ouvrant ainsi la voie à la contagion. A la solde de l’entreprise commerciale qui a affrété le vaisseau, ce responsable a reçu l’ordre de ramener la créature quel qu’en soit le prix à payer. Par candeur ou par humanisme, Ridley Scott n’a pas voulu que ce scientifique responsable de la mort de ses compagnons soit un être humain de chair et de sang, mais un simple robot.

Cette collusion entre responsables politiques, experts scientifiques et logiques financières n’occupait pas encore le devant de la scène politique au moment de la réalisation du film. Il faudra attendre les années quatre-vingt pour voir éclater un certain nombre d’affaires touchant à la santé publique. Le scandale du sang contaminé, celui de la vache folle, de l’amiante et aujourd’hui du médiator ont en effet montré que le souci de protéger la population pouvait s’effacer derrière les intérêts économiques.

Dans le domaine de la prévention des risques nosocomiaux, la contradiction entre santé de la population et intérêts privés est moins visible mais elle existe néanmoins. Les restrictions budgétaires concernant les centres hospitaliers liées à un politique qui vise aujourd’hui à réduire le poids des financements publics n’est pas sans conséquence. L’optimum en matière de prévention des maladies nosocomiales est rarement atteint faute de locaux adoptés, d’un personnel soignant suffisant et de moyens financiers permettant l’utilisation de tous les dispositifs assurant une protection. C’est ainsi que dans beaucoup de centres visités, les mesures collectives - SAS, salles de soin réservées aux porteurs de GMR, toilettes individuelles, équipes de soignants spécialisés, etc. – n’existent pas ou trop peu faute de moyens. On assiste du même coup à une individualisation des mesures de prévention et à un report de certains coûts ou mesures sur le patient et sa famille, et à débordement vers l’espace privé de la prévention. Les risques d’épidémie récentes ont montré comment l’Autre pouvait se transformer en Alien. Le port de masque, l’utilisation de gants ou de produits comme les PHA est un débouché important pour les entreprises oeuvrant dans la prévention.

 

Pour conclure, il me semble que le film de Ridley Scot est prémonitoire de cette société des risques qui marquent une césure entre société industrielle et société post-industrielle. « A la différence de toutes les époques qui l’ont précédée, la société du risque se caractérise avant tout par un manque : l’impossibilité d’imputer les situations de menaces à des causes externes. Contrairement à toutes les cultures et les phases d’évolution antérieures, la société est aujourd’hui confrontée à elle-même. » (Ulrich Beck, op.cit.). C’est ainsi que l’utilisation intensive des antibiotiques a conduit à produire des germes multi-résistants qui forment aujourd’hui l’une des sources de risque concernant les maladies nosocomiales. Notre système de prévention peut ainsi générer à terme ses propres contradictions et produire ces propres monstres.

 

L’avènement de cette société post-industrielle n’implique pas seulement une modification des risques mais aussi un tournant dans l’exercice de la démocratie.  Alors que dans les sociétés traditionnelles, les accidents et pathologie sont le plus souvent liées à des situations particulières et à des causes manifestes (transport, poste de travail, causes naturelles, etc.) qui peuvent faire l’objet d’un diagnostic partagé, dans les sociétés post-industriels, les pathologies et accidents :

 

o   Ils sont liés à des risques invisibles;

o   Ils sont globaux et concernent aussi bien une entreprise et ses salariés, que l’environnement proche ou lointain et les non-salariés;

o   Ils sont causés par des substances physico-chimiques ou des modifications de   l’environnement liées à l’intervention de l’homme;

 

Comme dans le film Alien, face à ces risques invisibles et globaux, le citoyen ne peut plus débattre simplement de leur dangerosité et tenter d’y remédier par la mise en place de mesures adaptées. L’analyse causale de ces nouveaux risques relèvent exclusivement de l’expertise scientifique. Or, comment éviter les dérives liées aux collusions entre le monde industriel et celui de l’expertise scientifique ?  Comment maintenir un débat citoyen et éviter que les scientocrates ne confisquent définitivement les lambeaux de nos démocraties ? La plupart des films de SF apporte une réponse négative à cette question et montrent des sociétés dominées par des oligarchies n’ayant cesse d’accroître leur pouvoir sur cette planète et au-delà. Il faut simplement souhaiter que la fiction d’aujourd’hui ne soit pas la réalité de demain.

"Les Visiteurs inopportuns"

 

Pierre Cam (Lestamp)

 

 

 

Parlant des œuvres d’art, Nelson Goodman écrit qu’ «une représentation ou une description convient, est efficace, pénétrante, elle éclaire ou intrigue dans la mesure où l’artiste ou l’écrivain saisit des rapports nouveaux et significatifs, et imagine des moyens pour les rendre manifestes »[11]. C’est ainsi que les « grands » films de SF constituent un réservoir de situations imaginaires dont la mise en scène tend à exagérer les effets pour mieux susciter l'éveil de l'intellect et nous maintenir en alerte. Ces mises en situation - par leur généralité même - constituent des schèmes de compréhension pour des aspects souvent négligés des relations avec notre environnement social. Plantes, animaux, voitures, et autres organismes ou objets qui constituent notre quotidien, et que l’on ne voit plus à force de les voir, deviennent par l’artifice de la SF autant de réalités intrigantes voire inquiétantes. Nombre de films de Science fiction participent également à ce qu’Ulrich Beck dénomme la « scientificisation réflexive » (Ulrich Beck, La société du risque, Flammarion 2001). En particulier, les films d’anticipation invitent par une sorte de « passage à la limite » à une mise en question des technologies actuelles en montrant non seulement leur incapacité à résoudre les problèmes de l’humanité mais leur capacité à générer de nouvelles nuisances. C’est cet aspect que nous développerons dans notre intervention.

Pour montrer comment pouvait s’opérer ce travail de « scientifisation réflexive », il m’a semblé heuristique de comparer un film abordant le thème de la « contagion » à un travail de recherche portant sur les maladies nosocomiales et leur prévention. Le film - Alien - de Ridley Scott sorti en 1979 reste aujourd’hui encore une référence s’agissant des rencontres du troisième « type ». Cette fiction n’est cependant pas sans rappeler à un univers plus quotidien, celui des hôpitaux et des services d’urgence. Il y tout d’abord le lieu de l’action - un vaisseau spatial surprotégé - puis le thème développé : la contagion provenant d’un organisme extérieur qui menace la santé et la cohésion des membres de l’équipage. S’agissant de mon terrain, j’en dirai quelques mots. Durant l’année passée, j’ai été amené à enquêter auprès d’un certain nombre de centres hospitaliers s’occupant de malades atteints de la mucoviscidose. Ces patients sont plus que d’autres sujets à ce que l’on appelle les maladies nosocomiales. Un centre hospitalier est à l’image d’un vaisseau spatial, un lieu surprotégé où les risques de contagion devraient en principe être limitées du fait de l’organisation environnementale et des pratiques qui y sont développés par un personnel formé aux techniques de prévention. Cependant près de 4000 patients décèdent chaque année d'une maladie nosocomiale.

Cet écart entre des technologies visant à rendre « inviolable » un groupe social et la réalité de la contagion par un Alien venu de l’espace me semble emblématique de nos sociétés où les systèmes les plus sophistiquées ne parviennent pas à endiguer les tsunamis humanitaires.  Le film Alien aborde à sa manière un thème obsessionnel pour l'ensemble des sociétés contemporaines  : « comment les risques et les menaces qui sont systématiquement produits au cours du processus de modernisation avancé peuvent-ils être supprimés, diminués, endigués (…) et dans le cas où ils ont pris la forme d’ « effets induits latents », endigués et évacués de sorte qu’ils ne gênent plus le processus de modernisation ni ne franchissent les limites de ce qui est tolérable »  ?

 

 

Chaos et cosmos

 

Les vaisseaux comme les centres hospitaliers sont des lieux soumis à des risques de « contagion » parce qu’ils font coexister durant des périodes plus ou moins longues des individus qui ne peuvent s’extraire aisément de leur environnement : il en va ainsi pour les malades hospitalisés comme pour les marins en haute mer ou les passagers d’une navette spatiale. Ces risques sont d’autant plus grands que les organismes sont parfois affaiblis que ce soit à la suite d’une intervention chirurgicale, d’une nourriture inadaptée, d’un ensemble de privations sensorielles, etc. C’est ainsi que l’histoire maritime est une longue suite de catastrophes humanitaires liées aux épidémies et dont le mythe du vaisseau fantôme porte encore la trace. Ce risque de contagion et de destruction potentielle des membres d’une communauté constitue – si j’ose dire -  « un des fonds de commerce » de la SF.  Les systèmes de protection les plus sophistiquées nées de la raison instrumentale – l’enveloppement machinal dont parle Morin Ulman - ne sont jamais à l’abri d’une faille ou d’un phénomène incontrôlable comme l’ont montré les événements récents (je pense à la centrale de Fukushima). Le film Alien « surfe » ainsi sur les peurs ancestrales de l’homme face aux menaces extérieures qui risquent à chaque instant de précipiter son monde dans le Chaos c’est-à-dire de le replonger dans « un état fluide et amorphe » pour reprendre les mots de Mircea Eliade[12].

 

Hormis les cas d’auto-infection[13], les risques de contamination et au-delà de contagion sont le plus souvent liés au phénomène de colonisation par des organismes rencontrés dans l’environnement ou lors de contacts avec des tiers. Ces organismes peuvent être des parasites colonisant leur hôte ou des micro-organismes. Dans Alien, Ridley Scott fait le choix d’une colonisation parasitaire. Plus spectaculaire que l’infection par un micro-organisme, l’infection parasitaire a également un effet psychologique plus marqué du fait de la relation qui s’instaure entre l’hôte et son parasite. La confrontation avec un endoparasite est largement traumatisante. Pour comprendre les mécanismes de l’infection parasitaire, je prendrai l’exemple du ver de CAYOR qui est un endoparasite temporaire à l’image du monstre d’Alien. Pondue par une mouche, la larve du ver de Cayor attend de trouver un hôte. Une fois qu’elle a trouvé son hôte, elle pénètre dans le corps de sa victime pour s’y développer. La larve subit plusieurs mues durant son séjour chez l’hôte provoquant une furonculose. Après trois ou quatre jours, elle s’éjecte du corps de sa victime pour se métamorphoser en nymphe qui évoluera dans un dernier stade vers l’adulte. Le choix d’un endoparasite par le réalisateur d’Alien tient également au statut de ces organismes vivants qui marquent dans l’évolution un stade supérieur puisqu’ils utilisent les ressources mises à sa disposition par un hôte généreux. En général, un parasite ne tue pas son hôte durant la période où il s’en sert.

Dans les centres hospitaliers, les contaminations à la base des maladies nosocomiales proviennent le plus souvent de micro-organismes qui peuvent être soi des

    * Commensaux de l’homme, c'est-à-dire des germes qui ne peuvent vivre qu'au contact de notre organisme. Ces bactéries sont souvent utiles au bon fonctionnement du corps humain. Il en va ainsi de la flore bactérienne résidant dans notre tube digestif et qui intervient dans les processus de digestion. En revanche, si pour une raison ou pour une autre lors d'une intervention chirurgicale, ces germes sont déversés hors de leur environnement, ils peuvent devenir dangereux et pathogène. Le staphylocoque doré est commensal de l’appareil respiratoire. Il peut muter et ses mutations sont résistantes aux antibiotiques. Il va infecter les plaies à la suite d’une opération, provoquer des troubles respiratoires, des infections au niveau des os, au niveau des yeux, voire de méningites, etc. C’est un micro-organisme qui mute aisément et dont les mutations sont résistantes aux antibiotiques.

    * saprophytes, c'est-à-dire des germes vivant dans l'environnement de l'homme (l'eau, l'air, les plantes, …) et pouvant le coloniser dans certaines conditions. Il en va ainsi pour le bacille pyocyanique qui vit dans l’environnement humide domestique ou hospitalier et qui peut dans certains contextes coloniser les voies digestives et conduire à la mort du patient. Il faut ajouter à cette liste de micro-organismes, les différents virus (grippe, HIV, hépatites, etc.) qui sont insensibles aux antibiotiques.

 

 

La notion de danger

 

 

A quel moment intervient le « chaos » dans le film Alien et quelle en est la véritable cause ? Loin de se plier aux évidences, le spectateur ne doit pas être obnubilé par l’apparente monstruosité qui se présente à la porte du vaisseau après avoir parasité un des hommes d’équipage. De fait, la monstruosité n’est pas toujours synonyme d’un danger potentiel pour l’entourage. On en conviendra aisément en comparant les deux films où John Hurt interprète une figure monstrueuse : l’hôte d’Alien en 1979 et le patient atteint d’elephantiasis dans le film de David Lynch (1980). On a ici deux apparences renvoyant à des réalités différentes. Comme dans la légende chinoise où le sage montre la lune et l’imbécile regarde le doigt, le spectateur peu attentif se trouve détourné de l’enjeu véritable du film qui n’est pas tant le monstre lui-même que les enjeux et rapports sociaux qui se font jour autour de ce « risque » particulier. L’Alien est un danger parmi d’autres. Un danger se définit par « ce qui est incompatible avec la présence humaine », c’est-à-dire très précisément « toute propriété ou capacité intrinsèque par laquelle une chose est susceptible de causer un dommage »( directive 89/391/ de la Cce)[14]. Le danger est au sens propre un « état » de fait.

 

Pour qu’il y ait un « dommage », il faut que se produise une rencontre entre un « danger » et l’homme. Ceci résulte d’un processus dynamique qui peut être un changement d’état comme dans le cas d’une immuno-dépression ou une intervention humaine comme une pause de sonde ou une prise de sang. Pour comprendre la nature du risque et le moment auquel il intervient, il faut donc pouvoir identifier les dangers. Pour ce faire,  nous reprendrons la typologie de Mary Douglas esquissée dans son ouvrage sur « la souillure » qui, par sa généralité, peut s’appliquer aussi bien à des lieux qu’à des organismes vivants ou à des systèmes de castes.

 

 

Mary Douglas distingue :

 

9.    Le danger qui rôde aux frontières extérieures et fait pression sur elles ;

10.                      Le danger que l’on encourt en franchissant les divisions internes du système ;

11.                      Le danger qui se situe en marge de ces lignes intérieures ;

12.                      Le danger qui provient des contradictions internes.

 

 

Les risques de contamination peuvent être liés à l’environnement, aux contacts entre personnes, ou à des modifications dans l’état des personnes. Il est habituel de distinguer les transmissions directes et les transmissions indirectes. Les transmissions directes peuvent se faire lors de contact ou par projection de germes contenus dans des gouttelettes lors d’expectoration.  Les transmissions indirectes ou transmissions croisées proviennent des matériels, surfaces ou linges souillées par contact. Pour pouvoir lutter contre ces transmissions directes ou indirectes, il faut mettre en place des protections collectives ou individuelles, mais également contrôler les différentes relations internes au système de prévention et surtout éviter les contradictions. Parmi les protections collectives, on trouve les sas, les systèmes de fermeture automatique des portes, les vignettes ou affiches signalant la dangerosité d’un lieu. Parmi les protections individuelles, il y a les gants stériles ou non stériles, les surblouses, les masques et éventuellement les lunettes. Un spectateur attentif notera que tous ces éléments de protection existent dans le film Alien. La mise en œuvre de ces systèmes de protection est soumise à un ensemble de procédures plus ou moins formalisées qui sont laissées à l’initiative des différents responsables.

 

Toutes les sociétés connaissent à un niveau ou à un autre ces formes de protection contre des contacts pouvant être la source d’une « pollution sociale ». Il existe ainsi au niveau individuel des amulettes, des parures magiques, des armures, etc. et au niveau collectif des défenses: talisman, délimitations magiques, fossés, palissades, etc. Ces protections obéissent également à des procédures rituelles qui déterminent le moment et le lieu, et les circonstances où elles doivent être mises en place. Toutes les sociétés connaissent également à un niveau ou à un autre des enjeux de pouvoir et des contradictions qui peuvent rendre ces protections inopérantes. Il me semble que c’est de cela dont parle Alien et que le monstre n’est ici que la toile de fonds pour aborder les problèmes de cohésion au sein de nos sociétés.

 

 

Frontières extérieures et controverses sociales

 

La protection contre les risques extérieurs est le plus souvent collective mais elle peut dans certains cas revêtir des formes individuelles. De fait, un centre hospitalier comme un vaisseau spatial doit pouvoir contrôler les personnes qui entrent dans leur espace et évaluer les risques qu’elles peuvent éventuellement présenter. « Passer une porte est un acte banal, mais il peut signifier tant de façons d’entrer » écrit Mary Douglas. Tout le problème de la protection d’un seuil réside dans la manière dont les individus s’y présentent.

Dans le film Alien, l’entrée du vaisseau spatial « Nostromo » est contrôlée par un sas d’admission qui permet également des procédures de décontamination, et en cas de danger d’éjecter l’intrus. Mais ce sas d’admission ne joue pleinement son rôle que si chacun se plie aux procédures qui limitent l’entrée aux seules personnes qualifiées à franchir le seuil.

Dans le film Alien, les hommes d’équipage qui sont descendus à terre avec le commandant de bord – Dallas - se présentent à leur retour dans le sas de décontamination. L’un d’eux – joué par John Hurt - est affecté par un parasite qui s’est greffé sur son visage. Une controverse naît sur la procédure à suivre. Le commandant de bord sorti avec l’équipage ordonne à l’officier en second  « Ripley » - qui est resté à bord - d’ouvrir le sas. Il plaide pour emmener le pilote blessé à l’infirmerie en faisant jouer l’urgence et la nécessité du secours[15]. L’officier en second, Ripley refuse en se réfugiant derrière la procédure et en évoquant le principe de précaution face à un danger potentiel. On comprendra aisément que l’on est devant un dilemme qui ne peut être tranché que par un intervenant extérieur. C’est le phénomène bien connu du nœud gordien. La situation est d’autant plus inextricable que le commandant de bord est un homme et que le second officier est une femme, et que tout passage en force pourrait être assimilé à une forme de discrimination.  C’est Ash, un scientifique attaché au vaisseau qui finit par ouvrir le sas en arguant du pouvoir que lui confère sa responsabilité dans ce domaine. On ajoutera que la querelle peut sembler d’autant plus vaine que le vaisseau est doté de protections individuelles et collectives qui permettent en cas de danger des mesures de confinement.

Au niveau des hôpitaux où les va et vient entre l’intérieur et l’extérieur sont nombreux et concernent aussi bien des patients « potentiellement dangereux » que de simples visiteurs, les systèmes de contrôle se démultiplient également afin de faire face à toutes les éventualités. Cette démultiplication des protections est d’autant plus nécessaire qu’à la différence d’un vaisseau spatial, les hôpitaux en tant que service public ne peuvent refuser de soigner les patients. Il existe au sein des services comme à l’extérieur des services ce que l’on peut appeler des mesures d’isolement géographiques. A l’intérieur des services, il s’agira de chambres dotées de sas d’admission.

Au niveau des frontières avec l’extérieur, on peut également organiser des systèmes de protection collectifs par la mise en place de lieux réservés à des patients présentant certaines infections. Il en va ainsi pour les salles de « consultation hospitalière » et leurs salles d’attente. Mais, cette protection ne peut jamais être garantie totalement. Pour pouvoir orienter les patients vers les espaces qui leur sont réservés, il faut évidemment connaître leur niveau de dangerosité potentiel. Ce qui n’est pas toujours le cas.

On en arrive à des situations paradoxales comme l’illustre assez bien certaines salles d’attente des consultations hospitalières. C’est d’ailleurs un très beau terrain d’études sociologique pour comprendre le compromis entre impératifs de prévention et conventions sociales. Dotés le plus souvent de magazines, de jouets pour enfants, de machines à café ou de fontaine à eau, elles sont munies aussi d’affichettes rappelant qu’il faut « éviter de toucher les objets mis à disposition », « de se serrer la main », « et de maintenir avec un autre patient une distance d’au moins un mètre ». Pour éviter tout risque de contamination, il faudrait de fait supprimer les salles d’attente et imposer au minimum aux patients le port d’un masque et une friction des mains avec du PHA. Outre les problèmes de coût budgétaire, d’organisation des consultations, ces mesures conduiraient à traiter chaque patient comme s’il était porteur de germes multi-résistants. On comprend aisément les effets dévastateurs qu’aurait une telle mesure sur des patients sujets à l’anxiété. Notre enquête auprès des différents centres montre qu’il y a là un sujet de controverse entre les professionnels de la prévention d’autant plus important qu’il n’existe que peu d’études cliniques concernant la « consultation hospitalière». Faute d’un accord global sur les procédures en matière de consultation, chaque centre adapte son organisation des consultations en convoquant par exemple les patients à risque en fin de consultation ou un jour spécifique.

 

 

Pollution sociale et divisions internes

 

 

Les sociétés modernes ne sont pas totalement défaites des systèmes de caste et des pouvoirs qui y sont liés. Comme dans le système des castes, les rapports avec les malades sont organisés de manière à éviter toute pollution sociale en introduisant une discontinuité entre leur espace et le nôtre. Cette coupure entre le monde des bien portants et celui des mal portants est autant une césure réelle due à l’état du malade que symbolique :  symbolique car elle se manifeste par un grand nombre de signes comme le port des vêtements adaptés, une signalisation sur les portes ou les différents bons, des procédures d’évitement, etc. L’état de malade doit se manifester d’autant plus clairement à l’extérieur par un système de signes que les symptômes en sont invisibles.

Cette frontière symbolique qui sépare le malade du bien portant est toujours manipulable dans un sens ou dans un autre, et elle est à la source de nombreuses stratégies. Il en va ainsi dans le film Alien. Une fois admis dans le vaisseau, l’officier Kane est maintenu à l’isolement dans une salle d’infirmerie conçu à cet effet. L’état de malade de l’officier Kane se signale non seulement par la présence de la créature qui a parasité son visage mais également par les surblouses,  gants et masques utilisés par ceux qui l’approchent. Mais très vite, son état évolue. Lors de la mue du parasite, la larve qui constitue le premier stade se détache du corps et forme un résidu inerte. Le mal visible devient un mal invisible et lance la seconde controverse du film. Les signes d’une contamination possible ayant disparu,  faut-il ou non réinsérer Kane au sein de l’équipage? Alors que la première controverse avait opposé les détenteurs des différents pouvoir, la deuxième controverse oppose les officiers de bord au personnel d’entretien. Ces derniers qui n’ont cessé depuis le début du film de récriminer contre les officiers et de se plaindre de leurs conditions de travail sont partisans de laisser en quarantaine l’officier Kane voire de le réfrigérer. L’attitude des officiers est plus flottante. Pour trancher le débat, le metteur en scène utilise plusieurs artifices.

Une première habilité du scénario consiste tout en escamotant la créature à faire disparaître également tous les signes qui signent le statut de la maladie : les gants, masques et autres accessoires disparaissent désormais de l’écran. L’officier Kane reprend ainsi une apparence normale.   

Une seconde habilité du scénario réside dans l’invitation qui est faite à chacun de vérifier cette normalité apparente. Le responsable scientifique qui ne dit rien sur l’état réel du malade convie les hommes d’équipage à décider par eux-mêmes : « Vous devriez venir voir …  », et implique dans le même mouvement le spectateur.

Une dernière habilité du scénario consiste à réinscrire l’officier « contaminé » dans la condition humaine par le biais d’une pulsion organique – la faim – comme si le retour à l’appétit de vie manifestée par ce besoin primaire signifiait de manière définitive l’abandon de la maladie.

Parmi les attributs reliés au statut de « malade », l’exclusion du repas en commun en est une une manifestation tangible. Dans les centres hospitaliers, les repas pris dans les chambres signent le statut du patient et sa dangerosité éventuelle, et ce à un même degré que le port de la surblouse ou des gants par le personnel soignant.

 

S’agissant des problèmes de contamination, la part d’interprétation et de négociation n’est pas absente non plus dans les centres hospitaliers enquêtés. Même si la frontière entre personne contaminée et personne saine reste une dimension fondamentale, elle n’est pas toujours facile à déterminer. Tout dépend en définitive du terrain. Certains germes n’auront aucun impact sur la plupart des individus mais présenteront pour des personnes atteintes de certaines pathologies un risque mortel. Dans ce cadre, le simple visiteur peut présenter un risque. Mais ce risque reste extrêmement difficile à évaluer. Ce que les hygiénistes maîtrisent le mieux en définitive c’est le danger potentiel lié aux patients traités.

 A partir des années 1990, le risque nosocomial a amené les hygiénistes à distinguer les patients selon quatre classes biologiques qui manifestent le degré possible de contagion. Comme dans les systèmes de caste, une graduation dans les précautions à prendre en cas de contact a été mise à l’œuvre sous forme de recommandation. Les patients porteurs de micro-organismes de classe 4 qui présentent le plus de risques pour leur entourage ne peuvent être approchés qu’en usant de protections maxima. Ils sont placés en quasi-isolement dans des chambres individuelles aux portes fermées et signalisation de leur état. L’accès aux parties communes de détente et de sociabilité - hall, cafétéria, kiosque à journaux, salles de jeux) – leur est interdit. En principe, une équipe de soignants leur est réservée. Au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la classe 4, les précautions de contact deviennent moins contraignantes. Ainsi l’accès aux parties communes sera rendu possible pour les patients de classe 1 ou 2 à conditions qu’ils portent un masque. Cependant, comme dans le film Alien, des marges de manœuvre existent qui permettent une certaine « manipulation de classes de risque». Dans l’enquête menée auprès des CRCM, on constate que les limites entre les quatre classes disparaissent le plus souvent au profit de regroupements le plus souvent en deux catégories parfois en une seule.  On regroupera par exemple les classes extrêmes : classe 1 et 2, et classe 3 et 4, ou on appliquera à tous les patients les mesures de précaution de la classe 4.

Cette variation dans les pratiques s’explique autant pour des raisons budgétaires que pour des raisons « idéologiques ». Les différentes mesures pour prévenir les contacts ont un coût important lié à l’individualisation de tous les matériaux (stéthoscope, thermomètre, oxymètre, tensiomètre, etc.) mais également à la mise en place ou à l’existence de locaux adaptés : chambres avec toilettes et douches individuelles. Mais, plus fondamentalement, des clivages existent au sein des soignants sur l’étendue de ces mesures. C’est ainsi que l’existence d’équipes distinctes pour les patients de classe 4 - outre le coût budgétaire - suscite une forte opposition chez le personnel soignant qui refuse que les risques ne soient pas partagés au sein des équipes. Par ailleurs, beaucoup de ces mesures ne s’appuient pas sur des preuves scientifiques mais des recommandations d’expert qui sont laissés très largement à la libre interprétation des équipes comme le déplacement au sein de l’établissement :

« D’une manière générale, les déplacements doivent être évités malgré les conséquences psychologiques…Le risque est à apprécier selon la capacité du patient à ne pas tousser ou cracher, selon son âge, son hygiène personnelle, et son adhésion aux précautions d’hygiène » (extrait d’un manuel d’hygiène).

 

 

Contradictions internes et marges du système

 

 

Un vaisseau spatial comme un centre hospitalier est un cosmos organisé autour de lieux supports de fonctions sociales. Ces espaces sont le plus souvent hiérarchisés et impliquent des niveaux de protection différents.  Ainsi dans un vaisseau spatial affecté aux transports de minerai, ce sera le poste de commandement et la salle des machines qui constitueront les domaines soumis à une surveillance de tous les instants puisque directement liés à la mission de transport. Dans un hôpital, ce sont les lieux affectés aux soins et au séjour des patients qui constitueront la cible privilégiée des mesures de protection.  Par opposition à ces espaces supports de responsabilités, les coursives et les couloirs qui assurent les liaisons au sein d’un vaisseau ou d’un centre hospitalier constituent des points extrêmement vulnérables. Le patient ou le visiteur qui se déplace dans un établissement échappe peu ou prou à tout contrôle. Si l’on recommande aux patients de porter un masque et d’éviter les contacts directs lors de ses déplacements, il n’existe aucun moyen de contrôler le plus souvent la réalité des pratiques. Les gaines d’aération et les conduites d’eau présentent également des risques. Ce n’est pas un hasard si dans le film Alien, le monstre se réfugie dans les gaines d’aération pour mener ses attaques contre les membres du vaisseau et les exterminer. On peut y voir une référence à la maladie du légionnaire qui décima en 1976 à Philadelphie 29 membre de l’American Legion.

 

Cette vulnérabilité liée aux lieux de passage s’étend non seulement aux personnes qui y transitent mais également aux différentes matières transportées. A côté des transmissions directes et par contact, les risques de contamination proviennent le plus souvent des surfaces souillées. Tout ce qui entre ou sort de la chambre d’un patient devient potentiellement source de danger. Les dossiers, les télécommandes de télévision, les claviers d’ordinateur doivent être placés sous film plastique. Les plantes ou les fleurs sont ainsi interdites dans les chambres des patients. Les objets les plus inoffensifs deviennent ainsi sous le regard de l’hygiéniste comme pour le metteur en scène de SF des « tueurs » potentiels.

 

Ces craintes face à des contagions non contrôlables conduisent parfois les praticiens à se replier sur un hygiénisme forcé s’agissant des patients atteints de certaines infections. Il en va ainsi pour les malades souffrant de la mucoviscidose. Jusque dans les années 1990, l’objectif concernant ces patients était autant que faire ce peut de leur permettre d’avoir une vie sociale la plus normale possible. Au cours de ces dernières années, la tendance s’est inversée avec la prise en compte des contaminations possibles à partir de l’environnement ou des contacts avec des tiers. Les mesures de prévention débordent désormais les périodes d’hospitalisation pour se reporter vers tous les lieux de vie et leurs confins : loisirs, école, déplacements, camps de vacances, etc. Port d’un masque dans certaines circonstances, friction des mains régulière avec du PHA, mise à l’écart dans certains environnements, etc., tout cela contribue d’une certaine manière à faire aujourd’hui de ces patients des exilés de l’intérieur. 

 

Frontières externes, frontières internes, lieux de transit et marges forment pour l’homme moderne comme pour le primitif des lieux où les rituels et les grigris de toutes sortes ne suffisent jamais à produire un risque zéro. Mais plus fondamentalement, le film Alien montre que le principal danger qui guette nos sociétés se situe dans les contradictions au sein de notre système entre les impératifs liés à la protection des populations et  les logiques économiques d’un système mondialisé. Dans le film Alien, le responsable scientifique du vaisseau pêche par omission en ne précisant pas les risques liés au processus parasitaire ouvrant ainsi la voie à la contagion. A la solde de l’entreprise commerciale qui a affrété le vaisseau, ce responsable a reçu l’ordre de ramener la créature quel qu’en soit le prix à payer. Par candeur ou par humanisme, Ridley Scott n’a pas voulu que ce scientifique responsable de la mort de ses compagnons soit un être humain de chair et de sang, mais un simple robot.

Cette collusion entre responsables politiques, experts scientifiques et logiques financières n’occupait pas encore le devant de la scène politique au moment de la réalisation du film. Il faudra attendre les années quatre-vingt pour voir éclater un certain nombre d’affaires touchant à la santé publique. Le scandale du sang contaminé, celui de la vache folle, de l’amiante et aujourd’hui du médiator ont en effet montré que le souci de protéger la population pouvait s’effacer derrière les intérêts économiques.

Dans le domaine de la prévention des risques nosocomiaux, la contradiction entre santé de la population et intérêts privés est moins visible mais elle existe néanmoins. Les restrictions budgétaires concernant les centres hospitaliers liées à un politique qui vise aujourd’hui à réduire le poids des financements publics n’est pas sans conséquence. L’optimum en matière de prévention des maladies nosocomiales est rarement atteint faute de locaux adoptés, d’un personnel soignant suffisant et de moyens financiers permettant l’utilisation de tous les dispositifs assurant une protection. C’est ainsi que dans beaucoup de centres visités, les mesures collectives - SAS, salles de soin réservées aux porteurs de GMR, toilettes individuelles, équipes de soignants spécialisés, etc. – n’existent pas ou trop peu faute de moyens. On assiste du même coup à une individualisation des mesures de prévention et à un report de certains coûts ou mesures sur le patient et sa famille, et à débordement vers l’espace privé de la prévention. Les risques d’épidémie récentes ont montré comment l’Autre pouvait se transformer en Alien. Le port de masque, l’utilisation de gants ou de produits comme les PHA est un débouché important pour les entreprises oeuvrant dans la prévention.

 

Pour conclure, il me semble que le film de Ridley Scot est prémonitoire de cette société des risques qui marquent une césure entre société industrielle et société post-industrielle. « A la différence de toutes les époques qui l’ont précédée, la société du risque se caractérise avant tout par un manque : l’impossibilité d’imputer les situations de menaces à des causes externes. Contrairement à toutes les cultures et les phases d’évolution antérieures, la société est aujourd’hui confrontée à elle-même. » (Ulrich Beck, op.cit.). C’est ainsi que l’utilisation intensive des antibiotiques a conduit à produire des germes multi-résistants qui forment aujourd’hui l’une des sources de risque concernant les maladies nosocomiales. Notre système de prévention peut ainsi générer à terme ses propres contradictions et produire ces propres monstres.

 

L’avènement de cette société post-industrielle n’implique pas seulement une modification des risques mais aussi un tournant dans l’exercice de la démocratie.  Alors que dans les sociétés traditionnelles, les accidents et pathologie sont le plus souvent liées à des situations particulières et à des causes manifestes (transport, poste de travail, causes naturelles, etc.) qui peuvent faire l’objet d’un diagnostic partagé, dans les sociétés post-industriels, les pathologies et accidents :

 

o   Ils sont liés à des risques invisibles;

o   Ils sont globaux et concernent aussi bien une entreprise et ses salariés, que l’environnement proche ou lointain et les non-salariés;

o   Ils sont causés par des substances physico-chimiques ou des modifications de   l’environnement liées à l’intervention de l’homme;

 

Comme dans le film Alien, face à ces risques invisibles et globaux, le citoyen ne peut plus débattre simplement de leur dangerosité et tenter d’y remédier par la mise en place de mesures adaptées. L’analyse causale de ces nouveaux risques relève exclusivement de l’expertise scientifique. Or, comment éviter les dérives liées aux collusions entre le monde industriel et celui de l’expertise scientifique ?  Comment maintenir un débat citoyen et éviter que les scientocrates ne confisquent définitivement les lambeaux de nos démocraties ? La plupart des films de SF apporte une réponse négative à cette question et montrent des sociétés dominées par des oligarchies n’ayant cesse d’accroître leur pouvoir sur cette planète et au-delà. Il faut simplement souhaiter que la fiction d’aujourd’hui ne soit pas la réalité de demain.

 

 



[1] Nelson Goodman, Langages de l’art, Nîmes, édition Jacqueline Chambon, 1990, p.57.

[2] Sur cette relation entre chaos et cosmos, raison

[3] L’auto-infection : Le malade s’infecte à partir de ses propres germes du fait de l’existence d’une lésion ou d’un état d’immunodépression.

[4] Voir Michel Monteau, « l’organisation délétère », L’harmattan.

[5] On voit à ce niveau comment le film opère en négligeant de s’intéresser au sort des autres hommes dont on admet sans aucune forme de contrôle qu’ils sont sains après avoir déambulés sur une planète ayant abrité des formes de vie primitives.

[6] Nelson Goodman, Langages de l’art, Nîmes, édition Jacqueline Chambon, 1990, p.57.

[7] Sur cette relation entre chaos et cosmos, raison

[8] L’auto-infection : Le malade s’infecte à partir de ses propres germes du fait de l’existence d’une lésion ou d’un état d’immunodépression.

[9] Voir Michel Monteau, « l’organisation délétère », L’harmattan.

[10] On voit à ce niveau comment le film opère en négligeant de s’intéresser au sort des autres hommes dont on admet sans aucune forme de contrôle qu’ils sont sains après avoir déambulés sur une planète ayant abrité des formes de vie primitives.

[11] Nelson Goodman, Langages de l’art, Nîmes, édition Jacqueline Chambon, 1990, p.57.

[12] Sur cette relation entre chaos et cosmos, raison

[13] L’auto-infection : Le malade s’infecte à partir de ses propres germes du fait de l’existence d’une lésion ou d’un état d’immunodépression.

[14] Voir Michel Monteau, « l’organisation délétère », L’harmattan.

[15] On voit à ce niveau comment le film opère en négligeant de s’intéresser au sort des autres hommes dont on admet sans aucune forme de contrôle qu’ils sont sains après avoir déambulés sur une planète ayant abrité des formes de vie primitives.

 

 

 




 

 

 

 

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