Mots clés : Free-party – Art – Contre-culture – Fête – Techno
Cet article livre les fruits d’une réflexion libre et pluridisciplinaire quant à la free-party : elle est ce « phénomène techno »[1] festif et juvénile qui, ayant défrayé la chronique dans nos médias de masse, a inquiété l’opinion publique et l’État vers la fin du 20ème siècle. Nous n’historiciserons, ni ne politiserons à nouveau ce phénomène pour le saisir tel qu’il est apparu en son temps, à la société civile et à la classe politique, comme « problème public. »[2] Nous détournant méthodologiquement de l’histoire sociale, sans toutefois nous soustraire à ses « leçons », il sera question de circonscrire les essences du phénomène techno. Si des citoyens s’indignèrent des mœurs festives et technoïdes, amplifiées par les médias, si les pouvoirs publics jugulèrent ce qui relevait de la liberté prise avec les convenances festives de l’époque, c’est que la latitude des jeunes adeptes de free-party fut aussi perçue, pensons-nous, comme opposition à la culture contemporaine de la fête portée par la consommation de masse, la redéfinition du temps libre et du loisir. Il convient d’en rendre compte, non sans une clarification conceptuelle. Car les essences relevées de la free-party, l’ « art » et la fête, sa face dissidente ou contre-culturelle, ne se laissent aisément réduire, définir. Elles renvoient toutes à des concepts largement débattus en sciences humaines et sociales. Nous cheminerons donc à travers ces notions, avant de conclure au terme de notre progression partant de cette question initiale : La free-party, est-elle un « art » contre-culturel de faire la fête ?
De l’art à la fête en free-party
Quid de l’art au regard de la free-party ? L’art consiste en une création, un créateur, un contemplateur ; en une relation intersubjective nouée par ceux-là au travers de celle-ci. Ces définitions de la free-party et de l’art, certes minimales, invitent à penser qu’il serait inopportun d’identifier la free-party à l’art : les ressorts de la fête techno n’étant a priori pas liés à la subjectivité, à la considération interindividuelle autour de l’œuvre. Et il n’est pas de travail sur la forme sensible qui, investissant de façon inopinée l’espace social, à l’instar de la free-party, soit de facto perçu, par autrui s’en imprégnant, comme de l’art ; sans parler du fait que sa reconnaissance, en tant que telle, passe le plus souvent par l’institution. Néanmoins, nous nous permettrons d’identifier la free-party comme « art », dans la mesure où nous référant à la chaîne lexicale de « l’art », l’étymologie de ce dernier offre quelques racines linguistiques utiles, et par là-même des domaines de réalité – à redécouvrir, et reconsidérer – pour réfléchir à cette fête atypique.
Une forme d’art ?
Dans Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Benveniste dit des souches latines de l’art qu’elles sont « ars », « artus », « ritus »[6]: l’art en qualité de « technè »[7], outil et savoir-faire ; l’art en tant que moyen s’ajustant à une fin ; l’art comme coutume, usage religieux. La fête techno ne combinerait-elle pas ces significations ? La free-party implique en effet la réalisation et le mixage, le tuilage d’un objet sonore, le « bruit » techno[/8] (« ars ») ; l’ajustement, le déploiement de capacités individuelles et musicales à des fins sociales, collectives (« artus » et « ritus»). L’acception sociale de la fête, et par extension de la free-party, tient linguistiquement par cet intermédiaire religieux « ritus » ; la religion ne se laissant réduire, étymologiquement, à la vénération et l’observance (« religio »), elle revêt une dimension sociale. «Religere » en latin, relier : qui relie (des individus « en arrière », au passé). Eclairés par cette filiation lexicale tripartite, nous définirons la free-party tel un « art », toutefois laïcisé, dont la particularité est de réunir – (« ritus ») – autour d’une esthétique identifiable. Sa condition de possibilité étant que des individus, compétents, appellent au rassemblement – (« ars », « artus »). Décrivons immédiatement les formes invariables de cet « art » ; leurs principes.
La free-party se traduit par une piste de danse délimitée, faisant face à un mur de haut-parleurs. Des teuffeurs[9]y dansent absorbés par une musique qu’ils restituent en une chorégraphie minimale. Les jeux de lumière, ou les images bouclées que maîtrise le vidéo-jockey (Vj), capte éventuellement leur attention. Le Vj, tout comme le disque-jockey (Dj)[10]ou l’artiste «posant son live»[11], ne s’expose au vu et au su de tous – l’ego, la « star », étant mis à l’index dans le milieu. Cet effacement personnel redouble l’effet de l’acousmatique, consubstantielle à la free-party : l’art acousmatique consiste en la création d’une atmosphère à l’aide de sons enregistrés puis « projetés ». Soit deux coupures, l’enregistrement de la source sonore et sa diffusion subséquente par le concert d’enceintes, qui empêchent toute identification claire de ce que l’on entend. Le retrait de l’artiste et l’abstraction à dessein de l’orchestration déboussolent le fêtard : l’épreuve esthétique en free-party déprogramme cette forme d’art plus habituelle où l’instrumentiste est valorisé et son instrument, sa musique, aperçus. Il est une autre prise de distance, évoquée par Guillaume Kosmicki, de la free-party avec « la mise en situation [déjà déclinante] de la musique et du spectacle vivant issue du 17ème siècle et symbolisée par l’apparition de la scène « à l’italienne » »[12]. Cette morphologie établissant un espace entre le public et la fiction, par la fosse, elle sollicitait le public qui dut être attentif s’il désirait suivre le spectacle. A la différence du « système d’implémentation sonore et musical»[13] de la free-party qui, acousmatique avons-nous dit, mais pas seulement, immerge esthétiquement le danseur dans un continuum ajoute Jean-Christophe Sevin. Continuum sonore rythmé, et recherché afin que tout danseur ne puisse décrocher de la forme sensible. « La pulsation rythmique donne à la musique une forme de tangibilité qui fait du corps de l’auditeur une cible, et qui, selon les amateurs, accapare toute l’attention lors des premières expériences. »[14] Outre cette homogénéité recherchée, sensible et durable, sa pulsation, c’est le bruit que les Dj’s et les adeptes du « live-act » cultivent – esthétisent[15]. Enfin notons avec le soutien de Lionel Pourtau que l’organisation d’une free-party requiert des compétences en électricité, en techniques de plateau[16], en décoration, en gestion humaine, en conduite de véhicules de masse importante[17].
Eclairés par cette filiation lexicale tripartite, informés de la manière dont les trois terrains signifiés se manifestent en pratique[18], il serait toutefois aventureux d’induire de l’étymon « ritus »[19]que les organisateurs de free-party réveillèrent quelques traits artistiques endormis ; des traits consubstantiels à ce que fut l’art en communauté, ce type révolu d’organisation humaine, moins ramifiée, plus homogène, retrempant son être par et dans le sacre[20] – cet espace et temps sacré qui, à l’antipode du monde profane, économique par nature, exprimait la croyance partagée en une cause première, divine. De Dieu, Durkheim dira qu’il est l’« incarnation », la projection inconsciente d’une envie humaine tapie, néanmoins impérieuse, de faire société. Une inclination se manifestant à l’occasion du rite sacré et festif, par l’«effervescence créatrice». C’est le tumulte de l’interaction humaine, le climat bouillonnant – exceptionnel – du rite qui engendrera en chacun la conviction inébranlable qu’un principe supérieur existe bel et bien. Le contact avec l’esprit divin naît de cette association agrégative fiévreuse. Par le rite festif, l’homme communautaire s’est donné les moyens d’une part de réaffirmer ses propres objets de croyance ; de l’autre de réaffirmer l’être de la communauté de croyants. Autrement dit la fête, remarquable par ses débordements, sa ritualité, si elle fut cette occasion d’honorer Dieu, consacrait aussi en filigrane le groupe d’appartenance. De sorte que Dieu, pour l’ethnologue, le sociologue, se confondait avec la société. Si l’art, en tant qu’institution humaine et savoir-faire, moyen mobilisé à des fins sacrales – manifestement divines, implicitement sociétales – est lié à la fête communautaire, on ne peut que difficilement étendre le propos à la free-party : ces jeunes technoïdes ne semblent pas avoir manifesté le goût du sacre pour cette cause première qu’est Dieu ; et de l’autre, « en creux », trouvé le moyen d’affirmer leur communauté juvénile. La jeunesse n’est pas un groupe. Elle est un temps biographique. Que conclure ? Cette définition de la free-party, d’inspiration étymologique, comme art, ou manière groupale d’organiser et de rechercher ce rassemblement séculier plus large, sur fond de musique techno, a ceci de relativement commode qu’elle synthétise des domaines de réalités de nature différente – les compétences, la musique et le collectif – inextricables dans les faits. Mais de couture conceptuelle difficile. D’où son intérêt, aussi modeste soit-il. Nombreuses sont les thèses en sciences humaines et sociales qui dépeignent indistinctement, après immersion, la musique techno par la free-party et réciproquement ; sans que cette équation tirée de l’expérience ne trouve sa solution conceptuelle. Notons, pour terminer, que le thème de l’art dans la fête n’est pas neuf. En géographie sociale, Eric Boutouyrie a récemment posé la thèse selon laquelle « […] les parties trances[21] fonctionnent selon une « correspondance des arts » [qui] déploie le lieu sur lequel il a pris appui. »[22] Les organisateurs de ces fêtes montrent ainsi en lieu et place d’un endroit les inspirant une toute autre étendue de celui-ci. Par des réaménagements artistiques, visuels et musicaux. La finalité étant d’habiter, non cette terre, cet espace présent, mais d’habiter momentanément, pour reprendre les termes du géographe, un « Eden » ; un lieu qui, meilleur, n’a d’équivalent sur Terre – utopique[23].
Si la free-party est un art soustrait à la déité, l’initiative de quelques-uns d’esthétiser une collectivité par la musique techno, elle est en outre un art de faire la fête. Mais qu’est-ce que la fête ?
Au-delà de la fête primitive
Lionel Obadia, ethnologue, a bousculé le bien-fondé de la sociologie et de l’anthropologie à ériger la « fête primitive » des sociétés traditionnelles, en un paradigme fiable ; un modèle adéquat à l’analyse des fêtes contemporaines[24]. « La « fête primitive » apparaît dans cette perspective comme une activité collective, socialement effervescente, saturée de symboles, qui se donne à voir (et caractérise) des sociétés baignées de sacralité et dont les manifestations, en particulier celles qui relèvent du registre de l’excessif (violence, frénésie, exaltation incontrôlée…), s’inscrivent dans le cadre symbolique et social de comportements culturels attendus et intelligibles. » S’appuyant sur son ethnographie des Sherpas, un peuple immigré du Népal septentrional, d’origine tibétaine mais de citoyenneté népalaise, bouddhiste dans une terre d’accueil majoritairement hindouiste, Lionel Obadia analyse les festivités de cette communauté villageoise et agricole. Il montre, a posteriori, la pente du paradigme « primitif », en substance fonctionnel et symbolique, à surévaluer l’ordonnancement de toute vie traditionnelle autour d’une cosmologie ; à hypostasier des antinomies ou, plus justement, à réduire les traits de la communauté aux seuls modes du social, duals, modélisés selon une ontologie favorable à l’harmonie supputée dans la communauté d’hommes : la violence de la coupure sacré/profane équilibrant ces rapport à la vie, métaphysique et positif. Par exemple, d’après les observations de l’ethnologue, l’organisation des rites cultuels du Mani Rimdu ou du Dumdjé n’engage pas la participation de toute la communauté, mais un segment de celle-ci : la scénographie est l’apanage des moines bouddhistes qui esthétisent, par la danse et le chant, « la puissance du bouddhisme. […] La violence est […] métaphorisée, à travers les luttes d’influence entre les dieux du bouddhisme et les esprits locaux, que le premier a soumis et domestiqués […] .»
Le débordement de la fête est ici allégorique. Et l’assistance, dont est exclu tout homme d’une autre confession, regarde sans agir ce rapport de force esthétisé, canalisé par et dans sa représentation. Il est une autre « «tradition» locale» au sein de la communauté Sherpa, dit Lionel Obadia, d’organiser à l’adresse des jeunes et à des fins matrimoniales « des petits bals » où les libations excessives, désinhibitrices, sont d’usage[25]. L’ethnologue sème ainsi le doute quant aux liens établis, sur la base d’un évolutionnisme et d’un équilibre sociétal supposé chez l’homme communautaire, entre le spirituel, la fête, le déchaînement et le temporel, l’ordinaire et la modération au sein de la société traditionnelle.
Et Anne-Marie Green[26], de concert, d’interroger ce modèle conceptuel au terme de ses lectures attentives de Durkheim[27], Caillois[28] et Duvignaud[29]. Quelle fête, interroge-t-elle, s’apparente de nos jours à « la fête-célébration » de Durkheim[30] ? A «la fête-transgression» de Caillois ? Caillois, qui dans le prolongement de Durkheim, définira la fête telle un sacré de transgression, un temps extraordinaire où la communauté se régénère par le viol des systèmes d’interdits de l’ordinaire, afin qu’elle puisse revivre ses mythes fondateurs. Quelle fête aujourd’hui rappelle cet « infini de la subversion », ou la fête, vraie, de Duvignaud, « a-sociale » par nature ? Duvignaud qui, s’écartant du fonctionnalisme, du rapport de la fête au quotidien et à la religion, l’inscrira dans le registre de la négation, du social nié : la débauche et l’éclatement, idiosyncrasiques à la fête, n’ont lieu d’être que pour eux-mêmes. Nulle autre finalité à la fête : la fête. Et ce rejet du social d’être paroxystique aux heures anomiques de l’Histoire où la fête réinvente «ses propres figures». Si Lionel Obadia soutient que la « fête primitive » n’est pas universelle, Anne-Marie Green dit de plus, quant à ses trois déclinaisons, qu’elles sont impropres à penser la fête s’étant aujourd’hui fondue dans la civilisation des loisirs[31]. A ce sujet, l’équipe « Espaces, Cultures, Territoires »[32] précise : « cette convergence est en même temps une banalisation de la fête permanente, personnalisée (ce qui ne préjuge pas de l’abandon de l’inscription collective) et ubiquiste. »[33] Anne-Marie Green à la suite de François-André Isambert, conclut in fine à l’impossibilité de donner une essence à la fête qui échappe à la pensée analytique et à l’exercice typologique : « Le fait d’imposer un seul sens à la fête coupe court à tout apport d’information nouvelle, en réduisant l’observation à la tâche obsessionnelle de retrouver un même signifié à travers une multitude de signifiants. »[34]
Est-ce à dire que l’on ne sait ce qu’est la fête ? Dépouillée de toute substance, la fête fait figure de coquille vide. Anne-Marie Green pose néanmoins des invariants à la fête : le temps, le collectif, le symbolisme. Si les deux premiers fondamentaux sont saillants, la sociologue dit du symbolisme «que dans les situations de fête, il y a un dépassement de la répétition de la vie quotidienne et une tentative de manipulation du quotidien afin de se trouver dans un mouvement qui n’a plus prise sur le réel mais sur le symbolique, pour le seul plaisir et la seule jouissance.»[35] Voilà un sursaut redonnant matière à la fête, venant surligner la théorie de Daniel Grisoni[36] pour qui la fête déréalise la connaissance des choses d’un groupe, afin que ses membres puissent gagner le terrain de l’imaginaire, selon leur désir. C’est la traduction d’un « appétit » collectif, unanime et inventif, se manifestant en une jouissance observée qui inclinera Anne-Marie Green à définir la fête comme jouissance esthétique[37], une thèse heuristique propice à interroger la free-party : est-elle cet appel à un regroupement plus vaste, non confessionnel, pour jouir via cette esthétique, sonore et visuelle, techno ? Mais qu’est-ce que la jouissance ?
Jouissance, désir et plaisir, souvent mêlés dans la littérature scientifique, sont pourtant dissemblables. Nestor Braunstein[38] met en avant les retombées du virage épistémologique, en psychanalyse, après que Jacques Lacan se soit instruit de la philosophie du droit de Hegel[39] et qu’il ait traité du thème « psychanalyse et médecine »[40] . Une clarification terminologique s’en suit. Le plaisir, c’est la réaction mécanique permettant de soulager tout « éréthisme », le réflexe de diminuer la tension. Le désir - Eros - c’est le désir de reconnaissance du désir qui passe par l’Autre, dont il est la condition. Quant à la jouissance, c’est le régal de la Chose sans partage, l’usufruit, la répartition impossible. Jouissance et esthétique sont-elles compatibles ? La jouissance lacanienne est l’expression somatique de la décharge du ça. Or l’esthétique d’Anne-Marie Green est l’aisthètikos, cette connaissance sensible renvoyant aussi à la capacité de création. La pulsion n’étant pas gage de connaissance et d’imagination, et réciproquement, ces deux termes apparaissent antithétiques. L’esthétique trouverait une meilleure place, à l’égard de la jouissance, à titre de forme sensible dont l’excitabilité des sens est le but. Ainsi la free-party serait-elle cet art d’appeler collectivement, dans sa variante laïque, à la stimulation sensorielle afin d’encourager tout un chacun à la délectation isolée, à la décharge pulsionnelle ?
La jouissance des raves
Pour Jacques Cabassut, psychologue clinicien, et Jean-Michel Vives, psychanalyste[41], le profit sans partage de la Chose est certainement le propre des raves. Ces dernières sont pour les deux analystes des rites régressifs s’approchant analytiquement de la naissance de l’infans : une expérience traumatogène où la souffrance pousse à crier. Cette pulsion invocante, douloureuse, va trouver réponse dans le phonè et le logos de l’Autre, la voix et la parole maternelle allégorique d’un « Que veux-tu que je te veuille ? »[42] La réaction parentale, sonore et significative, s’inscrit dans la continuité de la naissance : elle est ce retour naturel aux sons inarticulés de l’infans. Le premier enjeu ontogénétique du nouveau-né : rompre le fil de la continuité en se faisant sourd à la sujétion et locution parentale ; se discriminer en rendant inouïe le matériel vocal de la mère d’une part, tout en se laissant marquer d’autre part, dans sa biologie, dans sa chair, par ce qui transcende la parole maternelle : le langage et l’ordre symbolique auquel le premier donne accès. « Cette surdité créera au sein de la psychè (…) un point sourd […] [défini] comme le lieu où le sujet, pour advenir comme parlant, doit en tant qu’émetteur à venir, pouvoir oublier qu’il est le récepteur du timbre originaire. […] [Cabassut et Vives] font l’hypothèse que cette surdité structurale est ce par quoi nous sommes protégés de l’hallucination auditive. »[43] La musique techno au sein des free-parties, par le paramètre du timbre, de l’empreinte sonore brute qu’elle privilégie, par ses arrêts inopinés et ses sons perçants, sa conjugaison musicale au présent, « surlignée » par les drogues, fait écho à cette voie originaire ; explique les hallucinations auditives dont certains jeunes, aficionados de raves, sont victimes, et qui les poussent à consulter. En somme, pour Cabassut et Vives, les free-parties relèvent d’une indifférenciation ritualisée, d’une jouissance incestueuse.
Aussi incontournable que soit ce point de vue, nous nous distançons de ses conclusions ; cette conception morbide de la jouissance, en rave, n’étant acceptable que dans la mesure où elle se fonde sur des épisodes psychotiques individuels : sont-ils représentatifs de la santé mentale des consommateurs de psychotropes et amateurs de rave et free-party ? Par ailleurs, cette problématique exclut de fait la possibilité que des jeunes puissent d’une part s’interroger quant à leurs émotions et sensations, « états d’âme » en dehors de toute cure et maladie mentale, et puissent d’autre part maîtriser leur consommation du Phármakon, loin d’être compulsive et source de dépendance[44].
Plus généralement, notre distance à l’égard de Cabassut et Vives trouve également sa raison dans l’asocialité de la jouissance qu’ils postulent en filigrane, la fermeture sur soi et le renoncement aux autres, le refus de mûrir. Est-ce bien le cas ? « Si la jouissance a quelque chose à voir avec la pulsion, c’est dans la mesure où la pulsion laisse un solde d’insatisfaction qui incite à la répétition : c’est dans la mesure où elle insatisfait que la pulsion historicise […]. La pulsion n’est donc pas quelque chose qui se satisfasse en ouvrant la voie à la jouissance, c’est une aspiration à la jouissance qui échoue, car elle doit reconnaître l’Autre et lui acquitter le quantum de jouissance qu’il exige comme loyer, pour la résidence qu’il lui offre. »[45] Pour Nestor A. Braunstein, nulle fatalité à la jouissance. Bien qu’étant une expérience solitaire, la jouissance induit potentiellement son propre renoncement ; la reconsidération de l’Autre, ainsi le réinvestissement symbolique ; la maturité psychologique.
En outre, réduire la jouissance à la seule triangulaire œdipienne ne permet pas d’épuiser sa compréhension. La jouissance, en principe individuelle et personnelle, s’éprouvant dans l’exclusivité, est cette coupure avec le réel social, historique, politique et idéologique : elle est le revers de cet avers, la réalité des hommes. Or, aujourd’hui, le réel postule la jouissance dans l’accession à l’Autre, dans ce pendant de la vie où il faut pourtant renoncer aux instincts, à ses orientations libidineuses.
Référons-nous à ce que Dany-Robert Dufour[46] nomme le « capitalisme généralisé » qui, relevant de l’économie intéressée des biens, cautionné par le néolibéralisme et l’utilitarisme, entretenu par une consommation en masse de l’objet marchand, investit aujourd’hui l’« économie des personnes » ou l’organisation de la psyché humaine, son mode social de fonctionnement et ses interrelations humaines nécessaires. Soit la dénaturation d’un domaine de réalité humaine par un autre[47]. D’après le philosophe, le passage du capitalisme industriel au capitalisme financier, le désengagement public de l’État et la gouvernance néolibérale de l’État-Nation, le démantèlement institutionnel subséquent, la marchandisation mondialisée des échanges des biens et services, la consommation en masse de l’objet et d’une culture ainsi réifiée, a accouché d’un mode de subjectivisation historiquement inédit se traduisant en une tyrannie graduelle du moi et en un effacement croissant de cette « instance terminale ou initiale de garantie (de soi) », de « cette figure de l’altérité transcendante »[48] : ce grand Autre, nous constituant symboliquement et inextricablement comme sujet. Quel type de société enfante des êtres qui ne s’obligent plus humainement entre eux ? Ce processus d’atomisation sociale redouble l’assèchement séculaire du creuset métaphysique de l’Homme, ce tiers transcendantal, imputable à la raison économique et capitalistique. Le philosophe évoque, pour ce qui est de la nosologie psychiatrique induite par cette reconfiguration subjective naissante, non pas la forclusion, mais des forclusions, celle lacanienne du Nom du Père ainsi que « (…) la forclusion de fait du nom du père, de la forclusion de l’inconscient, de la forclusion de la castration, de la forclusion du phallus, de la forclusion de la rencontre avec le nom du père (…).»[49] L’avènement des « états limites » dans l’histoire de la clinique, cet entre-deux psychotique et névrotique qui, s’exprimant non sans morbidité et s’originant dans une perte fondatrice (d’un être cher), à ce stade nosographique où la psychose[50] s’impose chez l’Homme à l’instar de la névrose[51] justifie le pluriel de la forclusion. Cette pathologie borderline tendrait même à s’imposer. « C’est vers une sorte d’état-limite entre névrose et psychose que se définit le sujet post-moderne, de plus en plus pris entre, d’un côté, mélancolie latente (la fameuse dépression), et, de l’autre, illusion de toute-puissance et fuite en avant dans des faux self, dans des personnalités d’emprunt, voire multiples, offertes à profusion par le Marché. Bref, on se retrouve moins que soi ou plus que soi. »[52]
Quant à la langue, « on est en train de passer d’une conception littéraire [de celle-ci], marquée par le manque et l’absence parfaitement exprimée par un Mallarmé (pensez [invite Dany Robert Dufour] aux fameuses lignes des Divagations (1897) : « Je dis : une fleur ! et, […] musicalement se lève, […], l’absente de tous bouquets ») à un pragmatisme techniciste de la nomenclature comme langue pleine et uniquement référentielle. [53]Cette conception de la langue comme relevant d’un emploi aventureux de signes aux référents singuliers, visant l’expression d’une thèse multi-référentielle, néanmoins déterminée, et la représentation par la pensée d’un réel absent, défie tout locuteur en l’obligeant à une rigueur sémiotique de chaque instant. Et à la répétition verbale. En l’état linguistique, l’expression d’une Vérité ou du désir de l’Autre, s’il veut être signifié et entendu, oblige son interprète à la redite : car, dès lors les mots tus, les signifiés se dérobent. A cette heure où le capitalisme devient total, où le néolibéralisme fonctionnalise, « économise » notre anthropologie sociale, où le néolibéralisme détourne la langue de son abstraction et du questionnement dont la langue littéraire est la condition, à ce stade où l’économie de marché fait du langage un catalogue d’entrée immédiate dans ce donné mondain utilitaire, la profession d’une Vérité, qui par principe se cherche à tâtons et se réaffirme assidûment, devient un non-sens. Un non-lieu.
Quant au désir, « il doit se taire cependant que la jouissance doit s’exhiber. Nous ne sommes plus dans la représentation, mais dans la monstration […]. En fait, c’est au fond la même chose une conception référentielle de la langue et le passage à la jouissance. C’est la saisie assurée de l’objet. »[54]Tel est notre eschatologie contemporaine : jouir de l’objet marchand lorgné, savourer cet autrui chosifié dans un simulacre d’intimité, parler des phénomènes sans nullement décoller du réel, sans interroger sa connaissance des choses en d’autres lieux intelligibles que soi ; nous régaler égoïstement, sans péréquation, de la perte d’autrui dans la concurrence salariale, de l’augmentation conséquente de nos gains au sein de la guerre économique mondialisée. La jouissance, cette modalité de l’être désubjectivisant l’Homme, ne nous semble guère douteuse dès lors qu’elle est adéquate aux circonstances : en l’occurrence dans la free-party, a fortiori au cœur de toute fête qui, par principe avons-nous dit, fort des propos d’Anne-Marie Green et de Daniel Grisoni, déréalise la conscience, la connaissance immédiate des choses et des êtres ; du réel. Dès lors où elle se trouve être cultivée là où il faut s’assumer comme sujet, là où il faut appréhender autrui et coopérer afin de s’adapter et vivre en société, dans les us de la réalité, nous nous affolons de sa présence en cet endroit chez l’Homme : d’après Dany-Robert Dufour, les deux pathologies mentales résultantes de l’étiologie néolibérale sont la dépression et la perversion. Cette dysphorie, ce négativisme, ce sentiment prégnant d’impuissance et de vacuité paralysante et cette aberration sociale, comportementale consistant à faire souffrir, à faire mal à l’autre, et à se complaire de la douleur engendrée, sont les actuels symptômes et mécanismes de défense, nés du réaménagement de la psyché humaine sous le poids néolibéral, face à l’oblitération, qui en résulte, d’autrui de notre subjectivité.
Quand Jacques Cabassut et Jean-Michel Vives renvoient cette fête techno à la haine primitive envers le père interdicteur ; dépeignent le Dj tel ce père de la horde qui, « déloyal », autorise à jouir ; quand ils diagnostiquent chez leurs patients, adeptes de free-party, au travers de leur mélomanie musicale, avatar d’une pratique toxique et maniaque, le refus primitif et incestueux de l’indifférenciation maternelle, c’est une jouissance exemplaire de l’asocialité, archétypale d’un complexe œdipien non dénoué, qui est mise en exergue. Leur solution ? « Encourager » le patient à sortir de la sujétion parentale en se faisant pas à pas « sujet invoquant », au sein de l’entre-deux clinique. En conséquence ils vont, qu’ils le veuillent ou non, dans le sens de l’opinion publique et de l’Etat quant aux free-parties, bien que leur rappel à la Loi symbolique – aux fondements inconscients de notre anthropologie, projetés par les sociétés puis mentalisés par leurs individus via le langage, intelligible et classificatoire par nature – ne se confonde nullement avec la loi réelle, cet ordonnancement plus localisé, moins universel, de l’interdépendance humaine en société.
Cela étant dit, nous nous refusons à prendre leur problématique ou partie pour le tout (de la question festive) ; leur position épistémologique les invitant par surcroît à appréhender, « tous les petits autres raveurs » disent-ils de façon paternaliste, tels des carencés affectifs entretenant une relation d’objet anaclitique avec le milieu festif. Ne faudrait-il pas tempérer l’anormalité pointée ? Leurs impensés disciplinaires inclinent d’une part à se méfier de la jouissance, en free-party, là où l’ethnologue ou le sociologue verrait une « épochè » à-propos, une manière de sentir (plus que d’être) propice ; d’autre part à surreprésenter, dans leur thèse, le caractère maladif des adeptes de rave. Il ne peut en être, de leur point de vue, autrement : accompagner ces jeunes patients dans leur « course désirante » précaire, les rappeler psychologiquement à la Loi. Or notre ère, marquée par le diktat néolibéral et économiste, affaiblit les fondements psychiques de notre être-au-monde, notre capacité inconsciente, sociale, à lier et délier symboliquement les étant afin d’être (humain), d’être sujet et donc le sujet d’autrui, à ce stade historique où les philosophies premières, réunissant l’Humanité dans une transcendance, sont sapées ; à notre époque économiste qui consolide la loi du marché, réelle, tout en exhortant les populations d’individus à l’immanence dans un jeu guerrier et marchand. Si la prescription clinique est de rigueur, l’anhistoricité et l’apolitisme de l’ordonnance médicale la rend chancelante…
Faut-il encore suivre nos pères devenus fous ? Doit-on accepter leur réalisme économique délirant et leur vision folle du sujet jouissant, dépeint par Dany-Robert Dufour comme : « acritique, post-névrotique, exposé à la forclusion, précaire dans ses personnaisons, mais souple et flexible. »[55]Le Père Lévi-straussien et Lacanien, structurel et symbolique, habitant notre inconscient, dépositaire de la Loi, n’en demeure pas moins, pour quiconque vit, éprouve, un père historique, réel, qui incarne l’éventualité, le possible législatif sachant conditionner et ordonnancer consciemment les interrelations humaines. Or le second semble, pas à pas, ôter tout crédit au premier. Pour ceux et celles désireux de vivre pleinement et librement tout en étant sociable, social, respectueux de ses semblables, il semblerait inévitable, vital, de questionner moralement sa praxis, selon cette morale définie par Hannah Arendt[56], au lendemain de cette fabrique de l’Homme nazi, telle une rationalité qui, personnelle, délibérative et scrupuleuse, juge seule du bien et du mal ; et non plus au regard des lois, des standards législatifs et historiques qui, s’ils sont immoraux et suivis aveuglement, conduisent à faire de chaque citoyen les appliquant des monstres en puissance. La « fabrique de l’Homme » néolibérale – antisociale et déshumanisante –, dépeinte par Dany-Robert Dufour, nous amène inéluctablement à cette considération.
Nous posions la question qui suit. La free-party est-elle cet « art » profane qui, stimulant les sens individuels, réduirait la tension organique ? Oui. Elle est un « art » irréligieux de faire la fête, d’ambitionner une jouissance, néanmoins circonstancielle et propice à l’espace et temps festif, mais qui ne satisfasse pleinement l’être qui l’éprouve, comme incline à le penser Braunstein. A plus forte raison que la free-party est épisodique et limitée dans le temps : sa finitude et son intermittence achèvent la jouissance festive en tant que contribution, effort collectif à un vécu solipsiste, à une expérience interne. Elle est un « art » frustrant la jouissance au cœur d’une société rendant pérenne, à l’ordinaire, le « délice » solitaire et l’appropriation de l’autre dans cette économie profitable des biens et des personnes. Le délire psychotique ne relève pas de la seule nosographie des amateurs d’underground et de techno. Son occurrence s’avérant croissante et concomitante de la néantisation de l’ « inconditionné », du dépérissement de nos symboles et de la Loi symbolique par la raison instrumentale, par la socialisation de l’intérêt et de l’économie, par le calque de l’économie de la personne sur celle des biens, cette psychopathie, cette situation psychotisante de la société dirait Dany-Robert Dufour, se comprend aujourd’hui plus généralement par l’idéologie néolibérale et sa traduction économique mondialisée qui enserrent les histoires familiales, infléchissent leurs relations étroites et intergénérationnelles, l’éducation et la pédagogie intrafamiliale, la psychologie des familles. En cas de psychose avérée chez une personne, saurait-on encore individualiser et pondérer les causes morbides aux seuls parents ? Est-il encore raisonnable de faire de l’espace et du temps de la fête techno le lieu privilégié d’une jouissance impure ?
Il nous reste, à ce niveau du développement, à interroger le troisième concept rendant compte de la free-party. Celle-ci fut légiférée après avoir été alarmée par les médias, l’opinion et les pouvoirs publics. Elle est une forme festive qui, vraisemblablement, a contrevenu aux mœurs festives de notre époque. En conséquence la free-party ne ressort-elle pas de cet aisthètikos, de cette connaissance sensible et inventive dont parle Anne-Marie Green au sujet de la fête ? N’est-elle pas aussi la preuve d’une rupture cognitive, d’une distanciation imaginée avec notre culture de la fête ? En d’autres termes, ne serait-elle pas contre-culturelle ?
Contre-culture et free-party : quel rapport ?
Dans son article traitant de l’underground budapestois lors de la dernière décade socialiste en Hongrie, Gábor Klaniczay livre une définition de la contre-culture. Expression que la plume de Theodor Roszak[57] a fait reconnaître, elle est « une critique culturelle [des année cinquante aux Etats-Unis] dont les racines [remontent] aux philosophes cyniques de l’Antiquité ou à des figures marquantes du christianisme médiéval, telles que Saint François d’Assise, mais aussi aux poètes romantiques des 18ème et 19ème (Blake, Byron, Shelley, Whitman), aux anarchistes et utopistes de la même époque (Bakounine, Tolstoï, Kropotkine) et, plus tard, aux poètes et écrivains de la Beat génération (Ginsberg, Burroughs, Kerouac).»[58] Ces derniers, auteurs et aèdes, sont les contempteurs ayant soufflé le vent de l’opposition sur leurs « descendants » des années soixante : génération qui a recodé ces « humanités » critiques en contestation politique et mode de vie hédoniste.
Eu égard au travail de Christiane Saint-Jean-Paulin[59] restituant les phénomènes de la contre-culture davantage qu’elle n’en examine le concept, la « New Left »[60]et les hippies sont les acteurs de la contre-culture états-unienne. Les manifestations estudiantines contre la guerre du Vietnam (1959-1975), la phallocratie et la discrimination raciale, pour le droit à disposer de son corps, l’entrée de la contraception et de l’avortement dans les mœurs, la sexualité débridée, la déculpabilisation de l’homosexualité, la fête, le psychédélisme, la consommation de marijuana et de LSD[61], la foi dans le mysticisme oriental, en sus la vie communautaire urbaine et rurale (séculière ou religieuse) et le rock’n’roll, tapissent le fil de trame des pendants de la contre-culture, hippies et nouvelle gauche. Elles prirent le contre-pied de la société « straight »[62] : bourgeoise, capitaliste et industrielle. Christiane Saint-Jean-Paulin dit de la « New Left » qu’elle est « la résurgence d’un courant anarchiste. [A ses dires], ce «Mouvement», comme on l’appelle, ne relève que les insuffisances de la démocratie américaine : il est l’expression des contestataires. »[63] Des épiphénomènes prochinois, prosoviétiques et trotskistes ont existé à ses marges[64] Les hippies incarnent une tendance « davantage orientée vers l’expression personnelle de l’individu. »[65]Et Saint-Jean-Paulin de réduire dans un premier temps l’écart entre les contestataires « tournés vers l’extérieur et l’action » et les hippies « vers l’intérieur et les sens » ; ces derniers rejetant la jouissance des biens matériels et l’abondance, la famille[66]. Avant de le creuser dans un deuxième temps : les relations entre activistes et hippies devenant difficiles avec le temps. Les premiers reprochèrent aux seconds, pas à pas, « leur utopie communautaire », leur tenue à « l’écart des combats politiques et des aspirations révolutionnaires. »[67]
Hormis l’expression épuisée de l’« objet », Christiane Saint-Jean-Paulin établit les conditions de possibilité de l’avènement de la contre-culture : un taux de natalité en hausse après la Seconde Guerre Mondiale, la révolution de l’éducation infantile instillée par le pédiatre Spock[68], la croissance économique états-unienne des années 60 et son corollaire, la société de consommation de masse[69] l’allongement du temps d’étude et le report de l’entrée dans le travail salarié. Selon le chercheur en littérature et civilisation, cette situation historique a accouché d’une manière d’être soucieuse de soi chez les jeunes, indépendante, jusqu’alors absente de la société américaine. Il en un résulte une incompréhension intergénérationnelle qui, alimentée par la « bohème littéraire et artistique » de la beat génération, fomentée par une sensibilité « naturelle » à s’indigner des carences, des inégalités sociales et raciales inconnues lors de l’enfance, aboutira à une dissension : la jeunesse des classes moyennes s’opposa au projet de société de leurs aînés. Et ce d’autant plus que l’impérialisme américain vacillant, la décolonisation, l’expansionnisme chinois et l’idéologie communiste se généralisant, ont décrédibilisé la politique de leurs devanciers.
Un contre-pouvoir
Compte tenu de cette présentation générale, la contre-culture serait un concept thématique, opératoire mais théoriquement faible. Elle subsumerait une inclination à la critique (héritée) des partis-pris et causes politiques, le « printemps de la vie », des manières d’être, de sentir et vivre, des croyances ; elle suppose la parenté, des changements démographiques, d’éducation, des transformations économiques, sociologiques, géopolitiques, la conversion d’une psychologie historique. La contre-culture serait un concept syncrétique qui, stabilisant des réalités différentes sans un souci pluridisciplinaire nourri de réconciliation épistémologique, se laisserait finalement débordé par son objet voulant tout dire. Donc ne rien dire. Michel de Certeau affirme de la contre-culture qu’elle « renvoie au jugement qu’une majorité porte sur des subcultures et dont les sous-groupes entérinent souvent les implications sociales lorsqu’ils le reprennent pour se qualifier eux-mêmes. »[70]Une définition qui, incorporant mésintelligence et verticalité, s’éloigne toutefois du noyau autour duquel la question de la contre-culture a été originellement débattue : la société technocratique désapprouvée par la jeunesse[71]
Jules Duchastel cerne mieux le concept, de notre avis, en le délimitant historiquement comme contre-tendance à la planification étatique qui, faisant bouger les lignes des conditions de l’exercice libéral vers celui de l’interventionnisme au cœur du capitalisme américain, s’accompagne d’une part de la hausse de l’audience sociale de la « petite bourgeoisie », de l’autre du progrès scientifique et technologique dont les experts sont les seuls garants. Les acteurs de cette contre-tendance ? La jeunesse de cette classe sociale qui, cristallisant en son sein toutes les contradictions[72] modernes du rationalisme, fera davantage preuve d’imagination, selon Duchastel, en revisitant les mœurs et les manières, qu’elle ne fera montre d’engagement politique : la manifestation publique d’un déchirement et la réforme au cœur de la démocratie représentative sont délaissées au profit de l’imagination et de l’action – une réinvention radicale de formes sociétales et morales suivie d’actes[70]. Quelle portée philosophique à ce réarrangement des formes vitales ? Faut-il y voir une crise de l’autorité ?
La contre-culture juvénile est l’expression d’un affaiblissement parental qui s’affirme au sein de la maisonnée, bien que ses raisons, comme nous venons de le voir, s’expliquent plus généralement, en un faisceau de causes et en d’autres lieux. Qu’est-ce à dire ? Selon Hannah Arendt, c’est le totalitarisme[74] du début du 20ème siècle qui, s’étant substitué aux « régimes des partis », a contribué à cette crise de l’autorité, plus ou moins générale et dramatique. L’autorité ne doit pas être confondue avec la hiérarchie pré-politique du foyer. Si la « continuité d’une civilisation constituée, […] ne peut être assurée que si les nouveaux venus par naissance sont introduits dans un monde préétabli où ils naissent en étrangers », force est de constater que les jeunes des années 60 se sont rapidement auto-constitués membres à part entière, de bonne heure, afin d’exprimer leurs idées du juste et de l’injuste. Et ce qu’il doit être en société. Or l’autorité politique ne s’assimile à celle du foyer domestique : la première est fondamentale au vivre-ensemble en tant qu’elle est une forme d’organisation et de fonctionnement sociétal, unanimement partagée, respectée ; dont les principes sont jusqu’à maintenant ecclésiastique ou temporel – révolutionnaire quelles que soient leurs essences.
L’autorité est une institution mémorable que la tradition – la demeure et la transmission intergénérationnelle – a pour but d’entretenir dans le temps : car il n’y a, selon Arendt, de communauté humaine sans acte de fondation historique primordiale, au sens romain. La contre-culture états-unienne fut cette accusation du chef de famille, coercitif par nature, et de ce qu’il véhiculait dans l’immédiat, un mode contemporain d’être bourgeois et industriel. Elle n’était cette attaque frontale de l’autorité pédagogique, au sens romain, le dénigrement de la pierre d’angle des Etats-Unis d’Amérique : la révolution américaine (1775-1783) et ce qu’elle impliquait, l’Etat, la république fédérale, la liberté, point dogmatique de cet acte de foi que fut la déclaration d’indépendance. Il faut donc relativiser la contre-culture au regard de ce qu’elle n’est pas : la révolution des fondations de l’édifice politique et social états-unien, le bouleversement de cette force liante originelle qui seule augmente le trait d’union entre chaque citoyen. En conséquence, nous ne suivons pas Saint-Jean-Paulin lorsqu’elle parle de « révolution culturelle au quotidien » en considération des us décomplexés des hippies. Ce n’est pas avec la (contre-)culture que l’on révolutionne l’ordre : les usages inhabituels, heurtant de plein fouet leurs garants, ne décrédibilisent pas les mythes fondateurs, ils les scotomisent. Leur retour à la conscience étant possible sinon probable. Il est à-propos, pensons-nous, de relativiser la contre-culture au pouvoir qui relève du peuple, afin d’en saisir la spécificité politique. En ces termes, la contre-culture est un contre-pouvoir qui, d’après l’anthropologue et anarchiste David Graeber, est la forme prédominante du pouvoir social dans les sociétés (dites) égalitaires. « Du point de vue institutionnel, le contre-pouvoir prend la forme de ce qu’on pourrait appeler des institutions de démocratie directe, de consensus et de médiations ; c’est-à-dire des façons de négocier et de contrôler socialement cet inévitable tumulte interne et de le transformer en des états sociaux […] considérés comme les plus désirables : la convivialité, l’unanimité, la fertilité, la beauté, peu importe comment cela est formulé »[75]. Une définition qui sied à la contre-culture.
Renouer avec le commun
Le commun dénominateur unissant la free-party française des années quatre-vingt-dix, cet « art » incroyant d’appeler collectivement à l’échec individuel de la volupté, et la contre-culture américaine des années soixante, cet exemple de contre-pouvoir, réside dans la société de consommation de masse. Pour autant que cette matrice soit commune, elle ne revêt en France les mêmes atours : la free-party y est fille du temps libre et du loisir de masse. Parce que le temps libre, cet espace de temps hors temps de travail salarié, s’emploie en grande quantité et d’une même façon, il ressort à la consommation de masse du temps – fongible. Quels usages du temps libre en France au 20ème siècle ? L’historien André Rauch allègue que nous sommes passés d’une doctrine du temps loisible mû par un temps solidaire durant la première moitié du 20ème siècle à cette désynchronisation, après 1975, du temps à soi[76]. Lors de la première séquence, chacun employait son temps libre, dit-il, à conduire pour le plaisir de la conduite, avant que celle-ci ne devienne utile grâce à ses gains de temps ; à se rendre performant, sportivement ; à s’instruire et à cultiver ce sentiment communautaire né du suivi massif d’une même émission qui, radiophonique ou télévisuelle, appelait à communiquer après-coup ce que l’on avait entendu ou vu. L’intervalle 1960-1975 marque un virage : la capitalisation du temps, les objectifs calendaires deviennent obsolètes. Apparaît l’authenticité de l’instant et le temps-marchandise à la carte des sociétés de service du loisir (clubs de loisir, opérateur de tourisme, etc.). Et l’appétit pour la nature, les contrées et paysages intacts. C’est après 1975 que les latitudes laissées s’individualiseront tout en se centrant, par degrés, sur la vie au présent, l’exotisme, le divertissement, le spectacle, la griserie intérieure, la mise à l’épreuve de soi – preuve que l’on vit – et l’image affirmée de soi – la confirmation publique d’une « identité ». La free-partie, faisant sienne le tempérament du loisir d’après 1975, est selon l’historien André Rauch contre-temporelle[77] : elle renoue avec la communauté de goût s’indexant sur un même rythme de vie commune et festive, alors que le temps libre de la masse s’éclate aujourd’hui en des segments de temps de loisir personnalisé.
Pour conclure
Dans notre civilisation du loisir, profiter de son temps libre se normalise. Et celui qui en est incapable, qui ne fait rien d’autre que de n’être rétribué pour ce qu’il fait, risque d’être déprécié. Animée par le travail salarié au cœur d’un capitalisme financier, notre société a aménagé pour ses individus des temps d’interruption du travail. Ces derniers, s’ils se dissocient du temps laborieux et de l’espace de travail, n’en demeurent pas moins entièrement conditionnés par la marchandise, le commerce et le marketing ; intégrés à la production, à la distribution et à la consommation. En somme à l’économie qui, ubiquiste, totalisant le temps social, est inévitable. Baudrillard alléguait que la vérité de la consommation, réside dans le fait qu’elle feint la fonction de jouissance, l’usage entier à titre personnel d’un bien remplaçable. Sa vraie nature est éminemment collective : « […] quand on consomme, […] on entre dans un système généralisé d’échange et de production de valeurs codées, où, en dépit d’eux-mêmes, tous les consommateurs sont impliqués réciproquement. »[78]
La free-party n’a pas eu vocation à faire parler les individus selon les structures de la langue de la société de consommation : « la circulation, l’achat, la vente, l’appropriation de biens et d’objets/signés différenciés […] »[79], bien que connus des acteurs de la free-party, n’étaient pas semble-t-il visés par les jeunes organisateurs de free-party. Cette fête techno n’a-t-elle pas évacué la marchandise de ses rapports sociaux ? Nous le pensons. Elle fut cette fête ayant déréalisé l’objectivité de la jouissance, les cadres économiques et sociaux de ce moi avide, hégémonique et réifiant ; cadres qui se matérialisent dans toute société de service, toute entreprise commerciale du loisir contemporain tirant profit de la jouissance, devenue modalité d’usage – cette façon de chosifier autrui et de cultiver l’avoir – dans le réel de l’Homme néolibéral. Elle fut cet « art » irréligieux d’abstraire ce pendant des loisirs de l’économie capitaliste et financière, en détournant l’attention individuelle du temps à soi marchand, par la création à dessein d’une réalité provoquée, festive en des lieux inattendus : champs, forêts, entrepôts, usines désaffectées, etc. Devenant sensation pure en cas de succès festif, le teuffeur jouit de la situation.
Ce seul critère, la jouissance en tant qu’elle est une manière de sentir, une épreuve banalisée par notre culture de la fête ressortant à la consommation de masse, au temps libre et de loisir, plus généralement au projet néolibéral à l’initiative de la nouvelle économie de la personne décalquée de l’économie des biens marchands, n’est pas ce qui distingue la free-party. Elle serait l’expression, de ce seul point de vue, de son époque, de l’idéologie néolibérale et de la culture occidentale de la fête. La free-party, plus expressément la jouissance de la free-party, devient contre-culturelle en ce sens qu’elle ne suppose pas la disposition, le privilège de l’article manufacturé et coûtant. A l’inverse de la satisfaction de la chose, sa jouissance fonctionne objectivement sur la base d’une réunion d’êtres qui, s’influençant en lieu et place, tous sensibles à l’esthétique du bruit et à l’iconographie techno, formant ainsi une communauté de goût, se laisseront envahir par leurs émotions pour vivre un rapport exclusif : ce rapport au réel qui, festif, concourt à éluder autrui. Pointons l’enseignement d’André Rauch : la free-party est contre-culturelle à la mesure du temps, de l’évolution historique des loisirs et de leur individualisation croissante : elle fut une passion commune, une « faim » partagée d’esthétique techno, certainement la manifestation d’un désir personnel qu’autrui règle comme soi-même son propre temps à l’heure techno, à contretemps des loisirs et du temps libre individuel.
Pour Jean Baudrillard, la jouissance, cet état psychique se reconnaissant dans le bien procuré, est fallacieuse au cœur de la grande consommation : cette impression en masse d’unicité, ce délice privé de la consommation et de la distinction par la consommation est trompeuse dès lors que chacun jouit de l’objet sérialisé – « du même ». La jouissance était peut-être plus authentique à l’intérieur de la free-party pour autant qu’on n’y jouissait pas d’un bien, faussement unique et jalousé, d’une unité de collection disputée. C’était le regroupement d’êtres inaliénables qui permit la jouissance : les teuffeurs ne faisaient de l’être de l’autre leurs propres biens. Fruit d’une émulation collective, cette jouissance participait d’un repli sur soi, ni plus ni moins. C’était cette assemblée, ce regroupement, ce pré-requis de la jouissance, du ressenti intense né d’une soustraction aux autres, qui fut recherchée pensons-nous, par tout aficionado des free-parties ; et non le bénéfice de l’autre ou le droit d’usage à titre personnel du bien marchand. L’authenticité venait de cet accord collectif unanime, implicite, néanmoins effectif, à « se perdre un moment » et individuellement, pour son seul plaisir. Il n’y avait, semble-t-il, nulle duperie dans cela. Les acteurs de ce phénomène techno, free-party, ont, par leur volonté festive de s‘affranchir des établissements de nuit, réinventé ce faisant dans l’entre-deux siècle une jouissance esthétique qui, non lucrative, ne tenant pas de la possession ostensible, bien que dépouillée de tout message[80], était axée sur le don et le contre-don[81], l’expérience individuelle d’une retraite au monde et dont les préalables furent la réunion d’individus, la sensibilité partagée quant à l’esthétique techno. A l’initiative d’un contre-pouvoir esthétique dans nos loisirs policés, les sound-systems des free-parties, ces collectifs de jeunes adultes passionnés de techno, ont proposé une alternative à la jouissance de marché.
Postface
Pour terminer, quelques questions lapidaires à l’adresse de ces journalistes, intellectuels, chercheurs et lignes éditoriales en sciences humaines et sociales qui n’ont eu de cesse, depuis une décennie, de tirer à boulet rouge ouvertement, ou de façon subreptice, sur ces jeunes gens et technoïdes, de régler leur focale sur une barbarie technologique et musicale ; de décrire des mœurs viciées, incohérentes, d’arguer de palinodies ou de l’absence de tout discours crédible sur la pratique ; de dénoncer à outrance, par cette antienne de la classe sociale émoussée, la platitude et l’inconséquence historique masquée sous la rébellion manifeste.
Qu’ont fait ces aînés et savants, népotistes et calculateurs, journaleux surfant sur les peurs fantasmées de la machine et de l’informatique, sur l’inquiétude née de rites ordaliques[82]tout en profitant grassement du juteux audimat, des financements de circonstance, d’une conjoncture anxiogène propre à produire de la connaissance condescendante et relativiste et à se faire un nom sur la base d’une question de départ imposée et doxique, hormis jouir, selon les termes du contrat marchand, de jeunes gens réifiés en des sujets de recherche ou reportages à sensation, pris dans les rets disciplinaires, au piège le plus souvent dans une seule et morne théorie, rudimentaire, plagiée dans l’opportunité, ou sous influence mandarinale, par souci de carrière et de vile préservation « familiale » ?
Qui sont ces « sachant », ces adultes a priori responsables, éclairés et avertis, qui avilissent, infantilisent et cassent intellectuellement sans le moindre état d’âme, une partie de sa jeunesse ? Que sont ces folliculaires et universitaires de strass qui concourent, par leurs travaux ou propos de couloir et influences, à faire du lien intergénérationnel une relation de défiance, un rapport sécuritaire ? Et qui sont ces éhontés avides d’audience pour fabriquer des stéréotypes publiquement cafardés, moucharder que les jeunes rebelles d’hier sont aujourd’hui de serviles bien-pensants alors qu’eux-mêmes se sont intellectuellement corrompus, en connaissance de cause, à la stratégie de Lisbonne, à l’employabilité de l’Université, à la concurrence intra et interdisciplinaire dans cette Europe des régions néolibérales d’un savoir abâtardi, de laquais, au garde-à-vous idéologique – marchand [83]? Qui sont ces ascendants instruits, rabaissant par l’intellect, certains segments de la jeunesse alors qu’ils se déshonorent misérablement par leurs reportages de voyeur, ou en faisant de la bibliométrie, des relations statistiques de citation, d’une réputation internationale somme toute calculée, les preuves d’une Vérité de sophiste ?
_____________________________________________________
Bibliographie
CHION M. (2000), Le Son. Traité d’acoulogie, Paris, Armand Colin, (2ème éd.).
MAUSS M. (2001/1ère éd. 1950), « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », Sociologie et anthropologie, Paris, PUF.
POURTAU L. (2009), Techno. Voyage au cœur des nouvelles communautés festives, CNRS.
NOTES
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
Emmanuel Grynszpan dit de «L’expression anglaise «live-act» [qu’elle] signifie jeu en temps réel (…) Il est un mode de jeu qui peut se pratiquer à plusieurs, en général de un à trois musiciens » (Emmanuel Grynszpan, Op.Cit., note n˚5, p.69). Ce jeu se réalise grâce à ces instruments : boîte à rythme, synthétiseur, séquenceur, «sampler» ; tous raccordés en MIDI. La boîte à rythme permet d’obtenir les battements de la musique techno, elle édite la pulsation. Le synthétiseur est «un instrument électronique actionné par un clavier ou des potentiomètres et capable de produire un son à partir de signaux électriques numériques» (Emmanuel Grynszpan, Ibid., p.90). En plus de posséder une fonction rythmique, il rend possible le traitement de toute une palette de sons autres que ceux constituant habituellement le rythme. Il est un instrument plus complet. Le séquenceur enregistre chaque son de la boîte à rythme et (ou) du synthétiseur en une suite homogène de sons sur une piste attitrée. La superposition des pistes et leur jeu en synchronie forment la composition musicale. Le « sampler », l’échantillonneur en français, partage la fonction du séquenceur mais s’en distingue par sa fonction majeure : l’importation des sons provenant de sources différentes que ceux produits par la boîte à rythme et le synthétiseur. Enfin le MIDI, abréviation de Musical Instrument Digital Interface, est un « langage numérique » coordonnant l’ensemble des instruments, ainsi de faciliter leur emploi. Tous ces instruments se retrouvent aujourd’hui sous forme virtuelle, de logiciels, dans la Musique Assistée par Ordinateur (MAO).
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
Les raisons de ce besoin d’«ailleurs» ? Eric Boutouyrie affirme que le désastre de l’architecture, la réappropriation d’un temps trop rationnalisé, l’ « évanouissement » de l’art en zone urbaine et la quête d’un tourisme alternatif motivent ce besoin d’un habitat faits d’artifices dans notre village global.
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-