Ana ESPINOSA SEGUI
Département de Géographie Humaine
Université d’Alicante
Espagne
Droits de reproduction et de diffusion réservés © LESTAMP - 2005
Dépôt Légal Bibliothèque Nationale de France N°20050127-4889
Les dernières décennies du XXème siècle et le début du XXIème ont été marquées par une forte turbulence économique, politique, culturelle à l’échelle mondiale, provocant l’accélération des processus et innovations qui de façon cyclique et naturelle ont lieu dans la majorité des villes, afin de réadapter les structures urbaines héritées aux nécessités du moment. Ces transformations peuvent se résumer à une tendance à la mondialisation des activités économiques et culturelles, les pays occidentaux aux économies les plus avancées maintenant une position évidente d’hégémonie et de leadership par rapport aux économies les plus fragiles et arriérées.
Si l’on considère le premier groupe de pays, ces tendances économiques ont supposé une claire division spatiale du travail, puisqu’en délocalisant leurs traditionnelles activités primaires et industrielles à d’autres pays aux revenus économiques plus favorables pour les premiers, elles ont orienté les activités productives de leurs propres pays et villes vers une tertiarisation évidente de l’économie. Bien que les processus de tertiarisation aient commencé dans les années soixante et soixante-dix dans certains pays d’Europe septentrionale et aux États-Unis, ce n’est que dans la moitié des années quatre-vingt-dix, qu’on a pu saisir avec plus de clarté le résultat final que le réseau compliqué des activités tertiaires a tissé dans la configuration des nouvelles villes.
Étant donné que la ville des services s’est substituée à la ville industrielle, la production a laissé la place à la consommation, et de cette façon, les processus qui en découlent configurent de nouvelles relations au sein de la société urbaine, et entre celle-ci et la ville. Pratiquement, au cours des quinze dernières années, la consommation s’est érigée comme une force économique significative opérant dans les villes occidentales, tant dans le commerce, le tourisme, la restauration, la culture, le loisir, l’architecture ou le design urbain. La nécessité de réadapter les espaces urbains traditionnels et obsolètes aux nouvelles nécessités que la consommation requiert dans la ville, a déclenché une véritable compétition plus qu’internationale, urbaine, pour arriver à attirer des résidents, du travail, du capital et des visiteurs (Chevrant-Breton, 1997) dans chacune de ces villes, qui s’insère ainsi dans des marchés plus choisis, dynamiques, rapides, capitalisés et en définitive, globalisés.
Les rénovations urbaines, les réhabilitations d’espaces dégradés ou les grandes opérations de transformation urbaine ont été les outils utilisés pour accroître les différences entre les différentes villes et obtenir les avantages compétitifs souhaités qui rendent ces dernières différentes et uniques aux yeux des investisseurs et des visiteurs. Cependant, les flux de capital humain, économique, politique et culturel, inhérents au processus de positionnement global des villes occidentales, se déplacent et se développent beaucoup plus habilement sur ces territoires, trouvant dans les villes leurs moteurs les plus efficaces d’expression et de propagation. Le résultat est l’homogénéisation des formes urbaines et de consommation, et la perte d’identité de la structure culturelle et sociale précédentes. L’analyse de ces processus toujours plus fréquents est le point de départ de cette recherche. On va essayer d’exposer les tenants et aboutissants de cette nouvelle configuration des espaces dans les villes et chez les citoyens, véritables agents impliqués dans ces processus.
Analyse bibliographique
A leur début, les études relatives à la consommation urbaine des pays occidentaux ont été marqués par une forte tendance à l’économisme. C’est pourquoi les recherches quantitatives qui prétendent modéliser les règles de consommation et de comportements des consommateurs (Bacon, 1984) abondent sous l’influence des théories rigides sur l’espace de Reilly ou Christaller. Les événements qui se sont produits depuis la fin de la décennie des années 1980 dans les sociétés occidentales, et l’impossibilité pour ces théories d’expliquer la majorité des processus existants dans les villes, ont suscité le rapprochement des sciences sociales de l’étude de la consommation, ce qui s’est traduit par l’enrichissement, tant en volume qu’en contenu, des recherches en la matière dans une perspective plus humaine et sociale, sans oublier chez aucune de ces disciplines, l’importance accordée aux processus de globalisation.
Étant donné que la perception est une composante importante de la consommation, le champ de la sociologie a apporté de nombreuses recherches qui analysent plutôt le comportement des consommateurs sur les marchés urbains (Solé, 2003 ; Zukin, 1998, 1999,2004 ; Chatterton & Hollands, 2003 Clarke, 2003 ; Zorilla, 1990 ; Baudrillard, 2001 ; Ritzer, 1996 ; Wyne&O’Connor, 1998), y compris, leurs répercussions dans la restructuration des aires de consommation de la ville. En ce qui concerne la Géographie, les études ont été décisives, tant du point de vue de la Géographie du Commerce (Bromley&Thomas, 1993), de la Géographie urbaine (Soja, 2000, Van Kempen&Marcuse, 2000) ou de celle du Loisir. L’importance capitale que présente l’étude des espaces dans la consommation a été à l’origine ces dernières années d’une fécondité de la recherche dans cette discipline si l’on compare avec les périodes précédentes. Si bien qu’aujourd’hui s’est institutionnalisée une Géographie de la Consommation, dont le champ d’étude concerne les paysages procédant des activités de consommation (Jackson, 1999 ; García Ballesteros, 2000). De même, les apports de l’Architecture (Kumar, 2000) supposent une vision souvent critique des nouvelles tendances homogénéisantes du design urbain et de la morphologie de la ville.
Tous ces apports considèrent la ville comme un espace dans lequel se concentrent toutes les formes de la consommation, accordant du coup plus d’importance aux activités ou à leurs formes qu’à la ville même. Cependant, le suivi du processus de globalisation ayant pour base les villes nous permet aujourd’hui de parler du concept de ville en tant qu’espace de la consommation. A ce sujet, les apports de Barbara Czarniawska (2002), Paul Di Maggio et Walter Power (1991) et de Jan Neverdeen (2004) ouvrent une autre direction de travail qui se centre plus sur les changements de la ville et est celle que nous allons aborder dans cette recherche. Conformation de la ville comme espace de consommation postmoderne. Comme l’affirme Clarke (2003) dans « Consumer society and the postmodern city » la consommation a été un instrument utilisé par les économies capitalistes pour leur bon fonctionnement et développement. Ainsi, l’augmentation de la consommation dans la société actuelle et la configuration des espaces urbains destinés à cet objectif, est davantage une stratégie commerciale (Pecourt, 2001) développée par la globalisation qu’une tendance naturelle de l’économie et de la société.
Déjà à l’étape productive des sociétés capitalistes, le système économique en vigueur, basé sur la production fordiste a promu une consommation de masse, standardisée et homogène, et ce d’une manière démocratique, puisqu’il a donné accès au marché des biens de consommation à une ample majorité de la société. C’est ainsi que s’est rompue la hiérarchisation sociale préexistante auparavant, et qu’ont surgi les premiers paysages urbains destinés à la consommation de masse tant dans les villes comme dans les espaces suburbains. Dans la ville, on a remarqué le déplacement du centre historique d’une grande partie de l’activité commerciale vers les aires centrales planifiées, généralisant l’offre et la demande auprès d’un grand volume de population. Les espaces suburbains, incarnés par des lieux plus caractéristiques de la consommation fordiste : les centres commerciaux, ont été mis en évidence car ce sont des espaces absolument destinés à la consommation des classes moyennes et populaires, du point de vue résidentiel, par l’usage du territoire et par l’augmentation de la mobilité individuelle.
Cependant, même si on considère cette période comme l’embryon de la société de consommation actuelle, les vrais mécanismes qui déterminent la réalité économique présente sont plus liés aux récents processus économiques, politiques et culturels induits par le phénomène de la mondialisation ou globalisation. En premier lieu, au cours des dernières décennies il y a eu une forte croissance de la mobilité du capital au niveau global, tant du point de vue humain, technologique, culturel, (Zukin, 2004) qu’économique. Les conséquences directes de ces mouvements se trouvent d’une part dans les villes avec l’apparition d’un plus grand métissage culturel, et d’autre part dans les sociétés d’origine et de réception, avec un changement de perception des différences culturelles et sociales existantes dans le monde dû à une plus grande interaction et proximité entre cultures.
On peut distinguer trois types de mouvement de population qui affectent directement les villes. Les mouvements migratoires internationaux des pays pauvres vers les pays aux économies plus avancées, centrés essentiellement sur la recherche de meilleures opportunités de travail, sociales ou sanitaires, déplacent un nombre croissant de personnes vers les villes occidentales. Les installations de population émigrée dans les villes tendent à reproduire les espaces de consommation des pays d’origine de ces populations, comme les commerces, les espaces sociaux et de divertissement, les restaurants, dans le but d’approvisionner les autres concitoyens et de créer une nouvelle offre dans la ville où ils vivent. [2]
En même temps, la diminution des coûts de communication et par conséquent, la mort de la distance ont augmenté les voyages à finalité touristique non seulement nationaux mais internationaux pour un nombre toujours plus grand d’habitants. Ce type de voyages suppose une approche et une plus grande connaissance entre cultures auparavant inconnues entre elles, qui se traduit ensuite par une recherche et une répétition des règles de consommation dans les pays dont sont issus les voyageurs, créant de nouveaux vecteurs de demande, qui dans de nombreux cas, sont captés par les commerces sus mentionnés de la population émigrante.
Il existe un troisième type de mouvement de population, suscité par les nouvelles relations économiques établies entre des territoires de toute la planète, à cause de la mobilité du capital économique et technologique. Ces mouvements du capital technologique et économique s’appuient sur les progrès des secteurs de l’informatique et de la communication, en rapprochant des marchés, le « e-commerce » (Ascher, 2001), des stratégies et idées diverses une grande partie du monde, et en étendant entreprises, investissements ou formules commerciales transnationalisées à un large spectre de pays. Les villes, dans ce sens, jouent un rôle de premier ordre dans la captation de ces capitaux et leur diffusion. L’acquisition du capital culturel est en relation avec la connaissance accrue qui caractérise la société des biens de consommation existants sur le marché, ce qui fait que l’immersion dans la consommation a suscité l’apparition de bibliographies, programmes de télévision ou guides de la consommation qui aident les consommateurs à différencier les produits en les familiarisant avec ces derniers.
En second lieu, la plus grande facilité des mouvements de capitaux déjà cités induit une compétitivité accrue entre les pays et les villes les plus représentatifs du panorama économique pour attirer ces capitaux. C’est la raison pour laquelle dans l’étape actuelle fordiste, la ville se trouve dans une permanente production et redéfinition de son image (Zukin, 2004). Ainsi, la nécessité de remplacer des environnements épuisés par d’autres, dont la nature soit plus adéquate aux services postindustriels (Savitch& Cantor, 2002), et qui répondent mieux aux besoins des travailleurs, investisseurs, touristes ou professionnels des services devient de plus en plus prégnante.
En troisième lieu, une fois que la production des biens a été déplacée vers d’autres villes et pays, la nouvelle ville occidentale dépend plus que jamais de la production de consommateurs irremplaçables à la survie de son économie (Baudrillard, 2001). Ainsi s’est accéléré le besoin d’insérer encore plus la société non seulement dans le monde des biens de consommation, mais dans celui des services en lui apprenant à vivre dans une société de marché (Zukin, 2004), et en lui montrant cette consommation comme l’unique pont ou lien que le citoyen postmoderne peut avoir avec sa ville ( Miles & Paddison, 1998).
Sans doute serait-il trop catégorique d’affirmer que ces changements ont été provoqués par les processus de mondialisation ou globalisation en vigueur aujourd’hui, alors que le mélange commercial, culturel et économique existe dans la plus grande partie des sociétés urbaines depuis longtemps. Mais le changement fondamental qui nous permet de parler d’un nouveau système urbain est que ce mélange ne se présente pas dans l’actualité comme un processus, mais comme une image (Neverdeen, 2004), qui dans son ambigüité, marque la ville de façon définitoire. La conjonction de tous ces processus déjà signalés déterminent deux phénomènes contraires et en même temps complémentaires : diversification et homogénéisation.
L’enrichissement culturel et social que suscite la coexistence de plusieurs sociétés dans la ville, la convertit en un microcosme de la consommation, donnant lieu à une très grande variété positive de formes et modèles de consommation, tendant à une offre et une demande de produits procédant de n’importe quelle partie du monde et à des établissements plus individualisés ( Zukin, 2004).
Mais ces processus de globalisation opèrent simultanément dans d’autres directions, car la compétitivité nécessaire entre villes a entraîné une rénovation morphologique et fonctionnelle des espaces les plus caractéristiques et originaux de chaque ville, comme les centres historiques, les fronts maritimes, les espaces centraux ou aires symboliques de la ville, fondée sur les mêmes stratégies ( Savitch& Cantor, 2002). Les rénovations urbaines ont été faites en vue d’un meilleur repositionnement urbain, et dans ce souci, gouvernements, administrations locales, architectes et urbanistes ont commencé à répéter, copier ou façonner des formules à succès utilisées auparavant dans d’autres villes de rang plus ou moins égal.
Le résultat est qu’une grande majorité des espaces rénovés tendent aux mêmes rénovations morphologiques, à la vente de la valeur architectonique, culturelle et historique de l’espace comme objet de consommation (Clarke, 2003) pour visiteurs, touristes ou simples citoyens. Une fois la rénovation achevée, la revalorisation de ces aires provoque une expulsion directe des établissements de consommation traditionnels et l’arrivée de firmes commerciales multinationales, plus solides économiquement et connues des consommateurs. Ce type d’établissements est arrivé à se convertir en moteur de rénovation urbaine, dominant certains espaces et le caractère des villes (Milles, 1998).
A d’autres occasions, lorsqu’on a pu sauver le caractère des espaces centraux, la croyance que l’une des meilleures garanties de succès de cet espace est l’adoption de ces mêmes établissements de consommation transnationalisés fait que des formes de commerce, de loisir et de service internationalisés se combinent à des paysages symboliques et de grande signification locale. Ce type de processus se dénomme localisation globale (Neverdeen, 2004) ou déplacement local (Zcarniaswala, 2002), mais en définitive, le résultat est la conformation d’espaces hybrides (Neverdeen, 2004), mixtes dans leurs formes et contenus, qui ne représentent pas la ville, mais qu’on ne peut pas non plus classifier comme standardisés.
Les problèmes plus sérieux que posent ces paysages mixtes dans la ville se trouvent dans les relations que les citoyens entretiennent avec le milieu urbain et dans le changement de leurs habitudes de consommation. En tenant compte du fait que la consommation est le mode le plus fréquent à travers lequel la société interagit avec la ville (Zukin, 2004 ; Clarke, 2003 ;Miles& Paddison, 1998), la plus grande convergence des espaces les plus représentatifs de consommation urbaine transforme les règles de comportement et de consommation de l’ensemble des sociétés. Les consommateurs sont déjà tellement en relation avec les marques, succursales et établissements franchisés que s’est crée un instinct pour éviter l’inconnu( Schlosser, 2001), qui se répercute très négativement tant sur les établissements des service indépendants comme sur les paysages urbains qui sont en train de cloner leurs aires centrales (Catalano). En plus, cette homogénéisation est en train de diluer les cultures et traditions urbaines locales, ainsi que les symboles qui définissaient chaque ville auparavant.
La nouvelle conception de la ville comme espace de consommation est en train de créer des espaces analogues, sans différences régionales, qui finissent par désorienter les consommateurs et les citoyens. Même si des tendances contraires existent, on l’a déjà souligné, l’homogénéisation des paysages de la consommation des espaces centraux de la ville se présentent comme une des images les plus confuses et ambigües de la post modernité. La volonté de beaucoup de villes d’être spéciales et différentes des autres a provoqué un phénomène contraire, donnant lieu aux mêmes processus d’homogénéisation et de standardisation que ceux à l’œuvre autrefois à propos des établissements et des produits.
Ana ESPINOSA SEGUI
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Dépôt Légal Bibliothèque Nationale de France N°20050127-4889
Traduction : Pascale BOURMAUD :
10, Rue Louis Blanc 75010 Paris, Tél : 01 44 84 02 77
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