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Mondialisation et processus de décision :
La construction de consensus aux Pays-Bas


 

Jacqueline de BONY
Gestion et Société, CNRS - LISE
Droits de reproduction et de diffusion réservés © LESTAMP - 2005
Dépôt Légal Bibliothèque Nationale de France N°20050127-4889



Existe-t-il un mode de décision de la mondialisation? La globalisation résout-elle la question de l’accord entre individus de cultures différentes?
La construction de consensus est un mode de régulation prôné par de nombreuses institutions internationales et entreprises multinationales. Il est perçu comme  permettant d’accéder à une solution commune entre individus provenant d’ horizons divers. A cet égard, les sociétés de l’Europe du nord sont parfois données comme exemples de démocraties consensuelles. Les discours les concernant mettent en avant les ressources humaines telles que l’écoute, la concertation, le travail collégial et la délibération. Mais qu’en est-il de la réalité ? Le consensus nous offre-t-il une formidable leçon de démocratie ou seulement une image d’Épinal ? Comment, à partir d’opinions ou de convictions différentes, parvient-on à une décision unanime sans faire de déçus ?

Les Pays-Bas constituent un terrain très favorable à l’étude du consensus. En effet, celui-ci  n’y fait pas seulement l’objet de discours, c’est une réalité courante. Les acteurs font preuve d’une grande capacité à trouver entre eux des compromis sans la nécessité de recourir à une autorité qui fait taire. Cette aptitude est d’autant plus remarquable qu’elle est accompagnée par une très grande autonomie individuelle. Toute la société et l’éducation reposent sur la construction d’un individu maître de lui-même et responsable. Cette coexistence d’autonomie individuelle et de capacité à coopérer incite à étudier la façon dont les Néerlandais concilient ces deux aspects dans la construction de consensus.

Le processus de décision néerlandais est retenu comme terrain d’ analyse. La réunion décisionnelle est étudiée à travers ses procédures, ses normes d’interactions sociales et quelques éléments particulièrement significatifs de son déroulement (section 1). Le texte décrit ensuite une série de dispositifs sociaux qui conditionnent la construction de l’accord (section 2). L’interprétation d’interviews permet  d’élucider la façon dont les acteurs donnent sens à ce mode de décision (section 3). L’articulation entre l’autonomie individuelle et la coopération est alors explicitée. La discussion met en relief les fondements de ce mode de décision ainsi que son enracinement culturel (section 4).


1- Le processus de décision et la réunion décisionnelle

Aux Pays-Bas, dès que plusieurs individus sont concernés par une question, ils se réunissent pour en parler et décider de façon collégiale. La réunion décisionnelle occupe une place centrale dans le processus de concertation à la fois formel et informel qu’ils mettent en place. La littérature managériale néerlandaise (van Lente, 1991) décrit le processus de décision à l’aide d’une série d’étapes : orientation, recueil des avis et élaboration de la décision. Elle relève clairement le caractère collectif du processus mais n’élucide pas le mécanisme de convergence des  positions et encore moins les représentations collectives qui permettent cette convergence.

1-1 Les règles du jeu

La réunion décisionnelle ou « vergadering », se déroule selon une procédure quasiment identique au sein d’une entreprise, d’une institution ou même d’une organisation bénévole (Shetter, 1997). Elle est caractérisée par :

> Une structure hiérarchique définie avec au minimum un président et un secrétaire
> Un ordre du jour détaillé et séquencé, préalablement distribué et rigoureusement suivi
> Un document écrit rapportant précisément les actions à conduire et servant de référence pour la réunion suivante.

> La réunion décisionnelle obéit aussi à une série de normes dont:
> L’accord tacite des participants à se plier à la décision du groupe
> L’interruption du processus en cas de désaccord ou d’imprévu
> Le droit du président d’exercer son pouvoir hiérarchique sur les participants en cas d’entrave au déroulement du processus.

1-2 Le déroulement : routines et habitudes

On remarque d’abord l’organisation spatiale: tout les individus se font face. En début de réunion, le président décline le nom des absents excusés un peu comme dans un  rituel. Ensuite, il fait un retour sur la réunion précédente pour vérifier l’accord sur les décisions précédentes (contrôle des notules). Puis il passe au premier point figurant sur l’ordre du jour. Chaque participant s’exprime à tour de rôle sur la question tandis que le groupe l’écoute sans l’interrompre. A intervalles réguliers le président restitue ce qui a été dit, en faisant une sorte de synthèse (Huisman, 2001). Il coupera la parole à celui qui défend ostensiblement son point de vue ou gêne le déroulement du processus (Van Lente, 1991).
En cas de désaccord ou quand le processus est bloqué, le président ajourne la réunion. Un délai de réflexion individuelle et de consultation informelle sera jugé suffisant, sinon, le président désignera une commission qui traitera le problème. Dans un déroulement normal, les points de vue se rapprochent petit à petit et la décision commune s’élabore, parfois à l’aide de quelques négociations de positions individuelles[1]. Elle aboutit à la formulation écrite des points d’actions (les notules) qui sont attribués nominalement à chaque individu concerné.

1-3 Des interrogations

Quelle est la nécessité d’une hiérarchie et d’un président ?  Pourquoi doit-on obéir à un président pour décider dans la collégialité ? Quel est ce rite autour des absents excusés? Pourquoi l’ordre du jour est-il aussi strict? Pourquoi faut-il interrompre le processus en cas de désaccord ?
C’est d’abord le rôle du président qui fait question. Formellement, celui-ci ne dispose pas d’un pouvoir de décision supérieur à celui d’un autre participant (van Vree, 2001). Il est uniquement en charge de la qualité du processus de décision (van Lente, 1991). Il s’assure que chaque individu ait eu l’occasion de s’exprimer et il induit une atmosphère propice à la construction de l’accord. Mais c’est surtout cette égalité d’expression entre les participants qui interroge. La nature de cette égalité reste confuse. Celle du président fait déjà question car, en général, il est aussi le responsable du groupe.


2- Les dispositifs sociaux impliqués dans la décision

Ce formalisme accompagnant la réunion, la rigidité de ses règles et de son déroulement révèle l’existence d’une difficulté à gérer. L’observation du processus fait apparaître la  mobilisation d’une série de dispositifs sociaux qui conditionnent la construction du consensus[2].

2-1  Droit au désaccord, égalitarisme et absence de débat

« Lorsque quelqu’un s’oppose fortement à ce qui a été convenu dans la réunion, il ou elle demandera à ce que cela soit  mentionné dans le rapport. Cela n’aura aucun effet sur l’application de la décision et, généralement, celui qui s’est opposé à la décision contribuera loyalement à son application. Après tout il a perdu démocratiquement et tout le monde connaît son point de vue (Van den Horst, 2001) ».

L’individu a le droit de ne pas être d’accord avec la décision. Ce « droit au désaccord »  prévient contre le blocage de la décision et assure son application. Il permet à l’individu d’appliquer une décision qui ne fait pas son adhésion tout en restant en accord avec le groupe. La décision repose sur un principe d’égalité entre les divers points de vue : « Nous avons beaucoup d’idées et de conceptions et nous voulons que ces idées aient toutes la même valeur. L’une n’est pas supérieure à l’autre[3] ». Ce désir d’égalitarisme conduit au refus de la persuasion : « Nous ne voulons pas que l’on nous persuade de quelque chose mais nous ne voulons pas non plus persuader les autres. Si nous avons le sentiment que quelqu’un essaie de nous persuader, nous essaierons à notre tour de le persuader et l’on se retrouve alors dans la spirale que l’on voulait éviter ». La persuasion prend ici une connotation très péjorative. On ne doit pas chercher à convaincre, mais au contraire  « laisser à chacun ses valeurs ».

Toutes les opinions sont égales, on laisse à chacun ses valeurs et l’individu a droit au désaccord. Cette association de dispositifs permet de construire la décision sans avoir recours au débat. A ce propos, un interviewé dit : « Les participants n’aiment pas du tout la confrontation d’idées, on évite tout de suite ». Le droit au désaccord et l’absence de débat permettent à l’acteur de la décision de faire une scission entre sa propre position et celle du groupe. L’égalitarisme et le refus de la persuasion  renforcent cette séparation.

2-2 Sociabilité, conformisme, objectivité et contrôle émotionnel

La construction de consensus exige une atmosphère et un comportement des individus qui est rendue par le terme intraduisible « gezelligheid ». Cette « sociabilité » est convoquée dès que l’individu doit choisir entre le fait de défendre son point de vue ou de maintenir une bonne ambiance dans le groupe. Elle impose la primauté de la relation sur l’objet de la discussion. Cette exigence de sociabilité est renforcée par le conformisme imposé au sein du groupe. Comme l’indique Shetter, « Beaucoup d’importance est attachée à la solidarité du groupe et le conformisme et imposé non pas d’en haut mais à l’intérieur du groupe lui-même (1997) ». Les thèmes sont traités de façon objective c’est à dire en dissociant  les faits des personnes concernées : « Chacun essaye de bien faire comprendre que c’est l’objet de la discussion qui est en jeu et pas les personnes concernées (van der Horst, 2001) ». Cette exigence d’objectivité contraint l’individu à se distancier de ses émotions. « C’est l’argument lui-même qui compte et pas la façon dont il est présenté ».

L’exigence de sociabilité et le conformisme induisent la convergence des  positions individuelles vers une solution unique du groupe. L’objectivité et  le contrôle émotionnel agissent sur l’individu en l’obligeant à se distancier de sa subjectivité. Dans l’ensemble, cette série de dispositifs permet à un individu en désaccord avec la décision de laisser celle-ci se construire tout en restant  autonome dans ses opinions. Elle lui permet aussi d’appliquer la décision tout en restant en accord  avec lui-même et avec le groupe.


3- La perception de la décision par ses acteurs

3-1 La consultation: le registre de la personne et de sa parole

Lorsqu’ils parlent de la décision, les interviewés font d’abord référence à la consultation et ils y attachent beaucoup d’importance : « Avant de prendre une décision, chacun a le droit de s’exprimer. Chacun s’exprime, chacun est écouté, ça fait partie de la culture profonde ». Lors de la consultation, chacun peut exprimer sa position sans retenue : les personnes interrogées parlent de : « discuter d’un sujet librement, s’exprimer sans retenue, d’une manière directe ». Et cette liberté d’expression va très loin: « Chacun a toujours la possibilité de dire n’importe quoi ». Ce qu’une personne livre a un caractère strictement individuel: « Si quelqu’un a une opinion totalement différente, il va l’exprimer de manière directe sans fioritures ni précautions oratoires ». En effet, donner un avis contraire ne remet pas en cause les autres participants : « On peut très bien parler d’une opinion différente sans pour autant que la personne elle-même soit en cause ».

L’attention portée sur un individu qui s’exprime est  indépendante de la qualité de l’opinion émise. Un interviewé remarque: « On voit dans les réunions que l’on laisse beaucoup parler la minorité  et cela ne veut pas dire que la minorité aura ....on les flatte un petit peu si vous voulez ». Pendant la consultation, l’opinion que l’individu exprime n’engage que lui. Elle est respectable en tant que le propre de celui qui la livre  mais pas contraignante vis à vis d’autres opinions également respectables. Écouter l’opinion d’un individu ne se limite pas à entendre son avis, c’est aussi lui accorder du temps et de la considération. La consultation traduit le respect que le groupe accorde à chacun de ses membres indépendamment  de la qualité des  opinions émises. Au-delà du au recueil des avis, la consultation symbolise le respect de la personne et de sa parole.

3-2 La décision : le registre de l’intérêt et des choses

Les interviewés  associent toujours la décision et le groupe qui la prend et  font souvent  référence à sa dimension collective : « La décision, c’est la recherche d’une compréhension commune d’un problème. C’est la décision du groupe, c’est le groupe qui la prend ». Cette orientation collective de la décision repose sur la conviction qu’une décision prise en groupe est préférable à celle d’un individu : « Il y en a toujours plus dans dix têtes que dans une ». Cette conviction est le moteur de la convergence des positions. En effet, au lieu de défendre chacun son point de vue, les individus se mettent en quête d’une solution fédérative: « L’objectif d’une réunion décisionnelle n’est pas d’imposer ses idées mais de trouver une idée fédérative ». Lorsqu’ils évoquent la décision, les interviewés attachent beaucoup d’importance à son aboutissement.  Ils disent : « la décision doit être faite, faire aboutir la réunion, il faut que cela s’exprime, que le consensus se dégage ». Et pour y parvenir, l’individu est prêt à faire des compromis : « Nous voulons obtenir un résultat, nous faisons des compromis pour atteindre un résultat ». Il  acceptera une « fair decision », celle qui permet à chacun de s’y retrouver : « Chacun doit retrouver un peu de lui-même dans la décision ».

La décision néerlandaise correspond uniquement à un accord pragmatique. Comme le remarque un interviewé : « Les points d’actions c’est simplement pour s’assurer que les choses vont être faites,  car je crois qu’un des caractères de la culture néerlandaise c’est un grand pragmatisme. On n’aime pas trop les idées générales ». On s’accorde sur les actions à conduire et non sur les principes et les idées qui les sous-tendent. Lors de la décision, l’individu relativise sa  position pour élaborer une direction commune. Ayant été respecté par le groupe pendant la consultation, il fait des compromis. La réalisation de l’accord est conditionné par le besoin d’aboutir à un résultat tangible. C’est l’intérêt pour le résultat de la décision qui pousse à faire les concessions et les compromis nécessaires. L’étape de la décision s’inscrit dans le registre de l’intérêt pour les choses.

3-3 Le raccord entre la consultation et la décision

La consultation ne se limite pas au recueil des avis et à la reconnaissance de l’individu par le groupe. En effet, bien qu’il ne soit pas obligatoire de s’exprimer, certains interviewés font part du sentiment qu’ils en ont le devoir :  «Tout le monde peut s’exprimer, doit s’exprimer je dirais  par ce les gens qui ne s’expriment pas ici ont des problèmes ». Ou encore : « Nous devons toujours donner notre avis rapidement, nous avons l’impression qu’il le faut ». A contrario, celui qui n’a pas été consulté ne se sent pas engagé dans la décision : « Celui qui n’a pas été consulté ne se sent ni concerné ni engagé dans la décision » ou encore :  « Lorsqu’une décision est prise sans que l’on ait été consulté, il arrive que l’on décide de ne pas l’appliquer. On fait alors à notre idée ». Le fait d’être présent et d’être consulté se solde par un engagement de l’individu dans la décision. De ce  point de vue, la consultation et la décision sont fortement raccordées.

Si l’on s’en tient uniquement à l’objet de la décision et au trajet des opinions au long du processus, il apparaît un chaînon manquant. Pendant la consultation, une opinion est respectée comme strictement individuelle. Puis le groupe se met en recherche d’une direction commune. Il entame une phase de création collective dans laquelle les opinions précédemment émises perdent leur caractère individuel pour se fondre dans un projet commun. En somme, c’est l’ensemble du processus qui exclue la possibilité de défendre un point de vue individuel en tant que tel. Le consensus néerlandais correspond à un engagement de la personne beaucoup plus que celui de ses idées.


4- Discussion

4-1 L’articulation entre l’autonomie individuelle et la coopération

Le processus de décision consensuel est interprété par ses acteurs comme une situation collective contenant une étape individuelle. Pendant la consultation, le groupe reste en retrait pour laisser l’individu s’exprimer puis le phénomène inverse se produit : l’individu se retire au profit du groupe. L’autonomie individuelle et la coopération s’expriment en alternance et de façon exclusive. Elles cohabitent sans se rencontrer. Et cet évitement règle le problème de leur coexistence. La construction de l’accord est caractérisée l’indépendance des registres de la consultation et de la décision et par la mobilisation d’une série de dispositifs sociaux. Ceux-ci agissent de concert, en découplant l’expression de l’opinion de la prise de décision,  en limitant le terrain de rencontre entre le point de vue individuel et la décision collective ou encore en neutralisant un conflit potentiel entre ces deux éléments. Le processus de décision néerlandais ne fonctionne qu’au prix de ces évitements et séparations.

Le consensus opère une distinction entre un « moi individuel » et un « moi collectif ». Ceci place l’individu dans une position très confortable vis à vis du groupe. En effet, d’une part, le groupe protège l’individu en échange de son adhésion et, d’autre part, l’individu n’a de comptes à rendre qu’à lui-même en ce qui concerne sa propre position. Celui-ci ne se trouve donc jamais défié par le groupe. En d’autres termes il est en situation « low stake low risk » vis à vis du groupe.

4-2 Les pierres d’achoppement pour un Français

La qualité de la décision

La décision néerlandaise n’est pas le résultat d’un tri de solutions potentielles mais la construction d’une solution. L’arrêt de la décision en est l’aboutissement et les alternatives ne sont pas évaluées. Un Français aurait plutôt tendance à comparer  divers scénarios potentiels avant  de retenir celui qui semble le meilleur. La construction de consensus repose sur la fédération et la convergence des avis. Un Français éprouve de la difficulté avec ce qu’il appelle « les compromis mous ». C’est la qualité de la décision qu’il privilégie au point de se permettre de changer une décision qui s’avère médiocre. La décision néerlandaise étant d’abord un accord entre pairs, changer de décision revient à les renier.

La défense de l’individu

Le fait de donner son avis puis  d’adhérer à une décision différente sans avoir pu la défendre peut paraître opportuniste. Dans une réunion décisionnelle française il n’aura pas plus de chance de voir son avis retenu, mais il pourra le défendre. Le fait d’avoir combattu pour ses idées lui permettra de  rester en accord avec lui-même lors de l’application de la décision. Pour un Français, le respect de l’individu est étroitement lié à celui de ses idées. Qui le désire à le droit non seulement de défendre ses convictions mais aussi d’essayer de convaincre. Au contraire, « laisser à chacun ses valeurs » est plutôt un signe de désintérêt pour les dites valeurs (les siennes autant que celles des autres). L’exigence d’objectivité et le contrôle des émotions qui constituent la norme de communication aux Pays-Bas peut gêner un Français voire l’interroger :  Jusqu'à quel point l’individu peut-il enfouir sa subjectivité et ses émotions sans perdre sa motivation, voire sans se perdre lui-même ?

La subordination de l’individu au groupe

Mais c’est surtout le rôle de l’individu néerlandais au sein du groupe qui surprend l’œil français. Cette façon de s’engager devant les autres, sans savoir ce à quoi on donne son assentiment lui paraît un peu inconsciente. L’individu français n’est jamais soumis au groupe et jamais indépendant de celui-ci. Et cette position le place dans une situation très inconfortable. En effet, l’individu doit rendre des comptes au groupe sans que celui-ci le protège. Contrairement au Néerlandais, l’individu français  est en situation « high stake high risk » vis à vis du groupe. Mais cette contrainte lui laisse autant de marge pour d’ intégrité individuelle.

4-3 Le consensus transcende-t-il les cultures ?

Le consensus est souvent retenu par les organisations  internationales  ainsi que les équipes interculturelles (Chevrier, 2000). Cette manière de décider séduit car elle vise à respecter la diversité des enjeux et intérêts des participants. Cependant elle repose sur un découpage de la réalité et des catégories d’interprétations  qui sont loin d’être universellement partagés. Ce texte a voulu faire apparaître combien le consensus néerlandais est encastré dans les représentations collectives de ce pays. Cette façon de mener de front l’autonomie individuelle et la coopération en évitant systématiquement leur rencontre est loin d’être universelle. Plus encore, elle  n’est pas éthiquement neutre. En cas de désaccord entre l’individu et le groupe, la tension  liée à ce désaccord n’est ni portée par le groupe, ni partagée entre l’individu et le groupe mais totalement rejetée à la charge de l’individu, lequel ne peut que l’intérioriser. C’est à lui de gérer la contradiction  entre son « moi individuel » et son « moi social » avec pour seule assistance les fameux dispositifs sociaux. Ce rejet de la tension sur l’individu et le clivage interne qui en résulte peut constituer une atteinte non seulement à l’intégrité de la personne mais aussi à celle du groupe. En effet, comment une telle articulation entre l’individu et le groupe peut-elle supporter le débat ? Et comment le consensus peut-il gérer la diversité sans offrir une place centrale au débat ?



Méthode

Favorisée par 10 années d’intégration dans la culture néerlandaise, ce travail est mené en tandem avec une  étude de la transmission du consensus chez l’enfant (de Bony, 2003). La recherche est réalisée à l’aide d’une double approche phénoménologique et interprétative (d’Iribarne, 1989; d’Iribarne et coll, 1998). Elle s’appuie sur la connaissance des procédures, règles et normes pour remonter aux catégories d’interprétations et au découpage de la réalité retenus par les acteurs pour donner sa cohérence au processus de décision et, plus généralement au consensus.

L’étude interprétative du processus de décision repose sur l’analyse d’une vingtaine d’interviews d’acteurs et sur des entretiens approfondis avec des spécialistes de la décision aux Pays-Bas.

Remerciements
L’auteur remercie Philippe d’Iribarne pour sa contribution à cette recherche.


Jacqueline de BONY
Gestion et Société, CNRS - LISE
Droits de reproduction et de diffusion réservés © LESTAMP - 2005
Dépôt Légal Bibliothèque Nationale de France N°20050127-4889





Bibliographie

de Bony, J. (2003) Individual autonomy and socialization at the Dutch elementary school: the relationship between the individual and the group. Proceedings van de 30e Onderderwijs Research Dagen, Heerlen, Open University Nederland.
Chevrier, S. (2000) Le management des équipes interculturelles, Paris:PUF

van der Horst, H (2001) The low sky, understanding the Dutch. Schiedam: Scriptum/Nuffic
.
Huisman, M. (2001) Decision making in meetings as talk-in-interaction, Int.studies of mgt.
& Org., 31 (3): 69-90.
d’Iribarne, P. (1989) La logique de l’honneur, gestion des entreprises et traditions nationales. Paris : Seuil
d’Iribarne, P., Henry, A., Segal, J.P., Chevrier, S. and Globokar, T. (1998)
Cultures et mondialisation.
Paris: Seuil.
van Lente, G. (1997) De kunst met groepen te werken. Den Haag: Het spectrum.

Lijphart, A. (1968). The politics of accommodation, pluralism and democracy in the Netherlands. Berkeley: University of California press

Schetter, W. (1997) The Netherlands in perspective: the Dutch way of organizing a society and its setting. Utrecht:Nederlands centrum buitenlanders.

van Vree, W. (1999) Meetings, manners and civilization, London: Leicester University press.



[1] La négociation est un élément clef de la situation décisionnelle mais elle  n’entre pas dans  l’interprétation que font les acteurs la décision néerlandaise.
[2] Ces dispositifs ont pour la plupart été mis en place pendant la période de pillarisation ( Lijphart, 1968). Leurs mécanismes d’action demeurent intacts tandis que les acteurs et leur champ d’action ont changé.
[3] Les citations sans références sont celles d’interviewés.



 

 
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