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Espace de survie, plates-formes de communication et discours fédérateurs de la mondialisation


 

Bernard CAHIER
Doctorant en philosophie politique – Université de Paris VIII
Droits de reproduction et de diffusion réservés © LESTAMP - 2005
Dépôt Légal Bibliothèque Nationale de France N°20050127-4889




Pour commencer, puisque nous sommes dans la salle Jules Vallès, qui est né au Puy-en-Velay mais a vécu un temps à Nantes, pour commencer je vais le citer. Dans un passage du Bachelier, il écrit :
«Je cherche à devenir, dans la mesure de mes forces le porte-voix et le porte-drapeau des insoumis.»[1]. L’insoumission – et l’insoumission publication.cahier.htm au conformisme surtout – est certainement une nécessité vitale. Les travaux de Stanley Milgram sur la soumission à l’autorité ont montré à quel point l’obéissance – voire la fausse obéissance (qui couvre souvent un vrai conformisme) – pouvait nous entraîner dans les pires excès et les pires atrocités[2]. C’est pourquoi une vigilance particulière s’impose face aux discours ambiants, surtout quand ils tentent de nous prouver qu’il n’y a pas d’autre possibilité que celle qu’ils nous présentent. Vigilance : pas forcément pour rejeter, mais pour garder la tête froide.

La mondialisation, c’est d’abord, au quotidien, la diffusion d’objets planétaires : automobiles, walkmans, appareils photo, etc. ; ils constituent une part importante de notre univers. Mais ce n’est pas nouveau : Les poteries antiques circulaient déjà sur de longues distances, et on a trouvé des sesterces dans l’Océan indien. Ce qui a changé, c’est d’une part l’ampleur et la rapidité de ces échanges, d’autre part une certaine forme d’uniformisation, et enfin l’idéologie qui en porte le développement depuis une trentaine d’années. Dans sa définition la plus inquiétante, la mondialisation se définit par rapport à une expansion – échappant au contrôle des États – des marchés financiers, dont elle ne serait qu’une « extension totalitaire de leur logique appliquée à tous les aspects de l’existence. »[3]. En attendant que l’histoire dispose d’assez de recul pour travailler sereinement sur le sujet, la sociologie, dont le rôle est peut-être de déceler les lignes de jointures ou de fractures qui structurent individus et sociétés, a peut-être quelque chose à dire là-dessus.


La mondialisation comme nouvel espace de survie

Si l’on se tourne par exemple vers les travaux de Norbert Elias, qui a été à la fois sociologue et aussi – d’une certaine façon – historien ou, en tout cas, un sociologue qui s’est attaché à étudier des phénomènes de longue durée, et surtout qui les a analysés en termes de processus, on découvre une sociologie centrée sur la notion de configuration, c’est-à-dire, nous dit-il, « une formation dont la taille peut être fort variable (les joueurs d’une partie de cartes, la société d’un café, une classe scolaire, un village, une ville, une nation), où les individus sont liés les uns aux autres par un mode spécifique de dépendances réciproques et dont la reproduction suppose un équilibre mobile de tensions »[4]. La mondialisation passe-t-elle par la mise en place de configurations spécifiques ?


De nouvelles configurations

Comme le fait remarquer Nathalie Heinich[5], cette définition en termes de configurations – c’est-à-dire d’interdépendances – nous oblige à repenser la domination, laquelle ne peut plus être perçue simplement comme une action menée de l’extérieur et à sens unique : de même que l’organisation de la cour de Versailles enferme tout autant Louis XIV que ses courtisans[6], de même les dirigeants multinationaux d’aujourd’hui sont tout autant liés que nous – jusque dans les effets les plus pervers – à ce qu’ils nous imposent. Cependant, nous dit Elias, si dans nos sociétés contemporaines les chaînes d’interdépendance (c’est-à-dire de dépendances réciproques) sont de plus en plus longues et complexes, nous n’en avons pas toujours une vision clairement adaptée à la situation réelle. Et de nombreuses tensions, ajoute-t-il, viennent de l’écart entre cette réalité et la perception que l’on en a.

Si l’on considère maintenant ce qu’il appelle les espaces de survie, ils se confondent, dans les sociétés peu diversifiées, avec la famille élargie (ou le clan). Au fur et à mesure de l’allongement et de la complexification des chaînes de dépendance réciproque, ces espaces de survie sont passés, par ce qu’Elias nomme des poussées d’intégration[7], au niveau d’intégration supérieur qu’est la région, puis à celui encore supérieur de l’État nation, caractéristique de l’époque moderne. Or depuis la seconde guerre mondiale (et en particulier depuis Hiroshima), nous sommes entrés dans une ère où l’espace de survie est devenu planétaire. C’est en effet à l’échelle planétaire que se joue désormais la survie de l’humanité. L’humanité entière est devenue groupe d’intégration ; groupe d’intégration maximale s’entend, car dans le même temps les autres sphères continuent à jouer un rôle, même atténué (famille, nation, etc.). Notre histoire individuelle ne peut plus, désormais, se dissocier de celle de la totalité des hommes. « Nous faisons partie les uns des autres », écrit-il dans La Solitude des mourants.

Et, dans La société des individus, il note en 1987 : « L’une des particularités du XXème siècle est que les poussées d’intégration ne s’y sont pas produites uniquement à un niveau, mais simultanément à plusieurs niveaux. D’un côté, l’humanité a atteint dans certaines régions du globe, le plus souvent sans le vouloir, un niveau de développement tel en ce qui concerne toutes les sources de pouvoir, technique, militaire, économique ou autres, qu’elles échappent complètement au domaine à l’intérieur duquel les tribus théoriquement indépendantes – ou les groupes familiaux – pourraient encore conserver en fait leur indépendance, leur rang concurrentiel ou leur fonction d’unités de survie. D’un autre côté, la fonction effective d’unité de survie se transfère de façon de plus en plus visible et de plus en plus marquée du niveau des Etats nationaux au niveau des confédérations étatiques post-nationales et en dernier ressort à l’humanité. »[8] En d’autres termes, la mondialisation se caractérise aussi par l’apparition de nouvelles configurations d’extension planétaire.


Les poussées d’intégration et les difficultés qu’elles suscitent

L’intégration à de tels réseaux ne laisse que peu de liberté à l’individu. Alors on pourrait penser qu’il suffit de suivre. Or des difficultés apparaissent, et Elias précise pourquoi : « La résistance contre la fusion de sa propre unité sociale avec une unité de taille plus importante – voire la disparition totale en son sein – est très certainement liée pour une bonne part au sentiment que l’effacement et, à plus forte raison, la disparition complète d’une tribu ou d’un Etat rend totalement absurde tout ce que les générations passées ont pu faire ou subir dans le cadre et au nom de cette unité. »[9]

Ce qui est en jeu dans ces processus d’intégration, c’est la place de l’individuel dans un collectif de référence, c’est-à-dire le rapport entre le fait de pouvoir dire nous et de pouvoir dire je. A l’échelle planétaire, il est bien sûr devenu beaucoup plus difficile de ressentir ce nous comme lieu de rassemblement. Cela a plusieurs conséquences : soit la recherche collective d’un bouc émissaire, le rejet collectif d’une tête de turc ; soit un repli individualiste – parce que les poussées d’intégrations favorisent aussi ce qu’Elias appelle des poussées d’individualisation. Dans une société où l’on a tout autant des liens locaux que des liens planétaires, la multiplicité des configurations auxquelles nous appartenons au quotidien a pour effet de nous offrir un choix d’appartenances, auquel il nous faut bien répondre.

Mais si l’on creuse un peu cette approche, on bute sur un manque de précision quant à la définition de ce qu’Elias met au cœur de son analyse : les configurations. Dans Qu’est-ce que la sociologie ?, il prend l’exemple de joueurs de cartes, et nous dit : « Quatre hommes assis autour d’une table pour jouer aux cartes, forment une configuration. Leurs actes sont interdépendants. »[10] Cette définition simple en termes d’interdépendances, qui a le mérite de s’adapter à toute situation humaine, est un peu courte, en ce sens qu’elle ne prend pas en considération la façon dont la configuration observée s’est constituée. Analyser les moments fondateurs, c’est-à-dire la façon dont se jouent les rencontres, dont se tissent les réseaux de dépendance réciproque : tel est l’objet de l’analyse en terme de plates-formes de communication.


Plates-formes et discours

Si les rencontres se jouent et se rejouent en permanence, le moment fondateur de la rencontre possède toutefois une importance particulière, en ce sens qu’il donne à la configuration une orientation qu’elle aura tendance à conserver, dans un environnement où les luttes concurrentielles créent un mouvement permanent.


Pour une analyse des moments fondateurs
Le monde social n’est pas stable. Erving Goffman rappelle l’existence d’un consensus opératoire entre les participants au cœur de toute situation sociale[11]. Dans une logique proche, l’hypothèse de travail retenue ici est que le groupe, quelle que soit sa taille, se constitue lors d’une phase de négociation (explicite, implicite, ou même inconsciente) pour former ce que l’on peut nommer une plate-forme de communication.. Comme le rappelle Michel Maffesoli en s’appuyant sur Elias : « Avant de se policer, de se finaliser, une structuration sociale, quelle qu’elle soit, est un véritable bouillon de culture où chaque chose et son contraire sont présents. »[12] Chaque chose et son contraire : une plate-forme résulte donc d’un tri, qui permet d’éliminer et de retenir un certain nombre d’éléments. Par exemple, Michel Foucault a montré, dans l’Histoire de la folie, comment la société au 17ème siècle a étiqueté et éliminé un certain nombre d’éléments jugés indésirables (en enfermant les vagabonds, les prostituées, etc.) pour pouvoir se constituer positivement en tant que société de raison.

Une plate-forme de communication, c’est ce qui reste de positif à l’issue de ce tri. Un couple qui se rencontre va ainsi se répartir des rôles, tracer les limites internes, le jardin secret de chacun, etc. ; et sur la base ainsi établie, ce couple va pouvoir commencer à écrire son histoire propre. Le mécanisme est le même pour des personnes qui créent une entreprise. Et, même si le schéma est alors plus complexe, il en est de même pour une nation ou une religion. Si par exemple on s’intéresse aux débuts du christianisme, on voit combien rien n’était joué d’avance, et combien de multiples discussions, partages, adaptations aux évènements ont été nécessaires avant que l’on puisse parler vraiment d’une religion nouvelle.[13] Ce qui se construit sur la plate-forme (l’histoire du couple, de la nation ou de la religion), je nomme ça un discours.


L’exemple de l’aviation

S’il est un objet qui se joue des frontières par grandes enjambées, c’est l’avion. S’il existe une industrie dont les moyens sont si colossaux qu’ils demandent une concentration de capitaux et de savoir-faire industriels, c’est l’aviation. A la fin de la seconde guerre mondiale a été créée une antenne des Nations Unies spécialisée dans ce domaine. L’aéronautique – dont Pierre Legendre a dit qu’avec la danse elle avait représenté l’une des grandes transgressions dans la civilisation européenne[15] – l’aéronautique a pour vocation de passer les frontières. Cette antenne de l’ONU consacrée à l’aviation, c’est l’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale), dont le siège est à Montréal, et qui regroupe 188 États. L’OACI, créée en 1947, a depuis cette époque normalisé tout ce qui touche à l’aviation, ce qui fait qu’un pilote japonais qui atterrit à Nantes ne sera pas perdu, puisque les règles sont les mêmes partout.

Pour cela, l’OACI, à l’issue de discussions et d’études, et à l’aide du retour d’expérience que sont les enquêtes après accidents, édicte des normes (obligatoires) et des pratiques recommandées, publiées dans des annexes techniques. Par exemple, l’Annexe 14 explique comment réaliser un aérodrome : longueur et largeur de la piste et des taxiways, taille des lettres visibles du ciel, etc. Ces règles sont reprises dans les droits nationaux ; ainsi cette annexe 14 se retrouve en France dans l’ITAC (l’instruction technique sur les aérodromes civils). L’OACI travaille aussi à normaliser les conversations entre pilotes et contrôleurs aériens, à travers une phraséologie destinée à éviter les incompréhensions, dont certaines ont été dans le passé à l’origine d’accidents meurtriers. Nous avons là, avec l’OACI, un exemple de plate-forme de communication de dimension planétaire, sur laquelle c’est construit un discours mondialisé.


Le rôle des outils médiateurs

Si l’on entre un peu plus dans la mécanique de ces moments fondateurs, on s’aperçoit que plus une plate-forme est spécialisée, plus son accès est difficile (un doctorat n’est pas accessible à tous, pas plus que la pratique du violon) ; que, par contre, plus la plate-forme se destine au plus grand nombre, et plus son niveau d’accès tend à s’abaisser : à titre d’exemple, les chaînes de télévision qui se sont fixé pour objectif de « ratisser » le plus large ne sont-elles pas considérées comme les plus « grand public », dans tous les sens du terme – y compris les plus péjoratifs ?

Certains discours peuvent à leur tour servir à l’élaboration d’une nouvelle plate-forme : le discours des droits de l’homme – issu d’une longue histoire européenne faite de luttes, de débats, d’avancées ponctuelles – sert ainsi à promouvoir aujourd’hui une plate-forme démocratique planétaire, même si cette promotion exige en retour une adaptation de ceux-là mêmes qui en étaient les promoteurs.[15] Plates-formes et discours peuvent, bien sûr, s’emboîter à des échelles différentes et concerner de multiples domaines. La plupart du temps, ils s’appuient sur ce que l’on pourrait nommer des outils médiateurs (qui sont par eux-mêmes de véritables plates-formes ayant pris une forme matérielle, technique) : par exemple, notre perception du temps est organisée autour de l’usage du cadran de la montre ; nos savoirs sont construits sur celui d’un alphabet ; et l’argent, bien sûr, est omniprésent dans nos échanges – même culturels.

La facilité d’emploi de ces outils (l’argent en particulier) a certainement favorisé l’éclosion de plates-formes étendues – comme les grands marchés financiers, les grands circuits économiques. Mais cela n’a été possible que parce que, sur une plate-forme commune, dotée d’un outil commun, un discours commun s’est constitué pour organiser les échanges. Concernant le capitalisme – au cœur de la mondialisation actuelle, avec laquelle il se confond d’ailleurs[16] – le credo libéral de Hayek et des siens est déjà en soi un discours, où sur la plate-forme élaborée en 1947 s’était développée toute une théorie. Mais on voit comment, à la faveur de la crise des années 70 les dirigeants économiques américains opèrent un tri éliminant les théories qui leur semblent avoir failli (celle de Keynes, par exemple) et décident de s’appuyer sur celles soutenues, marginalement jusque-là, par les néo-libéraux. Et sur cette plate-forme du néo-libéralisme va à son tour se construire un nouveau discours, qui est celui de la globalisation.


La mondialisation comme discours dominant

Les grands discours, ceux qui nous concernent tous, et sur lesquels la société se rassemble au plus large, c’est ce que je nomme des discours fédérateurs, dont certains, paradigmatiques, peuvent devenir dominants.. Ces grands discours dominants, on les reconnaît en général aux catégories d’exclusion privilégiées qu’ils favorisent ou qu’ils suscitent au sein de la société. Par exemple, l’excommunication est certainement le mode d’exclusion caractéristique du Moyen Âge, où le discours de référence, le discours dominant, le discours fédérateur par excellence était le discours religieux. L’époque moderne a privilégié le discours politique, et les catégories d’exclusion qui lui sont liées sont alors passées par l’emprisonnement ou l’exil. Aujourd’hui, force est de constater la montée en puissance du discours économique en tant que discours dominant, avec les nouvelles catégories d’exclusion qu’il génère : le chômage, la faillite, ou le sous-développement...


Basculements et fractures

C’est pourquoi il ne faut pas confondre les effets de basculement (liés aux transformations de nos sociétés et de leur fusion en des ensembles élargis), et les fractures que ces transformations peuvent entraîner. Par basculement, il faut entendre un changement rapide, par lequel la société se rallie à une tendance jusque-là marginale (éclose en interne ou venue de l’extérieur), qui devient majoritaire et l’entraîne dans une organisation nouvelle, et lors duquel la société ne se coupe pas radicalement de son passé, comme en cas de rupture (catastrophique). Par exemple, la Renaissance est le résultat d’une multitude de petites avancées dont certaines s’inscrivent au cœur du Moyen-Âge, et qui tout d’un coup prennent corps à l’échelle de la société tout entière. Nous découvrons aujourd’hui que d’une société à l’échelle des nations nous avons basculé dans une société largement supranationale. Cette extension a sans doute commencé il y a un demi-millénaire[17] ; mais l’avènement de cette société étendue, en tant que mode d’organisation dominant, c’est cela qui est nouveau, et qui se paye de déchirements inédits.


Vraies et fausses fractures : le problème des conflits de génération

Dans l’approche présentée ici, il y a fracture lorsque des plates-formes ne communiquent pas entre elles, lorsque les discours qu’elles génèrent restent étanches l’un à l’autre. Ces fractures traversent aujourd’hui, on le constate tous les jours, aussi bien les rapports sociaux au sein du monde du travail ou ceux, politiques, entre établis et marginaux[18] (par exemple immigrés), qu’entre le Nord et le Sud : Les vraies fractures sont par exemple celles qui laissent la quasi-totalité du continent africain à l’écart des nouvelles technologies ; ou celles qui font qu’une entreprise centenaire et prospère (reposant sur une plate-forme industrielle comprenant non seulement le patrimoine technique de l’entreprise, mais aussi son personnel ouvrier, ses cadres, son histoire) est brutalement « dégraissée » ou déménagée, pour répondre aux critères de rendement financier d’actionnaires extérieurs (organisés sur leur propre plate-forme, suivant leur propre logique, s’adossant à leur propre discours)…

Il faut par contre prendre garde de ne pas tomber dans un piège, qui est celui des conflits de générations. Par génération, j’entends les personnes qui se sont construites sur des références communes. En d’autres termes, une génération se construit sur une plate-forme de communication qui lui est propre. Les conflits de génération, sont, dans cette optique, compris comme des conflits de plates-formes. Pour Pierre Bourdieu : « Beaucoup de conflits de génération sont des conflits entre des systèmes d’aspirations constitués à des âges différents. Ce qui pour la génération 1 était la conquête de toute la vie, est donné à la naissance, immédiatement, à la génération 2. »[19] Cette vision, pour pertinente qu’elle soit, n’épuise pas le problème.

Car un certain nombre de choses offertes par les parents à leurs enfants sont justement refusées par ces derniers : pour se construire une identité, il est souvent plus facile de le faire en se démarquant (par ses vêtements, par les goûts musicaux, etc.) qu’en s’intégrant à un existant qui semble avoir été verrouillé à toutes les issues. Chaque génération, une fois qu’elle a construit sa plate-forme et développé un discours qui lui est propre, préfère faire l’effort de les sauvegarder plutôt que celui de devoir recommencer à zéro tous les dix ou vingt ans. En ce sens, les conflits de génération sont des conflits tout à fait normaux, et c’est pourquoi on a trouvé des textes à toutes les époques se plaignant de la jeunesse – comme ce prêtre égyptien qui écrit, il y a 4000 ans : « Notre monde a atteint un stade critique.

Les enfants n’écoutent plus leurs parents, la fin du monde ne peut être loin. »[20] Le moyen d’éviter que les conflits sociaux – porteurs de violence potentielle – ne dégénèrent en violence réelle, ou même simplement le moyen de canaliser les tensions quotidiennes (les rapports de force par exemple), c’est la mise en place d’outils médiateurs (par exemple, le code de la route évite la loi de la jungle), ou d’instances médiatrices (comme les tribunaux), mis à la disposition des discours fédérateurs. Mais là on entre dans un autre développement, que je ne pousserai pas ici.

Ce que j’ajouterai, par contre, c’est que certains grands conflits historiques peuvent être considérés comme des conflits de génération. Nos ancêtres du 16ème siècle, lors des guerres de religion, se trouvaient – comme nous aujourd’hui – dans une société en pleine transformation, où les liens traditionnels, qui les avaient tenus jusque-là, se cassaient. Pour certains, il fallait donc impérativement revenir à cette situation d’équilibre antérieur. D’autres par contre – et l’histoire leur a donné raison – estimaient que les équilibres disparus ne pourraient pas être rétablis, que la société se transformait et qu’il fallait s’adapter à cette transformation, en inventant des équilibres nouveaux. La réponse est venue du politique, avec des gens comme Jean Bodin. L’autonomisation du politique, au sein des Etats nations modernes, a permis d’amener progressivement le religieux dans la sphère privée – le discours politique prenant la place de celui-ci en tant que discours dominant.


Faut-il avoir peur de la mondialisation ?

Doit-on craindre l’extension planétaire de notre cadre de vie ? Bien sûr, si on laisse d’autres définir pour nous ce sur quoi va se construire la société de demain. Car dans ce domaine, le collectif et l’individuel sont étroitement liés : chaque transformation demande un effort d’adaptation, tant de la part du groupe que des individus qui le composent. Lors des basculements majeurs – ceux qui entraînent des changements radicaux dans les conditions de vie –, l’individu que nous sommes doit se reconstruire. Par exemple, les acquis de la modernité en termes de liberté se sont payés de la nécessité de prendre en main soi-même son destin, de façon responsable. Pour illustrer ce propos, je prendrai un dernier exemple tiré de notre histoire.

Deux pratiques de lecture ont été bouleversées au cours du Moyen Âge. D’une part la généralisation du codex a favorisé le passage d’une lecture séquentielle (qu’imposaient les anciens rouleaux) à une lecture sélective, en permettant d’atteindre le texte recherché directement à sa page. D’autre part le développement des bibliothèques universitaires a obligé les étudiants à passer d’une lecture qui jusque-là se faisait à haute voix, à une lecture silencieuse – pour éviter le brouhaha d’une salle de lecture pouvant contenir cinquante pupitres (sur lesquels les livres, si chers, étaient enchaînés). L’écrit a pu ainsi peu à peu prendre son indépendance, face à une oralité qui l’avait jusque-là dominé. De même, on est passé de l’écriture du copiste, professionnelle, à une écriture personnelle, usuelle. Ces nouveaux outils, à terme, ont suscité de nouvelles façons de penser.[21]

Ils ont participé au développement de l’individu vers une plus grande autonomie. Nous sommes devenus une civilisation du livre et de l’individu. D’une certaine façon, la révolution numérique est de nos jours une réponse aux limites d’un système élaboré et mis en place au début du 2ème millénaire, dont nous restons les utilisateurs quotidiens. Et il serait intéressant de pouvoir étudier la façon dont les nouvelles technologies vont transformer, en quelques générations, la façon de penser de nos descendants. Car en ce qui nous concerne, nous avons beau disposer de ces nouveaux outils, nous avons été formés à l’ancienne, dans les livres.

Nous sommes en fait dans la même situation que les gens de la fin du Moyen Âge, qui disposaient de l’outil de l’avenir, mais ne pouvaient prévoir la Renaissance. A la question de savoir quoi penser des transformations du monde actuel, il est donc possible de répondre doublement : pessimisme à court terme, car il est évident que l’évolution évince des valeurs, des acquis, des équilibres qui nous sont chers ; optimisme à long terme, car, sur les ruines de l’ancienne, la société nouvelle toujours se reconstruit. Qui dit qu’à notre insu nous ne nous dirigeons pas, à notre tour, vers une nouvelle « Renaissance » ? Nouvelle plate-forme, nouveau discours, nouveaux bras de fer… Tout est possible. Comme le fait remarquer Jean-François Bayart, la mondialisation est nôtre[22], et c’est pourquoi, comme je le disais au début de ce propos, il est si important de rester vigilant et de savoir faire entendre notre voix.



[1] Jules Vallès, Le Bachelier, Folio Classique, ch. « A marier », p. 359.
[2] Stanley Milgram, Soumission à l’autorité, Calmann-Lévy, 1974 (1ère éd. en angl., 1974).
[3] Zygmunt Bauman, Le coût humain de la mondialisation, Hachette (Pluriel), 1999 (1ère éd. angl. 1998), p. 102.
[4] Norbert Elias, Qu’est-ce que la sociologie ?, Editions de l’Aube (Agora), 1991, p. 154-161.
[5] Nathalie Heinich, La sociologie de Norbert Elias, Editions La Découverte & Syros, 1997.
[6] Norbert Elias, La société de cour, Flammarion, 1985 (1ère éd. all., 1969).
[7] Voir Norbert Elias, La société des Individus (1939 ; années 40-50 ; 1987).
[8] Norbert Elias, La société des individus, « Les transformations de l’équilibre "nous-je" » (1987), p. 283.
[9] Idem, pp. 288-289.
[10] Norbert Elias, Qu’est-ce que la sociologie ?, opus cité, p. 157.
[11] Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne, Editions de Minuit, 1971-1973 (1ère éd. angl., 1959).
[12] Michel Maffesoli, Le temps des tribus, La Table Ronde, 1988, p. 120.
[13] Voir en particulier, à ce sujet : Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, Jésus après Jésus, Seuil, 2004.
[14] Pierre Legendre, La fabrique de l’homme occidental, Editions Mille et une Nuits, 2000 (1ère éd. 1996), p. 25-26.
[15] Mikael Rask Madsen, « Make law, nor war », in « Sociologie de la mondialisation », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 151-152, mars 2004, pp. 97-106.
[16] Voir Alain Touraine, Comment sortir du libéralisme ?, Fayard, 1999.
[17] Voir par exemple : Laurent Carroué, Géographie de la mondialisation, Armand Colin, 2002.
[18] Voir à ce sujet : Norbert Elias & John L. Scotson, Logiques de l’exclusion, Fayard, 1997 (1ère éd. angl. 1965).
[19] Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, Editions de Minuit, 1984, p. 151.
[20] Cité par Jean-Gabriel Cohn-Bendit, sur France Culture le 5 août 2004 (« Quartiers d’Eté ») ; voir son ouvrage : Lettre ouverte à ceux qui n’aiment pas l’école, Little Big Man,2003.
[21] Voir sur ce thème : Jack Goody, La raison graphique, Editions de Minuit, 1979 (1ère éd. angl. 1977).
[22] Jean-François Bayart, Le gouvernement du monde : une critique politique de la mondialisation, Fayard, 2004.


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