Delphine COLAS
Doctorante Université de
Nantes - LESTAMP
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Dépôt Légal Bibliothèque Nationale de France N°20050127-4889
La prison reste du domaine du tabou tant elle dérange les sociétés au sein desquelles elle a pourtant une place prépondérante. Nous sommes (nous les sujets sociaux) dans des sociétés qui enferment de plus en plus et pour de plus en plus d’années. Ce tabou est récurrent dans la simple volonté de recueillir des données récentes sur la situation carcérale dans certains pays européens. Volonté de laisser invisible cette structure ? Objet de convoitise politique ? Il semblerait que la prison soit confinée à un dessein qui l’oublie. Ainsi lorsque l’on souhaite entrer un peu plus dans les conditions de l’enfermement et pour peu que l’on s’intéresse à la situation des femmes, le système est encore plus difficile à pénétrer. L’argument avancé est une élément quantitatif : pourquoi parler de ces femmes qui ne représentent que moins de 4% de la population carcérale globale. Si on suit cette argumentation, on ne devrait alors parler que de ce qui est reconnu comme étant significatif pour une société, un élément qui lui donne du sens.
Et pourtant, nous allons tenter, aujourd’hui, de parler de la vie quotidienne de ces femmes qui sont enfermées au même titre que les hommes. Un seul outil est disponible et bien rudimentaire, ce sont les statistiques du Conseil de l’Europe (S.P.A.C.E : Statistiques Pénales Annuelles du Conseil de l’Europe) qui produit une fois par an, un état des lieux de la question de l’incarcération en Europe. Alors demandons-nous : comment est pensée la prison sur le territoire européen (territoire qui dépasse les frontières de l’Europe politique) ? Sommes-nous en phase de devenir les spectateurs d’une volonté d’unifier l’enfermement ?
Ce sont ces diverses questions qui seront le fil conducteur de cette discussion-débat quant à la prison sur l’espace européen, une terre peuplée de paradoxes nationaux, culturels ou encore politiques. Ce sont ces divers paradoxes qui nourrissent la multitude des modes de pensées par rapport à la prison. La remarque préalable est celle selon laquelle : parler de l’Europe, c’est évoquer un territoire pluridimensionnel au sein duquel s’élaborent de multiples stratégies notamment en matière politique. D’où un choix de ma part quant à constituer trois espaces définis selon un mode de fonctionnement et d’organisation foncièrement différents. Trois territoires qui me semblent rendre compte au plus proche de ce que la réalité permet, un état des lieux de l’incarcération. Le premier groupe est celui que j’ai noté comme étant les « Etats-nations » réunis sous l’égide de l’Europe politique. C’est un système démocratique, une économie de marché conditionne la sphère financière. Il s’agit de l’Europe des 25.
Second « bloc », celui des pays notés comme étant les
« cavaliers seuls » de l’Europe. Forte présence de l’argent
dans leur fonctionnement et volonté de conserver une
indépendance nationale. Nous y retrouvons des pays comme la
Suisse, Andorre ou l’Islande. Enfin, le dernier regroupement
est celui des pays dits de l’Est qui renvoient à une
existence marquée par la guerre et les conflits ethniques.
Nommons ici la Russie, l’Ukraine ou la Pologne. L’objectif
n’est pas de cloisonner ces pays dans des catégories mais de
tenter de donner du sens aux diverses questions que suscite
la prison.
États
des lieux de la prison en Europe
A. Les prisons européennes :
Lorsque l’on observe les premières données sur les
établissements pénitentiaires, notons une première
remarque par rapport à la population carcérale : le problème
de la « sur-population », phénomène récurrent dans les trois
espaces distingués préalablement avec une nette croissance
dans le bloc de l’Est. Une explication peut être avancée
quant à ce fait et que nous pouvons nommer de la sorte : les
pays européens ne disposent pas de moyens similaires pour
proposer des situations alternatives à l’enfermement ou
encore des aménagements de peine.
Notons quelques chiffres quant au problème de densité
carcérale qui ne cesse de croître : En France, il y a au 1er
septembre 2003 : 53 463 détenus pour 47 933 places ; en
Italie : 56 200 détenus pour 41 798 places ou encore la
Pologne avec 80 610 détenus pour 69 079 places. Néanmoins,
il faut indiquer que les pays que nous avons regrouper sous
l’étiquette des « cavaliers seuls » n’entrent pas au sein de
ce phénomène de « sur-population carcérale ». Ce fait est à
rattacher à l’idée selon laquelle ces pays ont des
politiques pénitentiaires et pénales plus « souples »
c’est-à-dire que leur construction sociale du crime ne
répond pas aux mêmes dénominations. Nous sommes évidemment
dans le registre de la suggestion d’explication car ces pays
étant très hermétiques, les données ne sont pas nombreuses.
Autre remarque importante est que le recueil de données
s’est fait suivant le principe suivant : sont considérés
comme détenus, toutes les personnes qui sont placées sous
l’autorité du Ministère de la Justice ou assimilés. Lorsque
j’évoque les aménagements de peine, je pense en l’occurrence
au P.S.E (Placement sous Surveillance Electronique) qui
s’adresse aux personnes dont la peine est inférieure ou
égale à un an et dans le but de « responsabiliser » le
détenu. Une critique peut être faite quant à cet aménagement
de peine, c’est qu’il ne s’adresse qu’aux personnes ayant
une peine considérée comme « courte » soit une partie de la
population carcérale et ce qui creuse le fossé quant aux
projets de sortie des longues peines. Ajoutons à ces points,
le coût de la mise en place du P.S.E qui n’est pas à la
portée des pays les plus faibles économiquement.
Quelle est la population enfermée en Europe ? De façon
globale, si l’on se penche sur les données disponibles, nous
remarquons que la moyenne de l’âge à l’enfermement est de 34
ans soit des personnes qui ont une relative assise sociale
ou autre fait, des individus qui ne sont jamais parvenus à
se définir une place sociale et ont inscrit la prison dans
leur histoire personnelle. Les condamnations montrent
une relative concordance entre le prononcé de peine et
l’idéologie étatique en fonction de laquelle s’élabore le
système judiciaire du pays. Malgré tout, il est des pays qui
enferment plus que d’autres. Entendons par là, que la prison
est pour certains pays, un recours pour enrayer toute
revendication au régime. Bien que paraissant très archaïque,
la réalité est là.
Pour la France, la typologie « viol » est celle qui enferme
le plus de personnes avec une population carcérale de 8025
détenus (pour des viols ou attentats à la pudeur). Ce fait
est à rattacher à différents arguments tels que la
construction de l’infraction « viol » en lien avec
l’évolution du statut de la femme. En effet, nous pouvons
noter que les femmes, en acquiérant une identité de femme,
ont donner plus de poids et de sens à ce qu’elles
rencontraient. L’Ukraine est le pays européen qui offre le
panel des infractions c’est-à-dire qu’il n’est pas de
typologie carcérale qui ont une plus grande part dans les
condamnations. L’intérêt est à présent de proposer un tour
d’horizon de chacun des trois blocs.
Trois conceptions de
l’enfermement, trois réalités carcérales
1 ) L’Europe des 25 : Depuis le 19e
siècle, nous assistons à une multiplication des discours
positivistes, humanistes sur la prison tandis que les
données traduisent une autre réalité : sur-population,
manque d’hygiène, absence de formations, pas de préparations
à la sortie… Pour rendre compte au mieux de l’incarcération
en Europe et de sa diversité, j’ai choisi de présenter deux
pays qui apparaissent comme très différents quant à la
gestion de la prison : le Portugal et la Finlande. Les
finlandais conçoivent le problème de l’enfermement comme
devant répondre à un programme élaboré par des
scientifiques. Pour enrayer les difficultés qui traversent
la prison, ils se sont associés aux acteurs du domaine pénal
et ensembles, ils ont conçu une nouvelle libération
conditionnelle associée à un abaissement du quantum de
peine. Cette idée fonctionne sur le principe d’une
association entre le domaine scientifique qui propose une
théorie et les professionnels qui offrent une réalité.
Pour le Portugal, la prison doit être traitée comme
enfermant des personnes en rupture sociale et les solutions
sont pensées sur le mode du ré-apprentissage de la vie
sociale. Très traditionnel, le pays doit faire face à une
situation particulière : l’élaboration d’un système commun
est difficilement envisageable compte tenu de l’organisation
politique basée sur une division du pays en arrondissements
dont le pouvoir appartient à de multiples assemblées d’élus
regroupés en conseils. Volonté d’homogénéisation, telle
semble être le projet de l’Union Européenne mais se pose le
poids des diverses identités nationales associées à la
portée historique que chaque pays veut et doit conserver.
Ainsi, l’objectif semble être freiné dans cette tentative
d’unification carcérale.
2 ) Les « cavaliers seuls » : Au sein de
ce « bloc », notons une présence essentielle de l’argent qui
constitue un leitmotiv organisationnel. En matière de
criminalité, le blanchiment de l’argent, les « paradis
fiscaux » sont autant de réalité qui empêche une possible
acquisition de données. La thématique numéraire organise les
indications à transmettre dans la connaissance de ces pays.
A cela s’ajoute le protectionnisme, valeur forte de ce bloc
notamment dans la préservation des capitaux engagés dans le
système et ce dans le seul but de conserver leur place dans
l’échiquier mondial par rapport aux bien financiers. En
fait, concernant ces pays, nous sommes dans un flou complet
de par leur volonté de ne pas diffuser, de limiter les
communications… Nous avons là, toute l’illustration de la
théorie du « non-dit ».
3 ) Les pays de l’Est : Régime très
dirigiste, économie autarcique, pays parqués par les guerres
notamment en matière ethniques… Ce sont au sein de ces
réalités que la prison prend tout son sens avec en
l’occurrence une représentation de la précarisation. En se
penchant sur les chiffres (et nous sommes également dans un
système quelque peu protectionniste), nous observons une
part conséquente de la Russie tant de par sa surface que par
le nombre de personnes qu’elle enferme : 971 496 au 1er
septembre 2001. Forte population carcérale, la répression
est organisée par des gangs gérées par de riches industriels
qui s’approprient un territoire et structurent une Police
(qui revêt toutes les formes d’une milice). Avec la Russie,
nous sommes dans un système de hiérarchie militaire basée
sur la répression et où le prison est une réponse aux
opposants du régime. Si dans le bloc précédent, nous étions
dans une dialectique de l’argent et de la criminalité, nous
sommes, avec les pays de l’Est, dans une dualité entre
criminalité et stratégies politiques. Il faut tout de même
avoir conscience des bouleversements mis en route.
La population carcérale de l’Est est une population
constituée surtout de pauvres (financièrement, socialement…)
pour lesquels la prison ne propose aucune formation, aucune
réadaptation sociale n’est engagée. La détention fonctionne
suivant un système de camps au sein desquels les détenus
doivent apprendre à préserver leur pays. Sorte
d’embrigadement forcé, la prison est ici l’illustration du
plus fort taux de mortalité des personnes qu’elle enferme.
Cette sur-mortalité touche essentiellement les femmes et est
le résultat d’un manque d’hygiène, d’une malnutrition ou
encore de la sévérité de la discipline. Cependant, nous
manquons de données significatives de ce changement quant
aux politiques pénales ou pénitentiaires. Ajoutons la
censure qui a toujours joué un rôle essentiel et notamment
en matière d’exportation de son image dans les autres pays
européens. Faire un tour d’horizon de la question de la
prison en Europe pose le problème du mutisme très récurrent
des « cavaliers seuls » ou encore la censure des pays de
l’Est. Protection des capitaux, préservation de l’image,
voilà les projets qui apparaissent comme empêchant la
connaissance de la question de la prison.
Les femmes dans les prisons
européennes
Prémices et difficultés du recueil de données.
Quel que soit le pays européen où l’on se place, nous
remarquons que l’incarcération féminine est peu voire pas
abordée. Elle est confondue dans les données statistiques
avec la catégorie des « étrangers » soit une population
fortement stigmatisée mais peu connue. Si femme et prison
sont souvent présentées comme étant antithétiques,
l’objectif est ici de dévoiler une situation bien concrète
d’un monde souvent confondu avec l’univers carcéral
masculin. De façon générale, il n’existe pas de régime
spécifique de détention aux femmes qui se voient appliquées
aux mêmes réglementations que celles des hommes. L’idée
principale est celle d’une justice pénale fondée sur le
principe d’égalité devant la loi sans distinction de sexe.
Les données, comme il a été précisé préalablement, n’offrent
pas de significations nécessaires quant à l’étude de
l’incarcération au féminin. Le Conseil de l’Europe propose
quelques chiffres, très rapides, sur ces femmes. Elles sont
en moyenne 4,3 % à être incarcérées dans les prisons
européennes avec des exceptions dans des pays à forte
connotation idéologique traditionnelle tel que l’Espagne ou
le Portugal. Dans un souci de présentation, nous avons
choisi quelques pays qui offrent une plus grande
« ouverture » quant à ces prisons de femmes. Nous présentons
donc les faits en Allemagne, Espagne, Royaume-Uni et tentons
de dégager les caractéristiques. Dans les prisons
allemandes, les femmes sont soumises à une réglementation
spécifique par rapport à leur enfermement notamment en
matière de maternité. C’est une population issue de la
grande précarité sociale avec une forte part de toxicomanes.
Les infractions où l’on note la présence croissante des
femmes sont le non-paiement d’amende, le vol soit un passage
à l’acte dit de subsistance.
Pour l’Espagne, le portrait est autre puisque la population
carcérale féminine ne cesse de croître surtout entre les
années 1984 et 1996 notamment pour le statut des condamnées.
Le pays offre une part importante de détenues politiques. La
politique pénitentiaire espagnole se caractérise par une
volonté de maintien des liens familiaux et la mise en place
de moyens appropriés (incarcération proche du lieu
d’origine, par exemple). Une spécificité espagnole en est
l’illustration, c’est la prison conjugale qui enferme des
couples ensembles et qui ont la possibilité de garder leur
enfant jusqu’à ce que celui-ci ait atteint 3 ans. L’Espagne
est le pays européen qui enferme le plus de femmes avec le
Portugal. Enfin, le Royaume-Uni : les détenues sont en
augmentation jusqu’à ce que leur taux de croissance soit le
double de celui des hommes. Dans cette répartition, notons
une part considérable d’étrangères qui se regroupent au sein
des onze établissements accueillant des femmes. Il est une
spécificité anglaise, c’est la prison de Holloway qui est la
plus grande prison européenne en matière de femmes
puisqu’elle a une capacité d’accueil de 532 places.
Les femmes dans les prisons
françaises
L’exposé ne serait pas complet si l’on ne parlait pas de la
situation de la France. La loi Weil fut votée il y a 30 ans
et le statut de la femme en est fortement marqué même si les
idéologies traditionnelles ont d’énormes difficultés quant à
accepter cette évolution statutaire. Les femmes détenues en
France ne représentent qu’une strate de la population
globale avec 2509 détenues au 1er juillet 2004,
elles n’ont pas de régime de détention spécifique au sexe et
sont régies selon le même cadre politique
pénitentiaire. Les discours « salvateurs » les présentent
comme des ruptures sociales c’est-à-dire que ces femmes ne
répondent pas à une réalité sociale. Or les chiffres
contrecarrent ces idées préconçues puisqu’en étudiant
l’évolution de la population carcérale féminine, nous
observons une certaine continuité dans les crimes de femmes
voire un rôle d’actrice de l’acte. Nous avons choisi de nous
situer entre 1969 et 2001 et selon trois critères (l’âge, le
quantum de peine et l’infraction) afin de rendre compte au
plus près de la réalité du phénomène.
1 ) L’âge : Nous notons une certaine
stagnation dans la moyenne d’âge qui se situe dans la
catégorie des « 30 / 40 ans » soit des femmes qui ont tenté
de répondre aux demandes sociales d’être dans un rôle de
mère ou d’épouse. Comme nous l’avons relevé précédemment, il
y a une difficulté d’analyse car soit elles furent
positionnées selon une certaine assise sociale ou bien,
elles n’ont pu se détacher de leur histoire marquée par les
ruptures sociales.
2 ) Le quantum de peine : De façon
générale, la société enferme les femmes pour des peines
dites courtes c’est-à-dire inférieures à un an. Néanmoins,
nous constatons une augmentation de ce quantum de peine
depuis la fin des années 80, période de la prise de
conscience du bouleversement dans la considération de la
femme. Si l’on poursuit sur les caractéristiques, nous
observons que la majorité des femmes incarcérées souffraient
avant leur détention, d’un fort degré d’exclusion sociale,
exclusion maintenue en prison. A partir de ce constat, nous
remarquons que les femmes emprisonnées ont des difficultés
importantes quant à se ré-insérer à leur sortie.
3 ) L’infraction : Le vol est une
infraction féminine et reste le motif de détention le plus
significatif quelle que soit l’année de référence. A cette
infraction s’ajoute l’homicide volontaire dont les femmes
deviennent de plus en plus actrices ce qui explique
l’allongement de la peine. En effet, il semblerait que les
crimes de femmes sont plus réprimandés que ceux des hommes
du fait de leur rupture avec les représentations
traditionnelles.
Le projet de cette communication était de présenter un état
des lieux de l’incarcération en Europe puis recentrée sur la
France. Le constat que l’on peut émettre est celui qui fait
de la prison, un élément que la société veut rendre
invisible car elle touche aux valeurs fondamentalement
sociales. Or il semblerait que les pouvoirs politiques
oublient les individus qu’elle enferme. Si les objectifs
sont d’améliorer les conditions de détention, la réalité
offre un visage toujours plus a-social de la prison.
Le programme le plus louable ne serait-il pas celui de faire
de la prison, un problème social qui remet en cause les
fondations politiques et idéologiques et que l’on oublie un
peu trop vite les personnes qui sont enfermées pour des
années ?
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