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CCR : Méta religion d'un temps désorienté


 

Djallal HEUZE
EHESS Centre d'anthropologie, EHESS-CNRS, Toulouse - Centre d'études de l'Inde et de l'Asie du Sud
Droits de reproduction et de diffusion réservés © LESTAMP - 2005
Dépôt Légal Bibliothèque Nationale de France N°20050127-4889



La reformulation des dimensions symboliques, mythiques et imaginaires du genre humain en période de mondialisation “sans retour”. CCR c’est une hypothèse et une intuition. Les initiales signifient Crise, croissance réforme. Nous parlons de métareligion parce quelle met en scène des emboitements, successions et imbrications d’éléments qui ne sont pas tous sacrés, sanctifiés ou sacralisables mais dont certains le sont et dont l’agencement constituerait, selon notre hypothèse, une réalité transcendante ou supérieure, vécue comme telle bien avant d’être théorisée. Le théorique serait généralement devancé par les actes. Héritière d’une partie des pratiques et des positionnements des bourgeoisies du XVIIIe et du XIXe siècle d’Europe, dressées contre la rhétorique et le culte des statuts des anciens régimes, ayant intégré de nombreux autres éléments, la CCR existe d’autant mieux qu’elle ne se définit pas, ne se justifie pas et dans certaines perspectives de poids, n’existe pas. Elle a un côté fantasmatique. Par rapport aux idéologies de la discrétion bourgeoise, à la volonté de tout fondre dans une classe moyenne et un universalisme plus ou moins typé (ou dans le racisme) CCR appartient cependant à une société où la mise en scène, la pub et la propagande par l’information sont des faits premiers. Certaines de ses manifestations sont plus qu’ostentatoires.

Ses initiales désignent un ensemble de pratiques qui concernent tout le monde. C’est une volonté affichée, reprise, asséné et glorifié que d’être mondial ou global.[1] Sinon, dans nombre de discours et d’aussi nombreuses pratiques actuelles on n’existe plus. La capacité d’humaniser ou déshumaniser fait partie du capital de pensée et d’action des grandes religions et aussi des Etats. Ces pratiques CCR auraient le pouvoir, la puissance plutôt, de phagocyter, intégrer ou infléchir les autres, anciennes ou non pratiques et modes du religieux. Elles seraient aussi capables de mettre en pièces ou de faire vivre selon ses rythmes et concepts, les perspectives areligieuses, les athéismes ou les matérialismes, ces niveaux et appréciations de la conscience humaine n’intéressant pas vraiment la CCR. Nous n’animisons pas cette dernière que pour raccourcir le propos, sans croire nullement que CCR soit un être, ou une entité vivante d’un autre ordre. Ils sont peut-être effectivement subsidiaires à un ordre métahumain qui se déconnecte souvent des pensées, plus encore des “valeurs”[2] Les trois termes, croissance crise réforme, n’ont pas une importance énorme. Pour mieux dire ce serait leur contenu précis, sémantique et culturel qu’il conviendrait de relativiser. Ce qui compterait serait plutôt l’arrangement de contenus passablement mouvants mais centrés sur un principe, un rapport au monde, des vues de l’être. Nous avons retenu CCR, en France contemporaine, parce que nous sommes de culture française actuelle, avec des nuances et des particularités évidemment. Ces mots sont bien installés, presque ‘fichés’, dans les vocabulaires savants puis courants de la région et de la langue depuis deux bons siècles. Ils sont par ailleurs répandus, avec des traductions et interprétations pertinentes, voire impertinentes, partout, y compris dans les langues inuit.

Nous poserons comme hypothèse que l’important serait qu’ils soient trois, que leur coordination, de type tendue, soit forte et que le monde entier soit concerné. Une première remarque: si (le chiffre) deux met souvent en scène le conflit et le pouvoir, trois est reconnu dans beaucoup d’ensembles civilisationnels, comme un signe de l’apparition du religieux. C’est un ensemble stable et, nous le verrons, structurellement producteur de transcendance. Religieux est devenu un terme malséant, surtout pour parler de ses propres pratiques et des habitus de masse en milieu médiatisé et publicisé. Par ailleurs des inventions et réductions du religieux opérées à partir de catégories catholiques strictes vues comme l’envers des idéologies des lumières et de la rationalité a introduit sur la scène des objets standarts qui ne sont pas tout ce que nous considérons comme “le religieux”.  Nous prendrons la désaffection vis à vis d’un terme (religieux) qui reste insurpassable comme une mode, assez localisée à la France urbaine et intellectuelle et d’un intérêt relatif. Religere, relier et associer des humains et leur milieu, est bien ce qui est en cause ici. Des termes ont changé et évolueront encore. Ce que nous expliquerons plus loin est centré sur la relation de ce tripôle aux univers conceptuels de l’humain et aux perspective de devenir. Il y aurait donc une métareligion omniprésente de CCR. Laissons cela pour le moment.


Les anthropologues

C’est communément mais de plus en plus souvent à tort que l’on se représente les anthropologues comme des gens polarisés par de petits mondes marginaux, fermés ou ‘traditionnels’. Les petits univers sont dignes d’intérêt, encore que certains d’entre eux aimeraient assez avoir la paix. La question est ailleurs. Dans le cadre qui est le notre en Europe aujourd’hui, le discours des sciences sociales s’effondre dans la médiocrité du convenu ou de la commande, le bavardage moralisant et, plus essentiel encore sans doute, dans l’infinie fragmentation des perspectives et de la pensée. L’anthropologie n’est pas une panacée, encore moins un remède. C’est un peu par hasard, parce qu’elle n’est pas à la mode, ne suscite pas d’enjeux et oublie plus ou moins tranquillement ses origines épouvantables[3] qu’elle se révèle pour un temps utile, peut-être irremplaçable. Les bavardages, les stances inébranlables et l’immense gamme d’interventions intermédiaires sur la mondialisation ne peuvent passer dans le champ disciplinaire sans favoriser des remises en cause, des débats et des repositionnements, outre la volonté de préserver ses  perspectives propres, ses sujets et la diversité humaine. Les “sciences"[4]  inquiètes sont, semble-til créatrices, même peu et relativement. C’est de cela que nous voulons profiter. L’anthropologie rappelle à qui sait s’en servir que certains de ses promoteurs ont mis en scène une vision synthétique et plus ou moins complète de l’humain. Malgré ce qui se raconte au sujet de la machine, en vertu justement de cette puissance qui s’y rapporte et de l’humanité infinie de la médiation par l’outil, cet humain persiste à exister comme une globalité, autant mais différemment que le marché ou la planète, au delà et en deça des généralisations sympathiques, mais tellement abstraites et parfois cyniques, sur les Droits de l’Homme (ensemble situé) et les valeurs humaines (réalité mouvante). L’intérêt de ces derniers n’est pas en cause. C’est leur influence, leur impact sur les faits qui l’est.

Si l’anthropologie s’associe avec des données de l’ensemble de la connaissance, ce qui est une de ses tendances profondes, si elle n’ignore pas ce qui se sait en sciences politiques, en psychanalyse, en psychologie de masse et en histoire, si elle permet d’introduire une mesure raisonnable (compréhensible) de comparatisme, elle devient franchement précieuse. C’est du capital de croyances, de rites et de rapports sociaux liés à des perspectives sacrées ou supérieures, que nous voudrions parler. De nombreuses personnes se sont rendues compte depuis trente ans en ce pays que les échanges commerciaux et les styles de tours de contrôle[5] n’étaient pas les seules choses à connaître un accroissement prodigieux et une standardisation nouvelle. On a évoqué, et encore plus souvent craint, de nouvelles croyances “dures”, limitées aux recompositions de religions préexistantes autour de principe durcis et de pratiques unifiées[6]. D’autres auteur(e)s ont parlé de “bricolage” ou d’adaptation aux circonstances. Ces analyses intéressantes demeurent limitées. Elles sont prisonnières du cadre conceptuel de la recherche en science sociale et de ce qui le surdétermine. Dans ces domaines, où il faudrait beaucoup d’érudition, de force de caractère et de sens critique, il est extrêmement quadrillé. Il est particulièrement influencé par les appareils et groupes de pression de différentes religions, au premier plan le christianisme protestant, ceux, plus faibles de diverses moutures de philosophie rationalisantes et les perspectives de groupements et courants qui se pensent au dessus ou contre le religieux parce qu’ils ont nié, à une moment de leur affirmation, une croyance ou un ordre qui leurs paraissaient irrationels ou injuste. Ces groupements et courants représentent souvent des groupes d’intérêts un peu déphasés dans un univers où la grande croyance est le triangle CCR et non le divin ou son absence.

C’est à la fois une gageure et un besoin pressant que de parler de manière générale et un peu distanciée du sujet. C’est fort peu dire qu’il est bourré d’écueils. La réthorique, façon historicisme ‘hegelien’ ou autre, est tentante mais nous poserons le postulat de sa vanité. Il n’y a rien à annoncer. L’histoire a été suffisamment animisée et ses acteurs essentialisés, simplifiés et amalgamés pour que l’on en rajoute. Les choses sont là, lourdes, mélangées, pas vraiment attrayantes pour qui veut mettre l’esprit, l’humain ou encore le savoir, en valeur, attachantes pourtant quelquefois parce que les destins croisés des êtres y sont collés ou imbriqués, compliquées et ambivalentes en toutes circonstances. Il y a énormément d’éléments et d’une certaine façon, tout se rapporte au sujet. Toute tentative pour le réduire à quelques principes en usant du style “ce n’est rien d’autre que”, est illusoire et ennuyeuse. Amalgamer ou rapporter à des catégories existantes, du religieux, du politique ou de l’aconomique, en défférenciant bien les genres est confortant - c’est pourquoi c’est tellement pratiqué - mais le faire nous aide surtout à mesurer la misère des catégories présentes de la sciences sociale en matière de compréhension du religieux. L’ensemble a été torturé par les pensées réductrices de quelques spécialistes et de nombreux prêtres et croyants. Nous citerons, juste pour mémoire la polémique scientifique n’étant vraiment pas le but de ce texte, le poids exacerbé des représentations philosophiques grecques, kantiennes et matérialistes dans certains milieux ou la tendance rémanente à prendre une religion pour ce que ses textes ou ses prêtres ou encore ses pratiquants en disent. Il convient de nous rappeler constamment qu’une grille de lecture n’est pas le réel, qu’un mot n’est pas la chose et que les réalités les plus puissantes tendent à devenir, de par leur puissance même, les moins évidentes et, dans le cas précis d’une approche par les mots, les moins descriptibles.

Un des prémices de notre intervention dans le champs de débats, évités ou non conceptualisés, plus qu’interdits, tient donc à la conscience, ou la préscience de la prégnance d’une “vulgate” ou d’une idéologie, ou encore d’une conscience subliminale, élastique mais omniprésente et puissante, touchant à ce que sont les humains, leur destin et leurs rapports éventuels avec des sacralisations ou/et des hiérarchisations ontologiques. Sans qu’ils soit intéressant de parler de tromperie, ce vieux terme commun à de nombreuses religions et aux cultes récents de l’Etat et de la communauté, c’est d’abord l’impression d’un magma où les éléments de la réalité se trouvent imbriqués et comme mélangés, sans laisser de possibilité de distanciation aux humains, qui prévaut. Les idées de complot, de manipulation et d’intérêt s’offrent mais leur utilité est secondaire bien que les intérêts et des manipulations soient présents, comme dans tous les cadres humains complexes ou simplement compliqués[7]. Il s’y ajoute le sentiment de la présence de nombreux jeux de rôles, probablement liés à l’énorme médiatisation et au caractère publicitaire ou emblématique de la vie sociale qui entre en ligne de compte, qui fait, en dernier ressort, la CCR. Enfin la prolifération  d’interversions et d’angles morts de la pensée est frappante. C’est comme si l’humain contemporain, honnête, manipulateur ou autre, peinait à définir le monde qui le concerne au plus proche et plus encore à reconnaitre ce qui, dans ses relations et la constitution de sa personne, le rapporte à des phénomènes profonds, généralisés et humains. Beaucoup s’épuisent à se définir comme originaux, voire uniques quand ils n’arrivent tout simplement pas à être, au delà de l’existence. L’espèce de transe individualiste qui saisit nombre de participants des scènes contemporaines contribue beaucoup à transformer les consciences de soi et les savoirs sur autrui en bavardages désaxés mais ce n’est très probablement pas le seul phénomène en cause.

Il est sans doute utile d’avoir approché durant des années des sociétés basées sur l’affirmation et la valorisation de statuts sacralisés, qui ne font guère de problèmes pour faire de la puissance un élément proche et omniprésent de sacré puisque, de puissance sacrée, de statuts ou de classements, il sera quelque peu question. Une connaissance de mondes extérieurs, à son propre monde quotidien, prétendument universel ou non, constitue une extériorité ou une source de recul précieuse. L’approche d’univers vivants assez forts pour se croire les maîtres de leurs destins et de leurs relation au sacré, même dans de petits espaces et moments, l’est aussi. En ajoutant à ces traits une érudition notable il y aurait un cocktail de base, nécessaire mais pas suffisant. Il serait vital aussi, par exemple, d’avoir de l’humour, encore que ce dernier puisse être un jeu de négociation assez futile avec des réalités que l’on ne veut pas voir et évite de prendre le risque de comprendre. S’il est une incarnation agréable du sens critique et de la distanciation, qui sont si facilement ratiocineurs et accusateurs, cet humour devient un élément de première valeur. Rien ne permet de croire à notre capacité de nous hisser vers les sommets qui viennent d’être évoqués. Nous nous permettrons cependant de continuer.

Nous partirons d’une base très souvent oubliée. Nous vivons en un lieu et un moment où, à part les exagérations des “inventeurs d’ère”, moderne ou non, sur mesure et garanties imputrescibles, la tendance à l’oubli dans la minute qui suit de ce qui vient d’être présenté comme éternel dans la minute précédente s’est hypertrophiée d’une façon déraisonnable. Ce n’est pourtant pas, cette région de Toulouse (France) en l’hiver froid 2005, un lieu de grands drames ou de désagrégations culturelles incontrôlées. C’est plutôt l’habitude maintenant planétarisée, des systèmes de diffusion (de quoi? Information est un terme nettement déplacé pour cette gestion minutieuse et quelque part incontrôlée de flux de mots et d’images) et le rôle de milieux de spécialistes de plus en plus dépassés par leurs objet, qui fabriquerait la tendance. Cette instabilité et cette volonté de tout inventer ont quelque chose de touchant. Il est cependant difficile d’en tirer quelque chose d’autre que du vertige.

Il nous semble au contraire probable que le capital de relations et de concepts dont dispose les humains, notamment en matière de religieux et de morale, n’a que peu évolué depuis l’époque de Bouddha, de Confucius, de Mahavir et de Zoroastre, il y a deux mille cinq cent ans, quand les grandes notions du sacré qui demeurent des jalons de la conscience humaine ont été élaborées puis socialement expérimentées. La Grèce, l’Egypte et Rome ont aussi participé de ce mouvement, incarné ailleurs par des systèmes moins visibles, en termes de pouvoir, mais souvent aussi perfectionnés en ce qui concerne les inventions de rapports sociaux et la perception de ce que peut être le sacré, dans de nombreuses parties du monde. Les ensembles du monothéisme biblique et post biblique ont participé à ce fonds commun ancien, suivant des processus courants qui ne permet pas d’en faire des éléments extraordinaires. Cette affirmation générale n’a pas grande portée et n’est pas centrale. Il n’y a pas lieu de s’y arrêter. Ce qu’a apporté l’univers récent des techniques de la maîtrise (sur la nature, donc sur l’humain) aux constructions de religieux et à l’expérience des humains en relation est à la fois gigantesque, imniprésent et fort mince. Les premières ont continué à vivre, se transmettre, parfois se sophistiquer, plus souvent, peut-être, se simplifier, en usant d’apports anciens. Le principe d’un empilement de réalités et d’une juxtaposition de pratiques, relatifs et dépendants de faits structuraux potentiellement divergents, qui a été valable pour tous les lieux et toutes les pratiques humaines, apparait ici singulièrement pertinent. L’apport des sciences sociales, récemment ‘coagulées’ et spécialisées, existe enfin mais il est singulièrement décalé et peu utilisable dans la vie quotidienne, surtout lorsque des quantités de gens laissent des écrans penser à leur place.

La déstructuration, l’infléchissement et la régression du langage est un des niveaux de la réalité contemporaine qui permet d’introduire au phénomène. Pourquoi un ensemble de discours et de pratiques qui ont, nous allons tenter de le montrer quelque chose d’invraisemblable, de dérisoire et de suicidaire tout en étant imparables et capables d’assumer de multiples postures, ont-ils assumé un statut aussi incontournable? Pour l’aborder, sans évidemment tout comprendre à partir d’un aussi petit exemple, il est intéressant de revenir sur ce qui se passe dans les sciences sociales contemporaines, en France mais aussi, au prix d’inflexions diverses dans tous les pays du monde où fonctionnent des systèmes de reproduction des savoirs. La science sociale est passée dans l’orbite des donneurs de contrats et, loin d’inspirer le journalisme de qualité comme cela a pu être le cas à des époques antérieures, elle emprunte des schémas, voire des tropes, au journalisme de standart médiocre. Ce phénomène d’apparence triviale nous porte au coeur de la “métareligion” Crise Croissance Réforme. Cette dernière est en effet structurellement normée pour associer le populaire, la masse, une masse attachée à certaine formes de confusion intellectuelle et à la brutalisation sociale, à des notions de l’universel inventées par des élites ou de tout petits groupes sectaires, en manipulant le langage et toutes les pratiques symboliques. En sciences sociales, l’utilisation sans nuance ni contextualisation de notions comme “société civile”, “marché”, “secteur informel”, “fondamentalisme”, “classes moyennes” ou “mondialisation”, ainsi que crise, croissance et réforme, après avoir abusé des concepts de progrès, modernité, tradition et quelques autres, s’accompagne d’un jargon impressionnant et de restes de méthodes objectivantes. Ces expressions sont ce que nous appelons des ‘incontournables’. On en retrouve des quantités dans le cadre de la CCR dans toutes sortes de configurations. Leur généralisation exprime la puissance de ses catégories, le caractère total et incontesté de son champ d’influence. Si les sciences sociales ne sont généralement plus très intéressantes elles restent puissamment arides. La CCR dispose au contraire de moyens pour se rendre intéressante[8], vitale, séductrice et, nous l’avons déjà remarqué, incontournable. Humains et ensembles humains fusionnent au moins partiellement avec elle. C’est le propre de tout grand système socioreligieux.


Une introduction à CCR comme fait religieux

Nous nous trouvons en face d’un discours total qui ne se pose pas, ou appremment pas, dans les cerveaux et les relations sociales en surveillant des actes et des consciences. La force et l’importance du système sont ailleurs. Les systèmes totalitaires récents, les tentatives d’Empire (allemand, soviétique) et d’autres ensembles oppressifs visant à remplacer le religieux antérieur par la sacralisation de leur réalité s’appuyaient sur des croyances proches de celles que nous voyons fleurir en CCR. Crise, croissance et réforme les ont porté en avant (c’est métaphorique) et animés, de manière plus ou moins obsessionnelle. Ils organisaient cependant mal les catégories et les relations internes à l’ensemble. Le tripôle de relations structurelles dont nous allons parler n’était pas équilibré. Souvent il manquait un élément ou il ne s’incarnait que par des jeux de mensonges (la Réforme, la Croissance). Ils s’appuyaient sur des associations intenables et porteuses d’auto ou d’exodestruction. Cela les a rendus faibles et ivres de puissance fragile. A postériori, nous aurions tendance à les voir comme des hétérodoxies et des hétéropraxies d’une CCR en voie de constitution. Toute orthodoxie d’aujourd’hui peut se démoder, se débrancher et être jugée de façon dépréciative, voire diabolisée (l’idéologie de la planification d’hier). C’est une caractéristique centrale du champ métareligieux. Pour l’instant, malgré l’ambiguïté de nombreuses relations et processus, l’ensemble CCR est apprécié, à moins qu’il ne faille dire: adoré, sans problèmes par des ensembles aussi immenses que variés, ou plutôt dissociés. La séduction, branchée sur les flux du désir, est au centre de l’ensemble CCR. Elle fonde ses existences, réelle et fantasmée. Cette propension à dissocier les sociétés pour se faire de la place est au coeur de la métareligion. Il s’agit beaucoup moins de croyance, malgré le caractère cru et dur de nombreux actes de foi, que d’adhésion à des logiques, de reconnaissance dans des symboles et de choix réduits à des alternatives entre l’acceptation de l’ordre ou l’enfer ou le chaos, la régression, la malédiction, la mort, etc, ... Cette pluralité d’inflexions est caractéristique. Nous y reviendrons. Ce qui parle de croissance touche à l’être, les catégories de CCR usant de la propension humaine à généraliser, alors que leur puissance est telle qu’il est difficile de leur opposer des barrières.

Il existe un credo, à moins qu’il ne faille parler de profession de foi ou plutôt de mantra[9]. Cette dernière formule ouvre les portes d’une réalité “plus que réelle”, sinon plus que parfaite, inspirée par les catégories de la CCR et grandie par l’influence de son champ, de ses capacités d’attraction et d’infléchissement, si l’on veut rester simple en ratant plus ou moins décidément son but. La croissance mène à la crise qui induira la réforme. Cela paraît simpliste, comme toutes les contractions d’ensembles compliqués et incarnés de manière très multiple mais c’est explicite. On le dit, on le fait et l’on recommence parce que les mots magiques et les affirmations de foi n’ont qu’une efficacité limitée et parce que c’est aussi un des modes de fonctionnement de l’ensemble humain. Une partie de la CCR se présente comme la simple réalité, une réalité crue et matérielle cernée au mieux par les meilleurs éléments de la science. Elle est aussi une version élevée, purifiée et orientée de cette réalité. Le discours commun CCR, celui de presse, télé, publicité, rappelle souvent ces petits livres expliquant la transcendantale[10] que les services de marketing du guru indien Maharishi diffusait chez les petits bourgeois nord américains paumés ou curieux durant les années 1970. Ils insistaient sur le fait qu’il ne s’agissait pas de religion mais de mise en forme, de science et d’adaptation au rythme du monde et à la société des hommes[11] . 

Malgré les préoccupations de santé et de longévité exprimées par de grands tenants des dogmes CCR, on peut simplement souligner que cette dernière se préoccupe moins centralement de santé et, surtout, de sociétés. Il est utile de préciser que Maharishi était un religieux et des plus sérieux, tout en se montrant aussi capable de faire de la gestion d’entreprise, ce qui n’a rien de novateur dans ce champ. La propension religieuse à se vouloir la réalité, la science de son temps et de son lieu, n’est pas neuve. Les inflexions de ces processus sont si nombreuses que nous ne pouvons en discuter plus en détails. L’ensemble des pulsions et processus religieux de CCR est d’ailleurs fait d’emprunts. C’est une constante des grands ensembles de croyances qui prétendent exprimer la vérité en s’adressant à de grands groupes humains qui ont connu auparavant des cultures et des systèmes de pensées aussi compliqués voire nettement plus sophistiqués. Le tripôle CCR englobe beaucoup de choses. On ne peut le réduire à une composante ni à un degré de discours, parfois initiatique. Une des tendances lourdes du contemporain est pourtant la réduction du compliqué au simpliste ou du complexe au simple. Ce qui se produit dans le cadre des durcissements emblématiques de l’islam, des cultes de modernité, de l’hindouisme ou d’autres religions prises en charge par  des alliances d’ingénieurs conservateurs et de clercs peu instruits concerne aussi la CCR, religion sans naissance mais établie, qui a la particularité, vue sa puissance de dominer les autres interprétations et vécus du religieux.

Pour en revenir au système ‘religieux’ mis en scène et vécu sous l’égide CCR, il faut le présenter par morceaux, parce qu’il est trop composite et apparemment contradictoire, en posant comme prémisse que ces ‘morceaux’ prennent des dimensions supérieures, transcendantes ou sacrées parce qu’ils sont interprétés par des humains et parce qu’ils fonctionnent ensemble. Il conviendrait donc de se débarrasser des idées qui veulent que le religieux se réduise à une révélation, des écritures et des possibilités de salut. Si c’est impossible ou choquant, on peut au moins poser une hypothèse en ce sens. Il y a tout cela - révélation, écritures, salut - dans la CCR, vue l’importance de ses origines ou plutôt de ses matrices chrétiennes et le caractère propre à l’annonciation des moments bouleversés que nous vivons, mais ce sont des domaines un peu secondaires. C’est ce qui pousse nombre d’esprits christianisés, antichrétiens trancendant leur ennemi ou orphelins de “sauveur” à ne pas voir la dimension sacralisée de CCR. L’interprétation du religieux comme quête de spirituel et recherche de parcours élevés est encore plus réductrice. Quant au concepts et aux problématiques incluant des dieux et des déesses, ce sont des parties très spécialisées des ensembles religieux, les inventions de dieu unique, dieux et déesses mettant en scène des catégories qui ne sont souvent même pas comparables. Le religieux n’a jamais été le monde.

Il l’a toujours influencé et représenté en interférant avec presque tous les niveaux des ensembles humains. Les ensembles religieux établis et nombre de groupements marginaux et de tendances diffuses, même révoltés et critiques, ont participé à des jeux politiques, des pratiques hiérarchisantes, des ensembles identitaires (communautés de divers types), des appareils, des systèmes d’exploitations, des processus de régulation de la production et de la reproduction. Sans ces relations et ces niveaux de la réalité il n’existe pas, dans notre perception et en se référant aux connaissances dont nous disposons, d’ensembles humains. Le religieux concret et vivant n’existe pas sans des dogmes, des rituels et des perspectives d’ordre supérieur. Il assume ces spécialités parce qu’il interfère avec les réalités évoquées dans la phrase précédente. Les valeurs religieuses ne font pas la réalité. Elles s’y ajoutent comme un élément particulier, parfois puissant, plus souvent distant et en rapport compliqué au réel, parfois dérisoire. La force du religieux réside dans son adéquation à des formes culturelles, imaginaires et sociales et dans sa capacité à tout infléchir ou réduire, dans le discours, la pensée, le savoir, bien plus qu’à la production de savoir et de pensée propres. Tout ceci pour préciser à quel point les rhétoriques de laïcisme et d’autres positions qui prétendent pouvoir créer du social sans sacré se révèlent, quoiqu’intéressantes, pour le moins problématiques. Ce sont des banalités. Il est dommage de devoir les rappeler.

La CCR s’appuie sur un système symbolique d’une force extraordinaire, qui tend à donner au chiffre un poids jamais atteint dans les représentations religieuses. Les systèmes chinois, hindous, musulmans, juifs ou les pythagoriciens ont, entre autres porteurs et créateurs de religieux, reconnu la sacralité des chiffres. Toutes les religions jouent avec la numérotation.  Depuis 5000 ans plusieurs systèmes astrologiques ont fait cela sur un plan très proche, qui achève de glisser de la métascience englobant ou non le religieux au scientisme et au domaine des loisirs. Cette sacralité du compter est associée à de nombreux types de catégorisations et, primordialement sans doute, à des notions du temps et, dans un contexte plus restrictif, de l’ère. Ces dernières ne sont jamais purement religieuses mais les religions s’y intéressent de très près,même quand elles concernent peu de gens. Faire l’époque, manier le temps et ses cycles, annoncer l’ère, clore la prophétie, finir la transmigration (etc,...) sont des obsessions, croisées ou très proches des multiples religieux. Le temps, les planètes, les cassures du temps, la création, forment un ensemble de croyances fondamentales qu’il faut au moins intégrer ou apprivoiser. Ces croyances sont nourries par des systèmes de connaissance religieuses et non religieuses.

Il n’y a rien de particulier aux perspectives CCR en la matière sinon la puissance de certaines prophétioes autoréalisatrices appuyées sur des données dogmatiques et concrètes. La représentation imagée et répétitive d’un âge d’or est placée à la fois derrière (mais avant le “Moyen âge”) et devant l’humanité présente, ce qui s’apparente à une forme de classicisme de la perspective religieuse en la matière. Il y a un début des temps, outre l’ère chrétienne imposée par le fait colonial, assez facilement défini par la plus proche hausse du coût de la tonne[12] de pétrole brut ou par les inflexions immédiatement perceptibles de grands chiffres sacrés et terribles comme les taux d’inflation, de chômage et de production de marchandises dont le papier toilette des Européens et Nord américains. Il existe des chiffres tabous ou dévalués. La population (le chiffre des humains dans une ensemble) qui était première à l’ère de l’inflexion nationaliste est beaucoup moins bien vue puisqu’elle n’a plus de rapport premier avec la puissance et que l’ensemble est partiellement déterritorialisé. Elle reste prisée dans des ensembles ‘déclassés’ (infra) comme des communautés ethnoreligieuses. Tous les chiffres classent et ordonnent en donnant à ce qu’ils représentent une valeur supérieure. Cela ne les empêche pas, éventuellement de servir de repères pour des politiques mais les politiques sont dévaluées par la puissance du prophétique et des caprices de marchands indissolublement liés. La manière dont le social est découpé pour l’analyse et la construction du chiffre dans le cadre des idéologies CCR rend ces chiffres ridicules ou inopérants[13]. Leur rapport avec des mensonges et des manipulations est hors de notre approche mais non sans connections avec les très vieilles relations manipulatrices des bureaucraties religieuses et du chiffre.

L’importance du fétichisme est centrale. La capacité de CCR[14] à pourvoir des objets, des êtres, des moments et des symboles de pouvoirs et de dimensions surhumaine est infinie, fondatrice, constamment renforcée. Il y a aussi des icônes (marché, acteurs, etc,...). C’est parce que des indices, des rumeurs mais aussi des objets ou des personnes sont investis de capacités, authentiques et fallacieuses à la fois de prévoir et de modeler l’être et le devenir humain, que la CCR assume des aspects aussi phénoménaux. Le fétichisme, transporté par le système médiatique mais aussi par des structures de socialisation beaucoup plus anciens, dont la rue, la salle de quotation et ses bruits, est une tendance omniprésente. Elle reprend le symbolique des chiffres en le transférant sur des réalités touchables ou au moins imaginables. Elles donnent aux bateleurs d’écran, vedettes, aux artistes, aux économistes, au magnats, aux cadres des couches aisées et supérieures dites “moyennes”, parfois à des hommes politiques, très exceptionnellement à des penseurs, des statuts et des ampleurs phénoménaux, de plus en plus souvent assortis de privilèges et de capacités de porter la pensée et la non pensée de la CCR. C’est fort valorisant ou dangereux selon les cas car la CCR use des personnes et des objets comme des titres en bourse.

Elle peut réserver des chutes spectaculaires à ceux qui ont servi d’idoles. C’est la rançon d’un système gorgé de puissance quasi pure où la sélection est la règle, à côté de la transmission rigoureuse, fort ancienne et non contradictoire avec ce qui vient d’être dit, des positions, des fortunes, des statuts. Une partie importante de la symbolisation CCR sort toutefois du domaine des fétiches et des icônes pour s’inscrire dans ce que les hindous védantistes et bhaktistes[15] sont appelé le jeu des dieux et du cosmos, le lila. C’est une sorte de drame, qui fait des créatures vivantes et notamment des humains, les éléments d’une réalité supérieures, auxquelles elles fournissent une incarnation plus ou moins fugitive. Il convient dans l’hindouisme de s’en libérer par l’héroïsme, les disciplines (yoga), le savoir, le sacrifice, le devoir ou encore l’amour immodéré des dieux. Il n’est pas certains que ces pratiques aient de l’efficace ou soient valorisées dans le cadre du lila de marché, ou d’un autre dérivant du style CCR. La place phénomènale de l’héroïsme sportif peut donner à penser que les humains pris dans les représentations CCR ont tout de même des moyens de croire surmonter la cruauté des destins, de sembler au moins un instant apparaître comme des humains, tout en illustrant la primauté des systèmes d’ordre et des classement de la métareligion.

Il existe un légendaire héroïque et une histoire légendaire dans l’ensemble CCR. L’ensemble vise à contrôler l’imaginaire, les moeurs et le discours par ordre décroissant d’intérêt. Cela s’explique très bien dans des ensembles sociaux où les êtres se taisent, y compris jusqu’à ne plus chanter, la parole étant monopolisée par des machines animées et des professionnels idolisés. Globalement les idées comptent très peu ou plutôt il n’y en a que quelques unes articulées autour de la profession de foi CCR, comme des illustrations autour d’un slogan. Le légendaire mythique est seulement plus instable, plus “virtuel” est-il à la mode d’affirmer, que les ensembles - légendaires et mythiques et autres mais le religieux est presque toujours aussi ‘autre’ - qui ont dominé l’époque des nationalismes. Ils demeurent aussi essentiels dans les religions communautarisées du type de certains judaïsmes, islamisme et hindouismes et bouddhismes. On ne saurait vivre le religieux sans mythe mais le mythe de ces religions durcies et simplifiées, celui des nations et surtout celui de la CCR n’ont pas la complexité inventive et le caractère polycentré et multiple des mythes de l’antiquité grecque, des religions mésoaméricaines ou de l’hindouisme. Il est souvent polarisé, quasiment hystérisé (axes réaction-progrès et autres). Dans le christianisme le mythe est bien sûr omniprésent, avec les miracles et les paraboles mais il est quelque part ‘habillé’ à la fois transcendé et démythifié, en histoire ou en dogme.

Ce seraient donc à la fois le christianisme et le nationalisme[16] qui se retrouvent dans les séquences cassées de mythes de la CCR, fragment d’une histoire intelligente et structurée, vivant elle même ses inventions de temps, qui se trouve transformée en visions édifiantes ou terribles trop grandes pour l’humain mais à la taille des écrans géants (géant est un mot clé de CCR) d’Hollywood par exemple. Celui qui refuse de placer la production imaginaire des USA, avec ses relents de mythes scandinaves et celtes, ses imprégnation chrétiennes, puritaines et non, ses emprunts ponctuels à tous les imaginaires vendables et ses créations basées sur l’affrontement et la terreur, celui là n’aurait guère de chance de comprendre la CCR et le monde contemporain. Cette dernière ne se réduit pourtant nullement aux USA ou à leur imaginaire. Certes c’est de l’amusement mais la religion a toujours été aussi, au moins partiellement, amusement ou récréation, en dehors de la sphère sinistre d’un certain chritianisme réformé ou contreréformé. C’est de l’amusement dangereux terrifiant et structurant.

C’est ce qui nous reste de la mythique et c’est aussi partiellement une création nouvelle car les imaginaires de violence et de destruction, de chute et de rédemption, d’ordre et de désordre, n’avaient jamais peut-être, atteint ce niveau de charge de puissance. Cela reste en suspens dans un domaine où les affirmations supectes de réalisations et d’essence extraordinaire prolifèrent. Les comparaisons des combats de mythes hindous trois fois millénaires et des combats de cinéma contemporain nord américain, donnent à penser que l’inventivité mais aussi la violence et la fascination de puissance sont aussi importants du côté des premiers. Il existe de nombreux rites dans CCR, outre la tendance de plus en plus délirante à vivre de commémorations et d’anniversaires mais les rites de passage sont faibles ou peu nvisibles. Cette tendance est liée au caractère quotidien et ritualisé de la déréalisation de l’humain (l’humanité étant un dieu tué de la CCR[17] ), qui occupe suffisamment de place pour sanctifier le quotidien comme un passage perpétuel, et à la volonté de plus en plus farouche de ne pas socialiser ou de désocialiser, ce qui empêche l’émergence ou le maintien des rites de passage de type antérieur.

La CCR vise d’abord les enfants et les vieux, une partie des femmes et des hommes déboussolés aussi, dans les manifestations sans recul de croyance ou de dépendance. Elle ne laisse aucun autre réel ou ensemble social en dehors de son influence. Le ciblage des dépendants, des enfants ou des éléments les moins instruits se retrouve dans de nombreux ensembles religieux constitués depuis 2500 ans. C’est particulièrement vrai  pour ceux qui, assumant un caractère de totalité, gèrent ou influencent toutes les dimensions de l’humain. Aucun ensemble socio religieux, mythique ou politique n’a atteint cette extension et cette puissance. La mise en place de procédures de masse du religieux, qui efface les classes, la groupes de statut, le communautés, les sexes et surtout les cultures, tout en survalorisées certains éléments emblématiques et vendables, donc sacralisables, de l’identité, surtout l’âge, est un élément central des nouvelles pratiques religieuses. Ce qui arrivé depuis 15 ans avec les marques de vêtements et la jeunesse des pays riches montre jusqu’où l’interpénétration des symboles CCR avec la vie et le conditionnement de jeunes personnes prises en charge par des machines à mythe dès l’âge de deux ans, peuvent aller. Les processus de conditionnement poussés vers des extrêmes de rue, de guerre et d’organisation par les grandes poussées de parareligion ou d’hérésie totalitaire sont reprises mais renforcée, technicisées et enfin assignées au domaine de la maison et de la vie quotidienne.

Il est devenu peu à peu évident (admis, généralement cru) que les mouvement erratiques de foules, les discussions et les passions pouvaient gêner “Croissance” et s’opposer à “Réforme”. Les grands moments sont télévisés ou fabriqués d’une autre manière par des médiateurs. Ces comportements de foules, ces liturgies et ces systèmes rituels, qui sont basés sur la manipulation des imaginaires (au nom de la liberté ou non) et la mise en scène de dogmes étroits et décalés, au nom des faits et de la raison, ne sont pas analysables dans cette contribution. Nous pouvons seulement retenir leur place centrale qui incorpore une grande part des néocultes du corps et des forces solaires, développés depuis le XIXe siècle chrétien, auquel s’ajoute sport, commerce et puissance. Une grande part de ces cultes rappellent l’Empire de Rome. Il est judicieux de faire aussi un parallèle avec les mystères chrétiens du Moyen Age et les pratiques hindoues qui placent le darshan  (la vision d’une chose ou d’un être) au centre de la pratique sociale et religieuse. Les adorateurs sont infiniment seuls et intimement associés (puis socialisés) par leur inaction commune face au système de puissance et de diffusion de flux de dites information ou de prétendus loisirs. La manière dont toute la perception de l’autre, la conception du soi, la connaissance, le discours social, les manières, les imaginaires, les pensées sont captées, filtrées et infléchies par une poignée de fabriquants de l’évènement (dramatisé et aseptisé) met en scène la très grande dimension humaine de la CCR et le rôle central joué par les groupes restreints (élites) qui en conditionnent les dogmes et les formes d’expression.

Il existerait donc des spécialistes, des porteurs de paroles et d’objets sacrés, des saints et même des virtuoses dans l’ensemble religieux de la CCR. Seuls le moine et le renonçant, globalement représentés par l’ensemble des tendances puritaines qui sont déversés en chacun à domicile par le biais des feuilletons nord américains et d’autres canaux, sont plus ou moins euphémisés et absorbés dans l’ensemble. Il ne paraît cependant pas très difficile de raccorder des ordres constitués comme les Jésuites, des franc-maçonneries, des gourous hindous commerciaux et leurs organisations ou encore des sociétés taoïstes et de grands réformateurs musulmans, dans les ensembles de CCR. Le point de vue global, commun à la CCR et aux grandes religions simplifiées, réformées (déjà) et fréquemment militarisées, est de favoriser le renoncement dans le monde. CCR ne se refuse nullement à faire fond sur les pulsions sexuelles pour changer le monde dans les directions valorisées et supérieures, tout en laissant aux marchands et aux financiers, un des corps constituant l’armature des spécialistes et des propagandistes CCR, le droit ou plutôt le privilège de disposer de nos corps en usant de la publicité, de la rumeur, du flot médiatique et, il ne faut pas l’oublier, de la propagande. L’axe principal de cette dernière, “ça ou le chaos”, sera abordé un peu plus précisément dans la suite du texte. Certain référendum sur la Constitution européenne illustre assez bien ce qui peut se passer dans une dimension secondaire -le politique - d’une réalité - l’Europe - surchargée de dogmes et d’éléments de transcendance CCR, en matière de “ça ou le chaos”. Les grands spécialistes ou porteurs de la CCR ne travaillent pas tous consciemment. Ce que l’humanité a pu englober de sens de la mission, de notions de la responsabilité collective, de désirs de “faire le bien”, de volonté de transmettre et préserver et d’autres passions religieuses (magnifier, expliquer sans réplique, invoquer, etc, ...) est répandu un peu partout, suite au passé tourmenté mais riche de nos sociétés, tout particulièrement de celles dites du Sud.

Sans être renversante car elle reste ambivalente et fragile, cette importance du Sud (toutes régions) et singulièrement de l’Asie est considérable. Il faut considérer la métareligion depuis l’endroit où l’humanité se constitue, en masses, en mouvements, en recomposition. Ce n’est pas d’Europe que l’inflexion actuelle des choses se comprennent dans toute son ampleur. Les pratiques et les mythes CCR frappent beaucoup plus durement et définitivement au Sud[18], ainsi que dans  la source centrale très ‘spiritualisée’ et matérialisée (les deux vont ensemble), des USA, ce qui est normal. Cette dernière poursuit le travail de formatage des élites et de fabrication de cerveaux ‘anglosaxonnisés’ et chritianisés qui a été commencé en masse au XIXe siècle avec les colonisations et l’expansion marchande libréchangiste de la Grande Bretagne, de la France et de quelques autres. Ce sont cependant des peuples peu instruits, peu christianisés, peu mobiles, qui interprètent sans recul ni temps les catégories CCR. Ce sont des quantités de gens inédites qui leur donnent un maximum de vie avec un minimum de recul. Leur survie dépend vraiment d’écarts minimes de catégories type CAC 40 et d’autres entités affligeantes mais ultra puissantes. Elles les vivent comme les symboles tueurs, les entités supranormales et les catégories constructives-destructives majeures, les formes primitives de déités qu’elles sont.

Les corps de métier de l’ingénierie, de la haute administration, du professorat et de la philosophie de complaisance[19], voire sérieuse, sont diversement sollicités dans la concoction et le maintien des champs d’influence de la CCR, qui n’ignorent pas les messes ou les sacrifices rituels mais les ordonnent autrement que l’Eglise catholique (apostolique, romaine et... laïque). Le travail manuel retrouve son statut inférieur et ses activités discrètes d’avant l’idéalisation socialiste et productiviste mais il peut, au prix de l’épuisement des personnes et de la liquidation des procédures de solidarité et de socialisation, accroître le champ d’expansion de CCR. Aucune activité n’est vraiment en dehors. Ils participent tous à l’activité première, centrale, qui consiste à “poser des champs”. Cette expression, qu’il n’est pas judicieux de trop utiliser ou de rendre capable d’expliquer tout, met en scène des conditionnements, des répétitions, des démonstrations, des usages, des pratiques qui aboutissent à faire que les vérités du tripôle Croissance-Crise-Réforme deviennent omniprésentes, ce qui est un premier stade, puis incontournables, second mouvement d’affirmation et enfin indépassables, ce qui liquide la validité des autres approches du religieux et de l’humain.

Le “champ” serait donc un ensemble de représentations et de pratiques sociales liées, les deux niveaux étant indissociables, leur rapport intime fondant une grande part de la création de sacré ou de supérieur. Les “poseurs de champ”, qui sont des millions et sont très loin d’être tous reconnaissables, ont donc un poids énorme dans la propagation des dogmes, infléchis indéfiniment selon les régions et les milieux sociaux et dans le maintien de la grande religion. Ce ne sont pourtant pas les sources de sa puissance. Cette puissance vient d’ailleurs et certainement pas du verbe, malgré l’importance donnée, très classiquement à l’affirmation claire et décidée des dogmes dans l’imprégnation religieuse des gens. CCR n’est pas seulement une religion molle de la dépossession du soi, l’abolition de la personne par l’individualisme et les pratiques de masse avec ou sans le petit écran. C’est beaucoup plus fort et particulier, ainsi que nous le verrons dans la mise en valeur des différents axes. Il y a des notions importantes de pur et d’impur dans la construction religieuse CCR. Ce sont des agents structurants importants des religions et des sociétés de tous temps et lieux, avec des modalités très variables. Elles sont imputables à des influences anciennes, fortes dans certaines constructions culturelles préchrétiennes d’Europe, du Moyen Orient et d’Asie du Sud. Malgré la faiblesse relative[20] de certains tabous alimentaires et une condamnation relativement faible de “l’impureté féminine” le christianisme a aussi porté ces peurs structurantes, notamment dans les versions allemandes et anglosaxonnes du protestantisme.

Les hantises, parfois effrayantes mais surtout fragilisantes, développées actuellement par les populations d’Europe du Nord et des USA, envers la pauvreté, la saleté, la contagion, les fromages qui sentent, les cuisines qui puent ou le désordre, y sont reliées. Elles sont intimement associées à une perte générale des rapport entre le dedans et le dehors, le propre et le sale, liées à l’ambiance de surpuissance et à l’individualisme égotiste. Les mêmes personnes fragilisées par le spectacle de la pauvreté introduisent des animaux et des chaussures  dans les lieux les plus intimes et perdent tout sens du rythme dans l’alimentation pour plaire à leurs chefs ou parce que c’est la mode (“la transe” serait peut-être plus juste). Ces peurs et apparents désordres ont tout de même quelque chose de neuf sous leur aspect de régression conceptuelle et sociale. Des situations de pauvreté sans déchéance ont été très répandues dans ces régions. Elles ont été quelque peu apprivoisées, parfois valorisées, jusqu’aux années 1960-1970 de l’ère chrétienne (calendrier grégorien). Les peurs de l’autre, du sale, du désordre et du manque ne mènent peut-être pas le processus d’affirmation de la CCR mais elles en sont indissociables. Il est possible que, dans certaines consciences plus ou moins diffuses, le pauvre menace et nourrit en même temps la croissance. Il n’a pas fini d’être une figure puissante des imaginaires même sous la version criminalisée actuellement préférée. Il sert comme argument de rachat ou d’autonettoyage aux ONG, un des piliers bizarres (c’est un édifice un peu contourné) de la conscience et des pratiques CCR. La peur du péché, maintenant un peu dévaluée, quoique rémanente dans les univers chrétien et bien d’autres circonstances[21] a laissé place à une poussée de ce type d’appréhension, qui est aussi un indice de classement et un facteur de construction d’ordres sociaux et moraux.

Les conceptions du temps développées dans le cadre CCR sont multiples. Il y a d’abord les cycles. La perceptions en termes d’agrandissement, de toutes les perspectives et réalités; agrandissements qui ne sont que périodiques mais appelés à toujours revenir (c’est implicite pour être plus fort), est sans doute la perspective fondatrice. Elle rappelle à la fois certains triomphalismes conquérants et inquiets (car la victoire suscite oppositions et forces négatives) de l’islam et du christianisme et de très anciennes perceptions indiennes ou chinoises. Ces cycles d’agrandissement, auxquels succèdent périodiquement réductions et entropie, marquées ou non de catastrophes et de changements, forment une trame dynamique qui induit la présence du danger dans le temps, d’une forme d’insécurité permanente. Il faut constamment “refonder” les temps malgré les repères de la science géologique et de la climatologie et d’autres (il y a foisonnement en la matière) ou ceux qui rémanent de cultures plus localisées et anciennes, surtout du christianisme et de l’histoire des USA. Peu importe qu’elle soit courte en oubliant, naturalisant ou archéologisant les Amérindiens. Le temps est extensible. Une machine d’oubli structure CCR et ses cycles. Cette perception anxiogène a quelque chose d’intenable malgré le caractère optimiste, parfois jusqu’au délire béat, de certaines perspectives de “croissance”. C’est pourquoi elle est complétée par deux autres constructions de temps dont nous illustrerons quelques aspects en évoquant les différents moments et inflexions de l’ensemble CCR. Le temps plat est une compréhension des choses qui induit l’existence immobile d’entités et surtout d’organisations qui dépassent l’entendement et le pouvoir des gens ordinaires.

Il n’existe pas de réalité totalement plate et intangible, ce que les propagandistes CCR admettent vu leur relation de sujétion ambiguë à certains faits (ils les fabriquent autant qu’ils y souscrivent). La tendance à immortaliser, commémorer et fossiliser, habillée ou non d’oripeaux traditionalistes, fait aussi partie de la réalité CCR. A côté des musées constitués pour geler tout ce qui vit mais aussi sauver ce qui fait sens, et des papes victimes d’acharnement thérapeutique, il existe toute une dimension stabilisante de l’ensemble religieux. Elle explique pourquoi les cadres, les économistes et les prophètes de marché qui infligent des catastrophes à répétition aux autres éléments de l’humanité ne jugent pas utiles, ni surtout agréable d’être concernés par les cycles de croissance (ils se jugent grands et sont fréquemment gros) et plus encore par les processus de destruction. Le temps de la prophétie, l’annonce, l’eschatologie, le blabla vis-à-vis du changement et des réformes du langage quotidien, forment une autre tendance des temps CCR. C’est un temps fléché, tendant vers le mieux, le bien le beau, le propre après avoir connu le pire, le laid, le sale. Ce serait cette inflexion de temps que des idéologues avaient cru si caractéristique des temps modernes. Dans la mesure où ils ont existé, ils ont toujours été beaucoup plus compliqués puisqu’ils préfiguraient largement les tendances épanouies maintenant dans la CCR.

Les rapports de CCR avec ce qui se passe dans les sociétés humaines et sur la planète sont intenses mais quelque peu irréguliers, il serait tentant d’écrire: tordus. Le réel est à la fois magnifié comme principe d’ordre et vécu comme fantasme. Il existe non seulement des champs, des dogmes, des tabous, des fétiches, des prêtres et des cadres de la transcendance dans CCR à côté de mythes tronçonnés mais proliférants. Il y a aussi des miracles, des prophéties et des rédemptions. Ces perspectives importantes vont avec la prégnance de scientismes. Les scientismes sont sans doute une part intrinsèque de la religion CCR, ensemble où l’on discerne facilement les polarités tout en dissociant mal les différents apports. La religion étant assignée au régime de la preuve scientifique, de l’expérience et de la technique, aux dépens de l’émotion et de la construction de rapports sociaux, le scientifique s’est assez facilement posté sur des domaines religieux. Il semble bien qu’ils soient englobés, neutralisés et favorisés à la fois par les autres niveaux d’affirmation et de création du religieux contemporain.

Il y a eu dans de nombreuses expériences et systèmes religieux, une part laissée ou attribuée à la connaissance rationelle, voire aux cultes de la rationalité. Des points de vue critiques violents pouvaient être exprimés s’ils ne mettaient pas en cause certaines prééminences et configurations sociales. Dans le brahmanisme d’il y a mille huit cent ans, le rationalisme servait à justifier les statuts et les ordres, à appuyer le religieux, tout en niant les dieux et les miracles. Des tendances très importances plaçaient le rituel et la raison sur le même plan, comme éléments de manifestations d’un surhumain peu discernable, lointain et infiniment compliqué. C’est un peu ce qui arrive avec les scientismes d’aujourd’hui bien qu’ils n’aient certainement pas la puissance de pensée des perceptions critiques dans l’hindouisme, dans l’islam de l’an mil (400 de l’Hégire) et dans le taoisme. La pauvreté paradoxale de la spéculation et de la critique, sans parler de la comparaison et de la relativisation, dans un univers, “le notre”, qui dispose de moyens inouïs pour prendre du recul et raisonner, est au rang des phénomènes qui intègrent la CCR dans les grands ensembles religieux. Sa relation particulière avec “la raison” aussi. Elle tend à induire l’existence d’un ensemble, informel et terriblement structuré à la fois.

De telles choses, les tendances à critiquer, évaluer ses propres pratiques ou à comparer, ont pris place aussi dans l’islam et dans le christianisme et très probablement dans d’autres cultures moins connues. A l’époque des colonisations, tous les systèmes de pensées dominés ont dû se plier à ces exercices, tout en se durcissant et se polarisant, sous peine de disparaître. La crispation antirationaliste d’une partie de ce dernier ensemble tient peut-être à sa proximité (conceptuelle, politique et géographique) trop grande avec certains foyers primitifs, mais certainement pas uniques, de CCR. Les scientismes et leurs variations liées aux pouvoirs, qui contiennent nombre de des visions malades et sans recul de la connaissance logique et même de la mécanique, ne sont pas en mesure de faire reculer les autres éléments, qui sont structurellement et socialement nécessaires aux humains surtout aux humains vivant dans un cadre anxieux et mouvant. Les différentes composantes cadrent assez mal, avec l’approche humble et critique de la condition humaine et de l’état du monde. Il ne faut pas être grand clerc, ni hindou, musulman ou orthodoxe, pour voir que la croissance est une expansion folle de flux d’“informations” et de flots de marchandises que n’importe quel concepteur de courbes peut projeter sur des catastrophes majeures ou, plus raisonnablement sur la disparition à moyen terme de l’espèce humaine et de toute vie sur terre.

Le fait que la croissance ouvre sur la crise répond cependant à la dimension prophétique. Elle s’accorde aux craintes mêlées de désir à l’encontre du courroux ou de l’intervention divins ou supérieur, intériorisés depuis des millénaires. Sur un plan strictement économique ‘intégré à’ et fondateur de la perspective de transcendance, le rapport entre la croissance et l’emploi qui fait partie des systèmes forts s’assujettissement des gens à l’ensemble a disparu depuis que les productions sont sans cesse déplacées et les opérations automatisées grâce aux revenus de la “croissance”, captés par des ensembles de plus en plus circonscrits, malgré leurs capacité de se faire omniprésents. Cette tendance correspond à une expansion sans précédent du côté religieux (démiurge et interpréteur) et potentiellement dur des perspectives CCR. Les dégats visibles sont importants mais ce qui ne se voit pas, la transformation de toute activité humaine en une nuisance accompagnée de transactions comptables qui relativisent le service rendu ou l’objet fabriqué, est au moins aussi important[22]. Ceci n’est pas notre registre d’intervention. Il faut arrêter le bilan. Il nous paraît seulement qu’il faut toujours un peu plus de rituel, de croyance, de mythes hachés, de symboliques dures, de propagande et de chantage pour que la perspective CCR continue à prendre de plus en plus d’importance. C’est la perspective dans le cadre de laquelle elle peut et “veut” tout simplement exister. Dans beaucoup de circonstances, si la CCR permet des libertés politiques c’est parce que ces dernières n’ont aucune importance, que la citoyenneté a disparu ou qu’il n’est pas question de la vivre contre les grandes croyances. CCR a dépassé le niveau artisanal des régimes oppresseurs, héroïques et messianiques mais elle ne peut être en aucun cas vu comme un système de tolérance. Les destructions de cultures, de vies, de possibles qui lui sont associées, (plus qu’imputables) élimine toute perspective de ce genre. C’est assez normal dans le cadre dogmatique et relationnel qui s’est imposé.

Trois niveaux d’inflexion et de structuration de l’ensemble religieux correspondent à croissance, crise, réforme. Nous allons tenter d’en rendre compte sans suivre les termes mot à mot. Il semble en effet que la crise et la croissance sont à traiter ensemble tout en reconnaissant leurs particularités. Ce sont les deux moments, aller et retour, d’une même pulsion de puissance, liée à la technique aux idéologies de la maîtrise de la nature et à des phénomènes plus proprement religieux. Ils introduisent à des cultes de la prospérité et de la peur qui renouent, tristement ou non, parfois avec un entrain vivifiant, avec le passé religieux le plus archaïque et fondateur de l’humanité. Ce sont peut-être plus simplement des éléments de continuité. La réforme est en revanche plus datable et plus fermement rattachable à un ensemble culturel, ouvert probalement il y a deux mille cinq ans avec le bouddhisme. Un troisième volet, l’existence d’un système magique de l’ordre symbolique, avec ses relations ambiguës et profondes à la bureaucratisation, n’est pas inclus dans l’intitulé manifeste de la CCR, mais il fait partie du système religieux et des pratiques sociales. Il faut donc lui consacrer un fragment d’analyse. Nous essayerons ensuite de mieux comprendre comment cette structure tripôlaire se branche sur le réel, puisqu’elle n’est pas ce dernier.


La croissance ou la mort, une religion de la puissance

Ce niveau, qui est le premier et le dernier dans la perception cyclique de la CCR, est le plus novateur et le plus archaïque. Il est novateur parce que directement en prise sur des accumulations de savoirs techniques et sur processus comme les guerres, territoriales ou commerciales, qui sont des agents fondamentaux de l’innovation. Avec ses tendances à l’amnésie, son culte des choses ou des principes qui s’imposent sans tenir compte de l’humain et son branchement sur des tendances très anciennes, quasiment archétypales, comme la volonté de tout détruire à jamais si le monde ne s’accorde pas aux volontés des poseurs de champ ou, plus quotidiennement, si quelqu’indice - américain - (la confiance des ménages dans leur abandon dans la foi par exemple: on dramatise le brimborion et l’oublie dans le même mouvement) est en repli de 0,4%, le couple croissance-catastrophe rapporte à des religions primitives et dures, qui exigent une énergie considérable et des sacrifices humains toujours renouvelés.

Ce n’est pas la première fois que la croissance est au centre de perspectives religieuses. Il y eut des généraux de Jésuites et d’autres personnages religieux pour marquer le monde et l’étalonner en tenant des registres “d’âmes” sauvées et formatées, au Liban ou ailleurs. Il ne s’agit pas seulement de restaurer un équilibre, souci fréquent et différent. Il est question de changer les esprits donc le monde afin de franchir un degré qualitatif ouvrant sur le retour à dieu, le jugement dernier et une forme de paradis, d’apaisement, de réalisation ou une autre. De manière plus fondamentale, car traitant de matière religieuse moins assujetties au fonds biblique, probalement plus universelle mais moins universalisée (ces deux réalités sont constamment confondues), de nombreuses perspectives hindoues évoquent aussi la croissance. L’ensemble hindou apparaît à certains égards comme un laboratoire millénaire du religieux, bien qu’il n’ait nullement tout exploré de toutes les manières. Ce genre de prétentions est réservé à la CCR qui anéantit ou au moins réduit tout ce qu’elle manipule, ce qui facilite un certain type de confrontation à l’autre. Seule l’ineptie et l’inculture des milieux médiatisés actuels et quelques philosophes locaux peuvent se permettre de ne rien connaitre aux hindous, tout en se montrant imbibés de catégories CCR, en causant religion. Il y a religion parce que l’acteur humain est expulsé du réel (la production). La fermeture conceptuelle et relationnelle d’un pays comme les USA qui projettent leurs images, tensions et croyances bibliques ‘néoarchéo’ sur le monde entier, est sans doute une des conditions de l’épanouissement de la CCR mais elle n’explique pas du tout son fonctionnement.

Nous avons[23] bien connu un taureau de basalte noir de Thané, près de Mumbai (Bombay) que toute la population à l’entour, ainsi que des pélerins venus de milliers de kilomètres en certaines occurences, se réjouissaient de voir “croître” lors de la grande nuit de Civa, fin janvier du calendrier grégorien. S’il avait rapetissé, l’augure eût certainement été moins bon et la symbolique moins forte. L’idée des “temps qui augmentent” ou “décroissent” avec la valeurs des personnes, des relations et des actes, est aussi souvent illustrée et commentée. Dans un mythe relié à la notion d’extension du savoir, de la vérité et du sacré, autour d’une forêt mise en feu par un dieu védique, incarnant un principe contre un autre, un élément de panthéon nommé pusha est caractérisé comme “l’augmenteur”. Il commande, comme pensent le faire nos théologues plus ou moins athées du présent, à l’énergie, aux forces, à “un milliard de forces” précise un écrit[24]. On peut se demander s’il est bien ou nécessaire qu’une conception sociocosmique préfère la croissance, l’expansion ou l’augmentation à ses contraires. Ce n’est pas un thème auquel nous pouvons contribuer ici. C’est une question philosophique et religieuse (dans le cas CCR et hindou) à laquelle on veut apporter une réponse scientiste. L’important n’est d’ailleurs pas le principe d’augmentation mais sa mise en relation tendue avec des conséquences dangereuses et, nous en parlerons un peu plus loin, sa corrélation forte à d’autres principes de métareligion.

Le couple croissance-destruction ou, selon les termes consacrés “croissance-crise” apporte sur la scène une dramatisation intense en portant aussi la fin de toute possibilité de dramatisation par effacement plus ou moins brutal des êtres humains. Les humains sont à la fois hyper responsables et complètement dédouanés de ce qui leur arrive et de ce qu’ils provoquent. Ces tensions dipolaire hystériques sont fondatrices des milieux de vie et des perspectives CCR. Les sociétés (s’il en reste) sont anxiogènes et anxyolitiques, avec de nombreux effets d’assuétude. C’est dans le cadre de la religion de puissance qui parle de croissance et de ses effets (implicite ou explicites) terrifiants et imparables que les juxtaposations de termes avec leurs contraires sont les plus présentes et systématiques. Elles sont comme enclenchées, dans un nombre considérables d’inflexions et de circonstances, à partir du couple maudit et imparable de la création, folle et incontrôlée, et de sa suite d’anéantissement, relayée par une série de cycles dont la continuation fabrique ce que la CCR considère comme l’éternité, dans une des ses matrices essentielles du temps. Cette vision du monde fabrique de l’imprévu et du fossile de manière corrélative, secondaire, à sa production très programmée, ou plutôt fortement structurée de marchandises ou de services, et à la mise en cause, corrélative de toutes capacité à produire et à reproduire. “Imprévu” et “fossile” sont des catégories datées du champ secondaire, plutôt intellectuel, des modernités et de leurs dépassements. Il s’agit d’un domaine plus idéologique qui ne présente pas grand intérêt dans ce cadre.

Le cycle production-destruction, “croissance-crise”, est concret. Il est capable de provoquer des guerres, anéantir la planète, subvenir à des besoins, en créer d’autres, classer et déclasser des humains en bloc, pour dire très vite changer le monde. Rien de très nouveau en cela sauf les moyens et la propension à sortir de la scène les autres pourvoyeurs de changements et possibles. L’accent sur l’aspect mondialisateur est parallèle à diverses pulsions d’unicité, dans la puissance, par l’ordre ou par le rachat. Les thuriféraires et les otages des ensembles CCR, il y a de moins en moins de niveaux intermédiaires ou excentrés, prévoient ou subissent des choses, au moins des fragments de choses, qui sont usuellement réalisées. Les capacités à réaliser des prédictions tout en mettant en cause jusqu’au cadre de ces prédictions, immenses ou triviales, sont au coeur de l’existence de la CCR.

Revenons sur ses aspects concrets. La puissance mise en jeu par les inventeurs de croissance est phénoménale et fragilisante. Chaque habitant d’un pavillon de banlieue nord américain ou nord européen dispose, pour une capacité de réflexion et de recul agressée par le travail, les transits, les flux de puissance et une insertion relationnelle tendant vers l’appauvrissement, de la capacité d’agir sur le monde qu’avait un seigneur de bonne importance au XIIIe siècle ou de celle d’un administrateur chinois de rang notable au XVe siècle. Sur de nombreux plans il dépasse tout ce dont rêvaient les empereurs et autres puissants[25]. Les autos et la puissance enfermée sous leurs capots, sont devenus, pour un temps qui s’éternise, un des moyens de mesure les plus appréciés, sans que les ravages causés par ces engins perturbent les hommes politiques et les faiseurs de prévisions tétanisés par les catégories CCR[26]. Ces véhicules rapportent de manière assez transparente aux chevaux et aux signes de richesse, puissance et statut de nombreux anciens régimes, à commencer par des despotismes et des systèmes basés sur l’ostentation. Cette continuité introduirait une note rassurante si elle n’était accompagnée de projets déments d’expansion de la barbarie des chevaux vapeur, projets qui ont l’intérêt sublime de river des populations à la peur, celle de perdre l’approvisionnement en pétrole avant de connaitre une mouture ou une autre de La Crise.

La puissance a donc ses ordres de mesure, productions d’aciers, possession d’objets fétiches, consommation de KWh, capacité d’engouffrer des combustibles liquides avec les objets nuisibles et magnifiés nécessaires. Tout ce qui touche à l’énergie, des mégatonnes disponibles sous la formes de bombes nucléaires à la consommation des brosses à dents électriques en passant par la charge et le caractère toujours plus obsédant des musiques “de jeunes”, est de plus en plus clairement placé au centre. Nous sommes dans un coeur de la perspective sacrée, un coeur froid et brûlant à la fois, capable de soigner comme de tuer. La gestion religieuse de cet ensemble tient à l’absence de questions comme de solutions sur les effets à long terme et sur la répartition sociale et géographique des effets de puissance. Ces choses ne sont plus atteignables par le politique. Elles le sont encore moins par les perspectives des chercheurs. Ces derniers sont des otages ou des rouages dans des dimensions qui les dépassent, d’abord, auxquelles ils souscrivent ensuite.

Une polarisation individualisation-massification est au cœur des incarnations sociales de la Croissance-Crise. Il faut des objets standardisés et des appétits semblables et formatés pour étendre le champ de la puissance centralisée dans les firmes et les Etats, réalités profondément imbriquées, nullement opposés comme dans certains contes de fées ou images de sorciers. L’insatisfaction permanente de la personne isolée est une autre modalité de l’expression de la puissance brute, folle ou sage, dans le coeur des sociétés comme agent structurel-déstructurant essentiel de la vie des gens. Elle est coupée de cette dimension structurante qu’est l’Autre, morte à elle même, à sa complexité et ses cultures. Elle devient un facteur de progression des ventes de n’importe quoi et de progression des indices et pourcentages d’à peu près tout. La sacralisation du fluide, du transit, de la communication, de l’information et d’autres fétiches, est au coeur de ces phénomènes. L’Europe ensemble socio-politique, qui est sans aucun doute une réalité importante, est un peu décalée par rapport aux catégories majeures de CCR modulées aux USA et dans les pays du Sud. C’est peut-être pourquoi elle est parfois un peu excentrée par rapport aux grandes catégories du sacré CCR. Elle n’y est pas étrangère, au contraire elle y colle. C’est elle-même qui n’est sacrée ni transcendante: question de positionnement et de canons de culte sans doute.

Qu’est ce que l’Europe vécue actuellement? C’est d’abord un flot de camions de marchandises. C’est aussi des courants de travailleurs immigrés, traités nettement moins bien que la marchandise. C’est ensuite des italiens et des Français se parlant mal anglais et découvrant sans colère l’étrangeté, la perte de l’autrui proche. C’est enfin un système bureaucratique (voir plus loin). Elle donne l’image d’une société, ou plutôt d’une collection d’humains transis tous ensemble et tout seuls. On songe à des effets proches de ce que produit l’électricité sur les métaux conducteurs: une polarisation et une différence de potentiel (des agents de classement)[27]. Ils sont assujettis aux volontés, elles mêmes passablement obscures et soumises à l’ivresse des puissance, de ceux qui croient tenir des manettes quand ils sont dépassés par la force de l’ensemble et ne peuvent généralement qu’exécuter la tâche pour laquelle ils ont été surprogrammés. Le sacré, et la source majeure de puissance sont cependant centrés ailleurs, de l’autre côté de l’Atlantique.

Le jeu de puissance en culture met en scène la destruction des constructions, relations, symboles et pratiques qui associent les être humains. Il concerne aussi l’inflexion des transes de puissance dans des ensembles humanisés qui en subissent les effets de manière différente. Dans certains cas, plus rares, ils facilitent l’accumulation et la transmission de puissance. Toute culture, y compris celles de l’individualisme anglais et l’utilitarisme bourgeois qui y fut associé, est sensible aux effets de surpuissance. Ils ne peuvent se transmettre ou évoluer face à un régime de flux généralisés qui ignorent les langages, les habitudes, les processus non liés à l’accumulation ou à la diffusion de puissance. Toute réalité humaine et humanisable tend à imploser. Une forme d’individualisme anglosaxon, basée historiquement et anthropologiquement sur des formes de famille nucléaire inégalitaire[28], puis vivant peu à peu des effets cumulés de ses propres transes de puissance, a paru sans doute mieux adaptée à l’injection permanente de force dans le social que des ensembles sociaux basés sur des unités plus complexes et des liens plus denses. Elle serait l’une des matrices concrètes de CCR. Ce n’est toutefois qu’une hypothèse. Rien ne permet de croire que la société anglaise se résume à l’individualisme et à l’inégalité valorisés par certaines élites. Le fait d’avoir eu cette matrice culturelle en son sein n’a par ailleurs pas protégé les Anglais de l’agression des champs de CCR. Il suffit d’aller observer la désagrégation de Londres comme entité urbaine et lieu de vie pour s’en convaincre.

Il ne fait pas de doute, par ailleurs, que la puissance “globalisée” de la CCR a besoin d’un idiome, d’habitudes et de repères, tant qu’elle s’adresse à des humains et sert des êtres qui restent aussi humains. Il faut un langage, des symboles, des signes. Cet idiome est actuellement l’anglais nord américain, commercial quoique rien n’assure de la pérennité de cette situation. Il faut aussi, jusqu’à maintenant, des lieux de concentration et des zones d’expansion de la force. Dans ce qui reste le capitalisme, la présence d’univers non capitalistes était beaucoup plus qu’une opportunité (de baisser les salaires par exemple). C’était une nécessité absolue. L’ambition actuelle des poseurs de champ CCR, des grands prêtres serait-il tentant de préciser, est de sublimer les champs et les pratiques usuelles du capitalisme, même si ce dernier demeure un agent structurant et déstructurant intense de la société et des modes de vie sur la planète. “Dépasser le capitalisme” est une préoccupation séculaire. Cette nouvelle tentative use de moyens inédits (techniques) et de vieilleries (irénisme), ce qui la replace assez bien dans le cadre de la tension de croissance-crise et de ses archaïsmes constamment renouvelés.

Des fétichismes très puissants, liés à la machine molle, donc incassable, et aux appareils de production éclatés, ensemble qui ne produit plus pour des besoins mais pour le principe d’accroissance, raccordés aussi aux convictions fortes, aux croyances, du scientisme, se raccordent à la religion de puissance. C’est en vertu de leur importance que nombre d’enfants reconstruisent des univers formatés par CCR, emplis de machines-êtres (cyborgs) et d’animaux, ces derniers apportant la touche vivante, mais non humaine de cet univers surhumain mécanique dont l’émotion et la reconnaissance de l’autre sont exclus dans une exaspération continue de la sensation. La puissance elle-même, le désir d’être au-dessus ou au-delà, les modes de distinction, qu’elle traduit et incarne dans différentes logiques sociales, constituent le centre mais elle s’incarne, par des marques, drapeaux ou insignes, sous des capots, dans des hauteurs de gratte-ciel ou de ponts[29] ou par le gonflements de flux qui sont autant d’incarnations fétichistes et d’odes à la puissance comme manifestations pures du génie humain, de son caractère surhumain et de tout ce qui peut tuer l’humanité qui ne vit évidemment pas de génies.

Nous avons laissé entendre que c’est un univers hypersymbolique. C’est à souligner. Il faut relier cette symbolisation maniaque et mouvante à l’importance du fait de puissance et des fantasmes qui s’y relient. Alors que des symboles étaient supposés longtemps incarner la particularité de certains principes du religieux, du politique ou des appartenances, c’est maintenant la puissance elle même, ainsi que le fait de croître, éventuellement de chuter, qui sont les inspirateurs de grandes symboliques et de leurs déclinaisons multiples. Au bout d’un temps d’ivresse dans le champ de CCR, s’intéresser à la Croissance ne suffit plus. C’est la croissance de la croissance qui est prise en compte. Cette évolution met en scène la tension interne à l’ensemble, sa capacité à magnétiser des humains et leur faire perdre le sens de la mesure. En fait de drogue la gestion d’un ensemble comme CCR se conçoit mal sans user d’intoxicants ou de calmants, en plus des mots et des transes plus proprement religieux.

La symbolisation des éléments de l’univers socio-cosmique (ce qui pourrait être une manière cultivée et plus juste de traduire “mondialisation”) permet des rangements. La manie de constituer des espèces ou des catégories dans l’humain et son environnement est aussi ancienne que les grands ensembles religieux et l’Etat. Elle est probablement plus antique encore. Elle ne retiendrait pas l’attention si les faits de puissance n’induisaient des classements de plus en plus sévères dans l’humain. Le racisme, de diverses moutures, les racialismes, les ethnismes et les nationalismes ont tous tenté de se justifier par la science et l’histoire. Cette dernière, ainsi que la géographie ont été des sciences du pouvoir et de la transcendance. Leur statut a été très élevé jusqu’à il y a une cinquantaine d’années. Nous nous trouvons face aux héritages de ces pratiques scientifico scientistes, conjugués à une transe de puissance et des configurations géostratégiques qui durcissent la scène. C’est encore une fois au Sud, là où résident les quatre cinquièmes des humains (le Nord ayant de plus des “Sud intérieurs” mais ce n’est pas notre sujet) que les perceptions sont les plus durement ressenties.

Des sociologues ont depuis longtemps remarqué la tendance à faire du monde une salle de classe, conceptions trivialement illustrée par les propos de présidents des Etats Unis de tous les partis (s’il s’agit vraiment de partis). Ces propos apparemment grotesques (leadership et premier de classe) ne choquent pas et n’ont plus de raison de le faire. Ils ont pu être tenus parce qu’ils sont extrêmement fortement intériorisés par les écoutants, nous tous. Cette salle de classe mythique et réelle, ce symbole vivant est à la fois une arène de combat et un lieu sanctifié par les chiffres et les icônes, dont le maître et Dieu serait absent ou dément.

Cette image du maître de la classe-monde est forte. C’est un axe de la vulgate CCR mondialisatrice. Elle s’impose quand la socialisation par des écoles de qualité inégale mais de pratiques grosso-modo semblables, y compris dans les mêmes quartiers, est devenue un fait “mondial”. La réalité actuelle et le champ de CCR apprennent peu à peu ceux qui ne  connaissent pas le maître, sa classe et sa folie, à au moins les désirer. Cela se passe comme on espère connaître à la fois le paradis et l’enfer, le bien et sa transgression dans les représentations et les pratiques chrétiennes, notamment protestantes. Quand une institution à laquelle personne n’osera rire au nez (car il n’y a pas de nez) annonce qu’un Nord Américain vaut 160 Bangladais (bangladeshi) en terme de consommation électrique, donc de puissance de nuire ou faire le bien, nous avons un cadre essentiel des classements. On oubliera vite qu’ils s’agit de consommation largement inutile pour retenir, surtout au Bangladesh, le rapport 1/160. Ils peuvent cependant s’inscrire dans d’autres champs et mettre en scène des acteurs que l’on désire promouvoir ou secourir. Ce dernier, le secours, rapporte à l’une des pires formes de l’abaissement dans les conditions actuelles. Dans une société où l’idée de richesse, le mode d’être des gens aisés sont diffusés partout comme modèles indépassables il est particulièrement dur de devoir tendre la main (ce qui fut un acte sacré). La quête éperdue des classes moyennes en Asie fait partie de tentatives confuses pour sortir de l’assistance en bénéficiant des classements. Il n’empêche que l’inégalité et l’ordre règnent, toujours plus lourdement, en terme de TNT, de Kwh ou de “barils”. Elle s’appuie fondamentalement sur des faits de puissance. Si les USA et leurs “maîtres à ne pas penser” refusent délibérément de réduire leurs gaspillages ce n’est pas parce qu’ils sont bêtes ou hostiles. La puissance et le statut sont des logiques plus fortes que la bonne gestion des ressources (d’ailleurs invoquée).

Des catégories globalisantes plus innocentes, associées à des systèmes de gestion et de compréhension du développement (une entité de laquelle CCR s’est autonomisée), se sont durcies et chargées. Tout fait sens pour fabriquer de l’inégalité graduée, du statut, de la dignité écrasante. De nombreuses formes de puissance existent en dehors du champ de la CCR. Les systèmes de classement font partie de toutes les sociétés humaines et de tous les ensembles religieux. Ils sont centraux et créateurs. Il en va de même en CCR. Cette dernière tend pourtant à inféoder toute forme de gestion symbolique et de pouvoir à ses catégories. Cela explique partiellement les tensions inégales générées entre les porteurs de la puissance CCR et les gestionnaires d’autres systèmes religieux. CCR emprunte et reprend avant de créer. Des discours attachés à des croyances modernistes ou d’autres provenances, notamment chrétiennes, insistent sur le caractère “particulier”, “unique” ou encore novateur des donnes actuelles ou de celles à venir. La conviction d’être unique ou spécial est millénaire et déclinée selon nombre de registres. C’est du savoir de vulgate, de la polémique religieuse.

Le classement de puissance ne change pas seulement les riches, les pauvres et les multiples intermédiaires, ou d’autres catégories nationalisés ou globalisés, en entités chargées, propres à des aventures religieuses comme l’exemplarité, le progrès l’avènement de messie ou mahdi le prophétisme et l’annonce des âges d’or ou des catastrophes, ces choses étant assez souvent aglomérées ou considérées comme interchangeables. Il les multiplie, les fait jouer, les surimpose sur la réalité qui disparait ou se résoud à un cadre que l’on connait peu. C’est comme ces familles assez nombreuses des pays du Nord[30] où de nombreux enfants n’ont pas vu d’animaux de ferme durant leur vies mais les connaissent quelque part plus qu’intimement. Ils les portent en eux sans développer le sens de l’altérité que l’existence animale aide à construire, en usant des représentations anthropomorphisées de Disney. Une des particularités des classements de CCR est l’instabilité des catégories, dans une grande stabilité globale car l’ordre supérieur veut des riches et des pauvres tout en insécurisant les seconds et fragilisant les premiers. La puissance n’existe pleinement comme règne,  incarné par une profusion d’entités humanisées, que face à l’inégalité de ceux qui la produisent, la stockent et la subissent. Ces catégories de puissance raccordées à des ensembles humains ne sont pas tout à fait comme des ordres médiévaux ou les hiérarchies, apparemment plus subtiles et compliquées mais bien concrètes, que l’on a vu et que l’on voit encore dans les entreprises, les villes, les établissements d’éducation et même la rue. Les signes de distinction, l’accès aux objets iconiques et aux fétiches, la possessions des signes et métalangage CCR comptent. Ces particularismes qui structurent et segmentent le social ne sont pourtant le plus souvent que des reprises des anciennes divisions hiérarchiques. Là où l’idéologie du changement comme essence voit une rupture, ou parfois une révolution, dans l’ordre sacralisé des classes et des nations, il y aurait donc plutôt continuité.

Aucune société ne vit sans hiérarchie. Que les différenciations, les rangements et les inégalités d’aujourd’hui soient plus oscillantes, car surchargées de puissance, que, par exemple, les distinctions au sein de l’aristocratie française est possible. Ce n’est même pas certain. L’aristocratie prétendue éternelle et figée s’était vue constamment remodelée par les aléas de la politique, des tensions sociales et des transformations économiques. Les différenciations et classements nés de l’ordre actuel tendent en revanche à se transmettre, se figer, comme tout signe de hiérarchie dans l’humain. Il faut des cultures pour accueillir la puissance. Il y a une réelle tendance à nier ou araser, au nom de réalités supérieures, d’eschatologies ou de besoins de la croissance, des différenciations qui ont longtemps parues évidentes. Cela concerne notamment les distinctions de sexe, de taille, d’âge et d’ailleurs aussi de classe, de communauté de nation ou de caste. Par ailleurs, dans le même temps, ces entités, ces divisions dans le tout que la puissance tend à faire fusionner, peuvent se voir durcies, réifiées, ou sublimées. Elles fondent des versions dures, simples, emblématiques, polarisées, des cultures et du religieux. Ces différences de positionnement sont à mettre en relation avec le caractère mobile des effets de puissance et avec l’impossibilité d’agir sur des humains vifs sans les aborder par un biais ou un autre. L’univers de la puissance est simplifiant et amalgamant. Il prend volontiers la partie pour le tout. L’accent placé sur les modes de vie ou sur certains aspects dérisoires de l’éthique (les dites valeurs se rapportent plutôt à la partie Réforme) rappelle aussi que la puissance, réductrice de toute construction complexe et indifférente à la vie, n’existe que rivée à des complexes culturels hérités et limités.

Il est possible que des personnes pauvres et peu instruites, sans relation, sans pouvoir ni prestige, arrivent à des positions éminentes tant dans la société que dans les ordres magiques, surhumains et transcendants de CCR. C’est cependant si rare que la perspective constitue plutôt un élément de fantasme, plus ou moins emprunté à des imaginaires diffusés massivement aux USA[31. La transformation de la condition de groupes déjà favorisés au travers d’une des phases de croissance ou de crise, la montée ou la chute relative de l’opulence de la distinction et du statut, sont des choses plus courantes. Les forts ont quelque chose de fragile, ce qui n’est d’ailleurs nouveau que pour ceux qui prennent les fantasmes de despotisme oriental ou d’autres théorisations de l’absolutisme (de l’Autre) pour des réalités. Il n’empêche que les grands “poseurs de champ”, prêtres ou dignitaires de CCR, les membres des ordres internes de CCR, les personnages qui comptent vraiment dans la gestion de la puissance et les inventions de catégories, se transmettent plutôt bien leurs patrimoines de relations, leur position et leurs éléments de puissance. Ils le feraient plutôt mieux que les capitaines d’industrie, les possesseurs de charges d’ancien régime (rentiers d’Etat) ou encore les hommes politiques conservateurs en France, pour en rester à quelques exemples connus de gens qui savent s’inscrire dans la durée. La puissance se gère discrètement, comme l’argent des banques de Suisse ou des Iles Caiman, mais elle nécessite autant de spécialisation, de dévotion et de sérieux.

La perspective de l’apocalypse, la fin totale menant vers la transcendance ou un nouvel âge, l’on entendra aussi souvent parler de “nouvelle ère”, fait partie intégrante de la dipolarité “croissance-crise”. Elle fonde et conditionne l’ensemble de la métareligion. Une partie de ces discours et perspectives est de nature purement cultuelle, tout en étant branché sur les imaginaires et le vécu profond de l’espèce humaine Cette dernière est probablement une des seules dont les membres peuvent imaginer leur fin personnelle, l’absence de vie, la mort et, dans certains cadres, la naissance et la disparition des civilisations. CCR reprend, en les simplifiant et les réduisant à ses symboles et ses chiffres, des perspectives très anciennes, expliquées dans de nombreux mythes méso américains, hindous ou celtes, par exemple, qui associent le sort des humains à la course des astres, notamment du soleil et de la lune. Il existe, dans toute expérience de société humaine des angoisses anciennes et durables tenant à la disparition périodique de ces éléments. Ils conditionnent et rythment effectivement la vie. On peut penser que CCR renoue à ce propos, après quelques siècle de “refus de voir et d’entendre” chrétien et notamment protestant, avec des données religieuses et des sentiments essentiels. Nous avons déjà évoqué l’importance de sous-cultes solaires de CCR. Ils sont d’ailleurs capables de conduire à la propre apocalypse de leurs fanatiques par le biais de la cancérisation de la peau (en ce moment, l’hiver étant assez hivernal, un peu de soleil ne serait pas de trop). Les cultes de la nature, l’invention et l’élévation d’une Nature sanctuarisée sans humains, voisinent intimement avec le massacre et la destructuration des milieux de vie.

Pour revenir au propos central, CCR intègre de nombreux discours populaires et savants (cette dichotomie, toujours contestable perd toute efficace), qui sont enracinés dans les expériences traumatisantes de la guerre, de la domination, de la famine, de la maladie ou de la régression de certains groupes (les ouvriers qualifiés, les paysans, les pêcheurs actuellement). Ses moyens gigantesques sont ceux du système de diffusion médiatique et de contrôle des imaginaires. Ils écrasent régulièrement les perspectives rationalisantes de l’éducation, globalisent le sentiment d’insécurité et de menace. Les activités des poseurs de champs CCR, qui font tout et n’importe quoi pour que se perpétue la Croissance, fondent les possibilités concrètes d’évènements graves. Par ailleurs, pour des raisons compliquées qu’il n’est pas possible d’aborder ici mais où les sentiments de puissance globale et d’infini isolement, de faiblesse personnelle, tiennent une grande place, ce qui se passe, en matière d’évolution sociale, de géostratégie ou encore de ressources, tend à être dramatisé à l’infini. Pour les meneurs du système de représentation par images, qui sont au rang des grands poseurs de champ, seules existent les choses vendables qui sont compréhensibles par tous et qui fascinent, ce qui ne peut que favoriser la représentation et certaines formes d’expression de la violence.

Ce niveau de la CCR met en scène une religion de la peur où tous sont révulsés mais tous emportés par une transe qui dépasse la croyance. Le danger est fondateur. Sans lui il n’est pas de croyance ni de tension entre les éléments. Sans lui l’unanimité sociale sur des propositions ineptes et des pratiques dangereuses qui sont au coeur de la CCR peut être mise en cause, car il est plus fort que les inepties et plus terrifiant que les pratiques que l’humain croit avoir apprivoisées. Les êtres, qui sont menacés à tout moment de devenir quasi instantanément des non êtres, depuis, au moins le début de la “Guerre froide” (1946-1947), sont des otages que les tenants de CCR font régresser vers des non-pensées et des non-relations. Ce ne sont pas les mêmes que celles qui ont eu cours, de manière différente, dans le cadre de régimes politico-religieux centrés sur des Etats omniprésents, dans le communisme, le fascisme[32] et d’autres dérives extrêmes du Sud (Ruanda) qui n’ont pas fini de bouleverser ceux qui les subissent (l’Europe n’est ni le début ni la fin de toute histoire). Dans un contexte métareligieux de ce type, où des ensembles sociaux de tous genre sont en cause, avec des cultures croisées et des restes de religions précédentes, il est difficile, plus souvent impossible de situer des responsabilités d’acteurs ou de responsables.

Lors de la destruction des tours du Centre du commerce mondial à New York en 2001 (WTC), on ne sait pas et ne saura jamais sans doute si les entités étatiques, stratégiques commerciales et médiatiques nord américaines, dont l’imbrication et le développement constant fonde une bonne part de la CCR, étaient au courant, se croyaient hors d’atteinte ou ont laissé faire Cela paraît sans importance. L’appareil de diffusion d’images et de messages de l’ensemble CCR, modelé sur celui des USA, inspiré complètement par les manières de faire de ces derniers, s’est révélé parfaitement équipé et préparé pour dramatiser, symboliser et universaliser ce qui n’était qu’un fait divers affreux. Ce dernier était lié à la cruauté évidente de la politique nord américaine, aux folies liées à la rente pétrolière et au capitalisme et aux rancoeurs suscitées par le cynisme et la propension à donner des leçons des poseurs de champ CCR. Ces bâtiments n’étaient ni jolis ni importants. La haine qui leur fut adressée montre à quel point l’hyper symbolisation et les effets de transcendance (ici de diabolisation mais c’est le même processus) touchant des objets et des personnes situés au centre de CCR peut avoir de l’impact au Sud. Durant les Croisades on visait hosties, curés et monastères. L’esthétique et l’utilité sont assez hors-jeu. Ces pitoyables bâtiments et New York ont été l’objet de véritables cultes dans les pays du Sud. En Iran, en Algérie, en Afghanistan, en Asie du Sud et de l’Est des millions de jeunes en quête d’explications universelles, d’âge d’or et de résolution de leurs tensions internes, connaissaient ces gratte-ciel dédiés au flux. Ils étaient sur les murs de restaurants, de maisons, de rue et bien sûr sur les écrans en état de fonctionnement. Des islamistes d’un genre assez différent avaient essayé de les faire sauter dix ans plus tôt. La symbolique de la bombe, qui entraine ses porteurs dans la mort ne ramène pas seulement sur la scène une ou l’autre varité de “guerre sainte” (juste combat, lutte sacrée, stance héroïque, catégories souvent mélangées).

Elle s’inscrit dans le coeur des représentations de CCR, dans l’imaginaire d’un monde tellement tendu et insupportable pour certains mal classés, qu’il vaut mieux hâter une fin que les grands causeurs et les manipulateurs de flux informationnels, prédisent de toute façon pour un jour ou l’autre. Rester humain quand tout se perd y compris le respect de soi-même c’est hâter la fin y compris la sienne. Il y a une histoire des autosacrifices contemporains inaugurés par des bouddhistes au Vietnam (ou les kamikase, ou les anarchistes d’Europe ou bien d’autres avant?) avant d’être réintroduits sur la scène par des hindous du Sri Lanka mais cette dimension historique et culturelle, qui peut être nationalisée et mondialisée (internationalisée), n’élimine pas les effets de fascination, de volonté d’agir sans bornes morales et dans certains cas de folie, qui sont des caractéristiques d’un monde surchargé de puissance. Tous sont donc impliqués dans l’apocalypse. Tous seront sauvés ou détruits. CCR étant un destin mondial. Dans des cadres qui se veulent proprement religieux les perspectives périphériques de groupes comme l’Ananda Marg (hindou), le groupe Aum (Bouddhiste-japonais) ou les Témoins de Jehovah (Bibliques) reprennent et culturalisent ce sentiment. La raison trop invoquée et passablement malmenée durant la phase de Croissance est appeler à s’inverser. L’humain déjà primitivisé par les télévisions, le sensationalisme et l’éloignement de lui-même et de l’autre, se durcira et jouera avec l’animalité et les machines, comme dans les cauchemars que les fabricants de fantasmes d’Hollywood fabriquent à la chaîne, et de manière remarquable pour les enfants sans pères, puis bientôt, sans doute, sans mères. 

La perte des affects, des sens (transformés en pulsions binaires), des relations, de la mesure, de notions diverses de la morale et de la raison sont déjà illustrés chaque jour dans le fonctionnement de la CCR. Il suffit d’écouter, sur une radio française, l’annonce quotidienne de l’évolution des indices (de tout et n’importe quoi) pour comprendre quels effets de prophéties et quels délires réalisables sont joués et vécus dans une certaine mesure avant même que de véritables pénuries, catastrophes ou blocages (joliment baptisés dysfonctionnements quant l’apocalypse ou la crise ne sont pas de sortie[33]) ne s’introduisent sur la scène. Les riches, puissants et bien classés sont très probablement les plus fragiles. Ce sont ces fragiles un peu toqués qui mènent le jeu, au travers de médiations et de flux d’une capacité d’action toujours accrue. Le côté “catastrophe prédite” de la CCR est un coeur des dogmes mous et omniprésents qui nous suplombent. Ils justifient les prises d’otages et les captations de cerveaux qui, latentes en tout religieux, ont atteint des sommets qu’il est difficile de comprendre. Nous n’avons pas assez de recul. La force de ce côté sombre et de l’attraction terrible exercées sur les individus-masse (puisque c’est ainsi que le formatage humain est effectué), ne permet pas de réduire CCR et les réalités qu’elle englobe et ordonne à un système de terreur et de destruction. La destruction est contenue et régulée, au moins en ce moment, et une grande part des gens ne se contentent pas de souscrire aux cadres et aux classements CCR. Ils ne pourraient pourtant pas s’en passer sans subir de cures de désintoxication, en apprenant par exemple à poser un chat sur leurs genoux (un gris d’un genre énervé et gentil peut très bien convenir).


Un système magique de l’ordre symbolique

La puissance qui fonde le couple dynamique croissance-crise est aussi une possibilité d’ordre majeur. Des idéologues n’ont pas manqué pour évoquer des ordres nouveaux au fur et à mesure que se déployaient les rhétoriques et les mouvements de masse de modernité et contre modernité[34], avant que CCR ne devienne mûre, plus fragile et indéracinable que jamais à l’heure des fétichismes de marché. Cela reste de circonstance. La mobilité des classements de CCR et, dans une moindre mesure, de modernité, va, nous l’avons déjà remarqué, avec une pesanteur certaine de la transmission des positions et des patrimoines. D’un certain côté il est aussi important et sacré de figer les classements que de les bouleverser. CCR est un univers tendu mais organisé dont les croyants et promoteurs visent la fixité en détruisant toutes les structures et les immobilités des autres réalités. Il y a plus que cela. A côté de ces phénomènes qui n’ont rien de très ancien mais qui permettent la survie de l’ensemble, comme les univers non capitalistes ont permis le maintien et l’expansion du capitalisme, il existe une dimension bureaucratique et organisationnelle de la CCR. Elle est adaptée à la gestion de puissances déstabilisantes et au gouvernement direct ou par intermédiaires, de masses humaines toujours plus considérables. Depuis cinq décennies le nombre d’humains a été multiplié par trois et le nombre de ceux qui sont assujettis de manière directe et sans capacité de négocier aux logiques de CCR, ou à leurs antécédents immédiats, aurait plutôt été décuplé.

Dans le couple croissance-crise, il existe déjà une tendance à modérer la croissance et les expansionismes des firmes ou des gouvernements influencés par les logiques de marchés et autres théologies de la prospérité. La croissance est alternativement considérée comme le bien ou le droit de chaque humain, à condition qu’il se réduise à l’état peu reluisant d’individu, et comme le privilège de minorités bien classées et pourvues (en CCR le classement précède le caractère nanti mais ne s’en dissocie jamais). Ces dernières ont longtemps été blanches de peau ou euronoraméricaines mais les positionnements de privilègiés de la croissance, habillés ou non de rhétoriques de (divine) classe moyenne ou de société civile, sont maintenant au moins aussi forts dans les grands pôles de peuplement d’Asie ou au Moyen Orient de la rente pétrolière. La croissance vue comme le bien commun de groupes minoritaires est une alternative constante et puissante au développement de tous. Cette croissance mérite protection, non seulement contre les barbares qui ne croient pas à la croissance et doutent de la crise, mais aussi contre les foules qui voudraient profiter des lecteurs de DVD, des voyages à Mayorque, des reproductions du Manneken Pis en fonte ouvragée et des produits du pillage de l’Afghanistan ou de la mer Caspienne, quelques éléments parmi les millions et millions qui assument le statut de surhomme développé. Cette croissance “citadelisée”, assez souvent vécue de manière obsidionale, échappe aux délires des prêtres scientistes, des cadres missionnaires et aux flots de bonté des ONG. Elle nécessite un appareil militaire et un administratif particulièrement élaboré.

A côté de ce fait massif, l’existence de la CCR tout entière est liée au maintien et à la sophistication d’une structure de gestion. Tout ce qui est valorisé dans les modes actuels de socialisation et de travail (s’il s’agit de travail) tourne autour de cette structure multimillénaire qu’est le bureau. Les appareils d’Etat, les entreprises, les ONG, églises et les autres manière d’associer des humains dans un cadre stable, qui se veut facilement éternel, sont sollicités d’une manière toujours plus pressante. L’Etat ne nous intéressera pas particulièrement, sauf pour signaler sa résistance aux agressions et sa tendance à enfler, tout en perdant du statut, dans les pays les plus motivés par les dogmes CCR, à commencer par les USA de D. Reagan. Il n’y a pas de contradiction notable, dans les champs de représentations et de pratiques CCR et dans les réalités les plus banales, entre les Etats et les entreprises par exemple. Le débat est un résidu peu aguichant de guerre froide. Les oppositions mettent en scène des agents plus limités et concrets et nous n’en parlerons pas plus. Il est difficile de dire si les prêtres, augures et bureaucrates de la CCR demandent à des administrations et à des systèmes de gestion de supporter le coût humain et social des activités essentielles des vendeurs de 4x4, de systèmes d’armes, de produits miniers, de gadgets électriques et de fringues plastifiées portant des mots anglais, ou si une sorte de bureaucratie CCR marquerait régulièrement des points contre les éléments, aussi bureaucratisés et se voulant au moins aussi durables, qui ne parlent que de liberté, de marché et de flux. Soit la tendance CCR se fait contrer par des gens et des groupes d’intérêt qui reconnaissent sa prééminence et son caractère fatal, espérant plus ou moins confusément la faire reculer sans l’abolir, soit elle s’organise pour intervenir dans le champ des temps plats, des systèmes d’éternité, des ensembles infiniment reproduits, de la transmission pour ne plus dire de la tradition. Nous aurions assez tendance à penser que la seconde proposition a de plus en plus de validité.

La tendance vers une maîtrise totale de l’univers, celle qui fait poser partout des appareils de mesure et des caméras, est une part indisssociable des modes de vie et des pratiques d’affirmation CCR, ces trois lettres impliquant une réalité supra-humaine régissant le devenir et le présent des êtres, pas seulement des êtres humains. Les univers d’experts, qui ne connaissent que des champs minuscules dont ils démontent toutes les manifestations mesurables, sont au coeur de la réalité contemporaine. Certes il y eu, depuis les inquisitions et bien auparavant des experts extraordinaires, vétilleux et dotés de pouvoir, comme les ingénieurs des aqueducs romains, les faiseurs de sacrifices védiques ou les astronomes de l’Assyrie antique. Le domaine de l’expertise s’est cependant étendu jusqu’à occuper tous les territoires. Il a effectué sa jonction avec le scientisme et la mystique des flux dans des univers où l’intervention des humains dans le champ où se décide leur propre destinée (politique) est de plus en plus rare, inconcevable ou criminalisable.

La composante bureaucratique de CCR, celle qui n’est pas nommée par le sigle parce que son principe et ses activités sont hétérodoxes tout en restant centrales et nécessaires, est énorme. Un univers rentier et technicien, qui croit dans les recettes, les modèles et aussi les miracles, qui n’imagine rien d’autre que sa réalité et sa perpétuation, occupe une place considérable dans les sociétés humaines du présent, d’autant plus grande qu’elles sont, si l’on peut encore user de ce terme propre au champ, “mondialisées”. Une partie est militaire. L’armée est un prototype de ce que le CCR met en avant l’entreprise, le classement et la bureaucratie. C’est comme CCr un ordre fait pour détruire et transformer. Il existe bien sur des militaires qui ne rentrent pas dans le cadre CCR. Elle suppose la fusion relative des perspectives de croissance et de celles de gestion éternisante. Dans CCR les métaphores militaires, les attaques, agressions, campagnes et autres assauts sont omniprésentes et pas seulement dans le vocabulaire de l’entreprise. Il y a de la propension à l’immortalité dans cet univers de programmateurs, d’évaluateurs et de gestionnaires, malgré la tendance à ignorer le temps et donc le temps qui surmonte le temps. Cette dimension de CCR, ou cette partie non avouée et centrale de la métareligion rappelle quelque chose des univers chinois idéaux, la Chine vivante, constamment révoltée n’ayant jamais eu grand chose à voir avec les inventions centralisées et uniformisées des mandarins.

Une certaine perception des univers bouddhiques et taoïstes, sans retour à dieu ni croissance, explosions ou déclin, seulement obsédés par la continuation de l’être en réduisant ses souffrances, peut aussi, avec un certain profit heuristique, être comparée à cette dimension de la métareligion. Il n’est cependant pas besoin d’aller en Chine ni dans les siècles pour trouver des tendances à figer les temps, tenter de tout maîtriser et réduire les personnes à des chiffres. Toutes les organisations, sociétés ou églises sont hantées par ce type de perspectives. Le corps humain est vu comme un mécanisme par les médecins. Des propagateurs du  yoga, parlent, dès le début du XXe siècle chrétien de “contrôler son corps comme un ingénieur"[35]. Parmi les organismes religieux qui ont un poids important en France c’est encore l’église catholique qui dispose de l’appareil le plus ancien. C’est aussi le plus porté à sacraliser son existence et sa capacité à durer et traverser les périodes d’histoire. Elle prétend traverser sans dommages de grands bouleversements comme les révolutions dans la chaussette et les puces au silicium. Il n’est pas impossible qu’elle y arrive. Ces dernières sont imputables, outre l’évolution des savoirs humains, au capitalisme et aux stances primitives de ses promoteurs, mais elles sont sacralisées et prises en charges, expliquées et pourvues de sens, par les idéologues et les prêtres de CCR. On ne s’étonnera pas de la rétraction catholique présente, parfois matinée de fascination.

L’une des inflexions des bureaucraties CCR actuelles est la concentration et l’apparition de nouveaux rentiers. Le cas des firmes publiques privatisées en Grande Bretagne sous M. Thatcher est éloquent: un groupe d’une centaine de millardaires est apparu, au dépens de dizaines de milliers d’emplois publics. Les appareils d’organisation, d’Etat, d’entreprises, d’églises, ordres ou sociétés, y compris des sociétés dites criminelles, connaissent une concentration inédite de richesse. L’ingénieur ou le professeur croyant dans une ou l’autre inflexion (plus que: variété) de CCR, le cadre ou le petit gestionnaire qui vivaient de peu et acceptaient la réalisation de l’ordre et de la mission en restreignant ses exigences et travaillant follement, tous ces personnages fondateurs laissent le pas à des magnats de plus en plus richement payés à ne rien faire quand ils ne nuisent pas (destruction d’entreprises, de milieux, de territoires, d’emplois, etc,...). C’est un processus ancien dans le capitalisme et dans les appareils d’Etat non surveillés et régulés par des puissances alternatives. L’un des problèmes de CCR, bien illustré à ce propos, est l’absence de véritable défi à son ordre. Le communisme a longtemps servi. C’est sur l’évidence ou la divine possibilité d’un danger, russe ou soviétique, que de nombreux prémisses de l’actuelle donne de CCR se sont installés. L’islam politisé mais désorganisé peine à remplir le même rôle malgré les luxes d’imagination de certains groupes fascinés par les dérives imaginaires et la puissance nord américaine. Les extraterrestres agressifs brillent par leur absence. Mis à contribution, notamment dans un film hollywoodien récent[36], le changement climatique reste un peu lointain et tout de même ambigu au point d’écorner les certitudes scientistes et l’arrogance de certains promoteurs de croissance. La bureaucratisation des ordres sociaux, des classements et des liturgies de la puissance, risque à la fois de s’intensifier et de susciter des tensions internes, tensions sociales, humaines, plus ou moins vivantes, qui font partie de ce que la métareligion prétend oter de la surface de la planète.

On retrouve dans cette dimension gestionnaire et éternelle de CCR, dans son non-dit fondateur, des partisans plus ou moins désabusés du marxisme, réduit aujourd’hui à la situation d’une inflexion millénariste et rationalisante du capitalisme. Il y a aussi des historicistes un peu désappointés et d’autres chercheurs du principe universel qui expliquerait les errements qui leur font peur et les contradictions qu’ils ne veulent pas voir. L’historicisme est un parcours idéologique antérieur à la CCR. On en trouve une mouture contemporaine et remarquable dans un journal comme l’Internationaliste, une feuille mensuelle de haute qualité qui dérive de la publication italienne Lotta communista. Tout y est perçu en termes de géostratégie, avec la conviction absolue que ce qui doit s’accomplir s’accomplira, que les forts ont toujours raison sur les faibles, que l’ordre mondial sera en toute occasion ce qu’il doit être, exprimant une phase puis une autre de l’Histoire. Les mots clés sont équilibre, course, affrontement, sécurité, forces, énergie, recomposition. Les propos sont très proches de ceux des gestionnaires boursiers optimistes. Ces derniers et l’Internationaliste se montrent désireux de durer, les premiers dans leurs position, le second dans son commentaire avisé. Ils sont anxieux de dépasser le niveau de la rumeur et de la passion si prisé dans les inflexion de croissance, de crise et d’ailleurs aussi de réforme. Avant d’en arriver là en liquidant le fonds de révolte et d’humanisme du marxisme et des philosophies de l’Europe de l’ouest, l’historicisme a eu des heures de gloires avec les nationalismes et le mouvement ouvrier mais les nouvelles perceptions scientistes et génétiques tendent à sortir l’humain et leur fétiche particulier qu’ils nomment sujet ou acteur, de la transcendance comme de sa propre réalité. Les ordinateurs d’un côté, avec leurs banques de données que rempliraient de manière parfaite les experts en CCR, les hérédités génétiques de l’autre, corrigées jusqu’à la perfection par les médecins ingénieurs, les machines et les manipulations, inventent un monde dans lequel la crise, la croissance et la réforme existent mais se trouvent constamment dévalorisées ou perçus avec une certaine distance. Les processus, les cultures, les initiatives, les relations, les imaginaires n’ont de place que relatives à la perpétuation infinie, si possible croissante et pas trop catastrophique, d’un non vivant devenu prédominant. La valorisation insistante ou rémanente du “moyen”, du “commun” et de l’”universel” appartient sans doute à cette inflexion.

L’organisation du désordre, la capacité à le faire flirter avec l’éternité, met enfin en valeur une propension magique de la CCR et de ses poseurs de champs. Comme dans le yoga pratique où la magie et la science (de la respiration) ont fait bon ménage, le scientisme et les  incantations, combinés à la force des appareils de stabilisation militaires et bureaucratiques, posent une dimension religieuse pratique, matérielle et enfin utilitaire. L’utilitarisme est à la fois une condition de la survie une négation des personnes, qui se révèlent régulièrement inutiles ou en trop, et une perception confuse et dure du divin ou d’un ordre supérieur. C’est sans doute le niveau le plus réifiant de l’ensemble CCR. C’est dans ce cadre aussi que des perspectives utopiques imaginées lors des créations religieuses anciennes telles que l’Islam et le christianisme ou chez Platon se trouvent le plus fortement sollicitées en utilisant généralement les biais du scientisme, du rationalisme et, surtout sans doute, du désir d’harmonie. Les perspectives utopiques des idéologies de modernité européennes et de nombreuses visions hybrides faites à partir de confrontations entre des pratiques hindoues et bouddhistes et les inventions de modernité, sont aussi rémanentes dans ce niveau. Mis à mal par les publicistes de la croissance, détesté par les éléments nombreux qui n’ont pas accès à ses univers de calme et de force, peu fascinant par rapport aux abîmes de la crise et de ses transgressions, sans moralité sauf de vagues principes généraux variants, l’univers magique de l’ordre CCR continue son existence discrète.


Réforme, une reprise puritaine?

La réforme est ce qui vient à tout moment lorsque les machines et les êtres gorgés de puissance s’emballent et fabriquent du désordre après avoir promu un ordre supérieur. C’est aussi le moment du rachat quand les poussées de Croissance subordonnées aux taux de confiance et de profit brut s’effondrent, à cause d’un  évènement ou de sensations, nécessaires au système, de chute, de déclassement ou de dispersion. La dimension de Reforme introduit plusieurs niveaux de pratiques et de notions du religieux que l’on trouve dans le chritianisme réformé (justement), notamment dans les puritanismes anglosaxons. Il existe cependant des puritanismes contemporains en dehors du monde anglosaxon et du christianisme. Les apports éminents du réformisme religieux et culturel hindou et de la recomposition de l’islam autour de visions idéalisées des origines, accompagnées de réformes des moeurs et de tentatives de contrôles rigoureux de la sexualité ou plus largement du désir, le poids des dérives chinoises et russes soviétiques en la matière, sont autant de témoins d’une universalisation ou d’une reconversion des puritanismes réformateurs antérieurs à la donne actuelle de CCR.

Réformer c’est introduire l’action humaine et réhabiliter sinon les êtres du moins les individus repentants. Le temps de la réforme est partiellement maitrisé, une partie des phénomènes étant clairement du ressort des puissance supérieures et de leur capacité de pardon, une autre relevant de la ferveur repentante des damnés de la crise. Il introduit, d’une autre façon que celui de l’ordre immobile et magique, des perspectives historicistes et eschatologiques. Son thème central n’est cependant pas la fin des temps ou l’avènement de l’homme nouveau, ce qui appartient à des aspects plus durs et dynamiques de CCR, mais la moralisation et la “conscientisation” des humains après une ou des fautes (écouter les oracles médiatiques après un repli boursier). La faute pourra être de ne pas avoir assez consommé ou d’avoir gaspillé les biens rares. C’est l’option la moins courante. Elle sera plus souvent d’avoir contrevenu aux règles fondatrices de l’accroissement de puissance: non respect des classements, des fétiches, des hiérarchies et des ordres.

Il ne manque pas de poseurs de champ CCR, de bureaucrates de même obédience et de bateleurs médiatiques pour expliquer chaque désastre du genre “crise des pays émergents”, “recul de l’Afrique” dans les guerres civiles et les troubles ‘identitaires’,  “massacres intereligieux en Asie” et bien entendu “fondamentalismes (musulmans)”, en expliquant qu’il n’y a pas eu assez de marché (ou une autre icône à la mode) et surtout pas assez de “réformes” et d’ouverture aux flux. La façon dont un groupe de gestionnaires français, qui se prend pour un gouvernement, a récemment fait passer une série de régression des statuts, des conditions de vie et des raisons d’être (l’assurance personnelle et les contextes relationnels) de la majorité au nom des réformes introduit à une autre dimension de ce terme. La réforme est une punition que les maîtres CCR du monde (on dit maintenant: “professeurs des écoles”) infligent à ceux qui ont cru, au nom d’évènements dérisoires comme la Résistance en France, les révolutions et les indépendances en Asie, à la possibilité d’infléchir Croissance au service de l’humain. Croissance qui pousse bien ou croissance freinée, pire encore parfois maîtrisée ou rationalisée, ont en commun de mener à Crise. Crise est une punition élémentaire et terrible du niveau de l’orage ou de l’inondation dans les représentations religieuses anciennes avec toutes les dimensions sacrées et terribles de ces perspectives. Réforme ajoute le discours des “pères fouettards” et des acteurs autorisés, des poseurs de champs et diffuseurs de téléphones portables officiels et véritables.

Au nom de réformes, avec des inflexions dont l’ampleur va apparemment en diminuant avec le temps (mais ce peut n’être qu’un cycle), il est normal de prohiber, contrairement à ce qui se passe dans la logique de croisssance qui se nourrit très bien de la production d’opium, d’ailleurs à tout prendre moins dangereuse pour le devenir humain que la prolifération des autos. La santé publique et surtout privée, mise à mal par les déluges d’organophosphorés et chlorés (des pesticides) et toutes les manifestations du génie fou et frénétique des augmenteurs de PNB, se trouve irrégulièrement invoquée. Les valeurs, la conscience morale et même la loi (qui ne vaut cependant pas pour certaines puissances et pour le coeur conscient de CCR) peuvent connaitre des vogues plus ou moins durables. La reproduction humaine et parfois la sexualité malgré l’incidence très positive (même séropositive) de cette dernière sur les taux de croissance bruts, sont visés. Produire des humains pour le simple plaisir de faire durer des noms ou construire des familles est suspect. Le malthusianisme est un des plus anciens tropes de CCR, bien que des déviants aient pu compter sur la masse pour lancer des politiques de croissance. Ils avaient perdu le sens des classements donc du sacré.

Réforme, tel qu’invoqué dans ce cas, est à la fois une eschatologie et une philosophie de l’absence d’alternative. Il faut faire des réformes, ce qui peut vouloir dire, “mettre au chômage”, “liquider des lieux de vie”, “détruire des ethnies”, obsolétiser des modes de produire ou des manières d’être ou encore “isoler”, individualiser”, “enfermer et punir”. Non content de se livrer à ces activités déplaisantes de rachat, sacrées en elle-mêmes, les promoteurs de Réforme les justifient par quelque chose d’énorme et vague à la fois. C’est un destin, une mission, une structuration supérieure qui sont en cause. Tout cela se comprend en mettant en scène des acteurs et des intérêts aussi concrets que triviaux mais une dimension du discours et des pratiques, dans le cadre tendu qui est le notre aujourd’hui, ne s’interprète qu’en relation aux données métareligieuses de la CCR, à la relation entre les trois pôles, aux possibilités d’évolution très réduites ou nulles du cycle. La croissance crée, la crise détruit, la réforme (et les bureaucrates magiciens) maintient et permet le retour des deux premiers éléments. La place pour un débat de société ou pour des choix n’est pas “étroite”. L’idée même du processus tient du sacrilège.

Réforme rachète les non-âmes et les surâmes en perdition, les âmes aussi peut-être car le terme et ses sens restent forts, dans les champs concrets, en manipulant des clichés usés mais non encore épuisés par les prêcheurs archaïques et branchés nord américains. Il faut se repentir. Il convient de travailler ce qui jugule les écarts sexuels dans un monde ou les tentations de Crise et Croissance sont aussi nécessaires et sanctifiées que redoutées. On entendra avec un certain cynisme, que peut ou non réduire l’habitude, des promoteurs de Réforme liquider des millions de postes de travail, dépouiller des régions entières d’équipements payés et fabriqués par des collectivités (afin de centraliser des sources de profit privée) et parler dans le même temps de réhabiliter ou de valoriser le Travail, qui s’incarne comme il l’a toujours fait dans ces cas là dans une prolifération des situations de soumission et d’exploitation des travailleurs.

Le processus de “réforme” multiplie les côtés infantilisants, des scories plus ou moins anciennes de la pratique coloniale Européenne et Nord Américaine du XIXe et XXe siècle, qui a déjà une fois “réformé” et mondialisé la planète. Il y a beaucoup de choses présentes qui rapportent à cette expansion de l’Europe et des USA au XIXe siècle au nom de privilèges (liés à la force et à l’arrogance), de la mission (inflexions diverses sans doute secondaires) et du libre échange. Dans son sens actuel, Réforme est très souvent chargé d’un contenu négatif et régressif pour la vie, les statuts et les conditions des humains. Les réformeurs (on n’ose plus se servir de réformistes qui est rattaché à des situations moins sinistres et ridicules) sont convaincus de la culpabilité humaine de la nécessité de pratiques de rachat et enfin de l’importance de vues optimistes évoquant la prospérité. C’est un peu tendu comme tripôle mais c’est très représentatif des mondes ordonnés par la CCR.

La théologie de la prospérité serait donc d’abord une spécialité des réformateurs de CCR. Elle est reprise et copiée, parfois caricaturée, par toutes les religions ayant pignon sur rue et ayant subi l’influence du puritanisme et des conceptions protestantes anglosaxonnes. Dans ce cadre, il est bon, moral, justifié, sacralisant et même beau de faire de l’argent surtout si la chose élève le rang et l’importance des classements de CCR (ou de modernité ou d’autres inflexions du paradigme). Les prêtres, guru, mollah et rabbins branchés multiplient les banques, les investissements et les placements. Ils incitent ceux qui peuvent et même quelques autres à les imiter. Cette théologie de la prospérité et de la puissance, qui inverse fréquemment les perspectives valorisées jusqu’il y a un siècle dans les grandes et petites religions, est essentielle pour comprendre les dérives et les évolutions actuelles en matière de religieux. Nous en retiendrons surtout qu’elle inféode les perspectives des religions reconnues et moins reconnues aux catégories de la CCR, en usant de la force, du chantage, des réformes, de la morale, de la finance, des ONG et des incendiaires de la croissance. Il y a quelque chose des cultes océaniens du cargo dans cette attente religieuse d’une vie meilleure abondante, preuve de l’intervention de dieux ou de puissance supérieures. Les “nous” triviaux et sacrés de mondialisation multiplient leurs champs d’intervention.


La CCR est elle une religion?

CCR est elle surnaturelle ou sursociale? C’est une vulgate qui intervient partout en usant en tous lieux des mêmes processus, techniques, éventuellement systèmes. Elle dispose de matrices, gardiens, institutions vulgarisateurs, prêcheurs, spécialistes, défenseurs passionnés ou fanatiques. Rattachée aux puissances mais indifférente aux partis et aux mouvements, qu’elle tend seulement à absorber comme elle le fait pour les pratiques et ensembles religieux, elle apporte des réponses et invente aussi les questions, en modelant les cadres et influençant les acteurs. Elle n’élimine nullement les autres éléments de la réalité, y compris la pensée, comme les échanges, les classes (niées ou intégrées comme dans la plupart des ensembles religieux), le travail et les rapports de travail, le corps, l’imaginaire ou encore la monnaie; diffusée depuis trois mille ans. Son bagage marxiste libéral ajouté à de nombreuses autres couches de concepts et de perceptions, lui permet d’intégrer ces données humaines et de leur fournir du sens, sans d’ailleurs poser la question du sens ni aucune autre question. Elle est le réel et ses développements supraréels. Le sens, une des premières raisons d’être du religieux, est profondément imbriqué dans une culture du non-dit, de l’évidence, et du sensible, plutôt sans doute du sensationnel.

Si une religion est une cohérence tournée entièrement vers des notions d’âme de surnaturel et de sacré, le caractère religieux de la CCR est un peu douteux. Si on prend le terme en mobilisant l’ensemble des données mondiales (justement) et universelles du religieux, sans privilégier les perceptions chrétiennes ou catholiques, d’ailleurs fortement sollicitées dans certaines inflexions de CCR, si l’on admet qu’une religion vaut ce que les sociétés ou les désocialisations y placent et qu’elle peut se vivre en creux par rapport à des définitions anciennes du spirituel, si l’on admet le caractère central d’une surpuissance de fait, non d’une puissance divine imaginée, au sein même de l’ensemble planétaire, le terme n’est pas du tout hors de propos. Si l’on s’attache à ce qui, dans religere ou yog (en sanscrit) met en scène la compréhension du destin et la solidarisation des humains par une dimension supérieure il pourrait même se révéler parfaitement adapté. Tout est CCR et la CCR n’est rien que le social et le politique imaginé dans des catégories qui nient durement le social et le poltique, ce pourquoi nous avons posé la question d’une présence, dite ou plus souvent non dite de formes de religieux. Nous nous trouvons à la fois face à une sorte de “vaporisation” des religions et des catégories religieuses, à un retour ou à la continuité de notions de puissance[37] (shakti) ordonnant le monde et le menaçant, de fétichismes primaires ou non, de cultes du soi, de culte de la prospérité, de prophétisme, de menace de chute et de promesses de rédemption.

Le plus intéressant est à notre avis, nous tenons à le redire en approchant de la conclusion, l’arrangement des réalités en triangle de pôles fortement et complexement reliés. Il reste un doute quant à la solidité de cet ensemble: est-il une structure durable ou un assemblage tératologique? Fonctionne t-il dans un ordre de la nécessité et de l’évidence ou impose t-il des distorsions et des dérives que le terme crise ne fait que tenter de rationaliserr? CCR, notre ordre religieux actuel, n’est ni rationnel ni positiviste, malgré des surcharges ponctuelles d’appels à la raison, à la positivité et bien sûr à la science. Rationalistes, positivistes et scientifiques (qui ne se confondent pas en tant que catégories) sont seulement appelés à occuper des rôles de second ordre sur la scène. Nous laisserons chacun accommoder ce qui a été présenté en fonction de ses perceptions, de ses désirs intimes et, pourquoi pas, de ses croyances... en espérant que les réactions d’habitus et les clichés ne seront pas les seuls processus sollicités.

Il faudra aussi, pour profiter de ce petit essai, débarrasser ce texte des appréciations morales et politiques de l’auteur, par exemple le regret un peu puéril que les libertés ne soient pas plus substancielles, le parti pris environnementaliste ou une certaine position critique vis-à-vis du capitalisme. Ces positions ne sont pas complètement distanciés et gênent. C’est un peu plus compliqué. C’est au prix de distanciations mais aussi en retrouvant des affects et des émotions que le jeu sur des signifiants, la prise de recul par rapport à des notions figées dans un monde qui bouge mais pas toujours comme il est dit, peut être mis à profit. Certes les tenants, si variés mais tellement solidaires des perspectives CCR, font de la morale et de la politique. Ce n’est cependant pas le fond de la perspective dégagée, qui montre l’utilitarisme et la magie associée à un mépris profond, presque dramatique, des activités de pouvoirs non régulés par le flux de puissance. Ce que nous pouvons émettre de critique ou de désaffection vis-à-vis d’un ordre et d’un désordre que n’atteignent pas ces considérations ne présente aucune espèce d’intérêt. Ce sont peut-être des expressions de nostalgie, d’un côté, et des remugles antireligieux.

La CCR n’émancipe pas, elle ne réalise pas, elle crée pour détruire pour instaurer une  nouvelle donne de création et destruction. Les considérations de démocratie, de progrès, de changement et autres, entre niaiserie, essentiel et manipulation, continuent à proliférer mais elles ne présentent d’intérêt que replacées dans le cadre des flux, qui abolit tous les sens, de la publicité, qui se rit de toutes les valeurs, et de l’inféodation des perspectives religieuses à une logique de la quantité, aux théologies de la prospérité. Par ailleurs, si la CCR abolit la notion de choix, sauf face à un étalage de supermarché (et encore: l’emballage compte plus que le produit d’ailleurs profilé par les champ de puissance et les restructurations industrielles), elle n’est pas ressentie comme oppressive parce qu’une de ses sources de légitimité est le désir humain, les fantasmes des dominants et les angoisses des dominés constituant un ajout, absolument fondamental à notre sens, qui va aussi dans la direction de ce que les grands poseurs de champs CCR appellent la “liberté”.

La charge sacralisante et, plus encore, les systèmes de classements de la métareligion fascinent particulièrement, tout en les irritant, les croyants ou participants sincères et motivés de versions précédentes, plus culturelles et localisées, du fait religieux. A ces propos (la liberté et la religion) il est difficile de faire la part de l’aliénation, de l’héroïsme - assumer un destin programmé pour le tragique et submergé périodiquement par l’autonégation peut nécessiter du courage - et du cynisme. L’ensemble métareligieux, si l’on conserve cette dénomination, ou encore le champ de représentations et de pratiques de la CCR, pour rester dans un registre plus neutre mais qui frise l’ennui, a procédé à des déconstructions importantes durant la période récente. Les poussées de Croissance sont telles que les configurations de pensées, les tropes et les imaginaires que l’on croyait figés pour toujours par l’énorme puissance de propagande par le fait[38], le fait massif des colonisations du XIXe siècle et de la première poussée mondiale des marchés, semblent vaciller ou parfois se dissoudre. Il n’y a plus d’Est et d’Ouest, d’Orient et d’Occident, malgré les poussées identitaristes de tous genres qui fossilisent ou enjolivent ces non-concepts (mais vrais emblèmes), ces antécédents figés ou aux mouvements mal maîtrisés de la pratique et des idées de CCR. Que ces transformations des conceptions de l’humain et du milieu soient d’abord régressives et qu’elles passent par des arasements culturels tout en permettant au “mieux-classés” d’entretenir des illusions et de diffuser des thèmes réconfortants quand à leur existence (en tant qu’Occident par exemple ou encore laïcs[39], etc), a déjà été entrevu. Nous voulons ici souligner à quel point ce que les élites CCR créent et encadrent est capable de les dévorer. Nous en arrivons à la conclusion que développent tous ceux qui sont pris en otages, à savoir qu’il est heureux que l’ensemble des perceptions sacrées, métaphysiques et transcendantes, que la grandeur des classements et le fétichisme du chiffre ou du marché, que la magie et l’utilitarisme existent et pourvoient la scène de semblants de sens. Cette construction pathétique et compliquée, qui renoue avec les grandes construction de sacré de l’humain (elles n’ont jamais été hors jeu) répondrait donc à des besoins essentiels à côté de sa tendance à faire surgir et entretenir des assuétudes.


Hybris et retours au réel

La dimension de la transe de puissance et des constructions religieuses ou parareligieuses qui l’entoure tend à oblitérer les choses humaines ordinaires. Nous avons remarqué qu’elle favorisait la préférence pour les machines ou les animaux domestiques, ainsi que le mépris de soi, chez des êtres frappés par la grandeur du système et généralement mal classés par ses catégories. Outre le caractère régressif de nombreux processus, les poussées simplificatrices et dures de nombre de tendances, l’ensemble CCR ne peut vivre avec ses seuls individus ni avec des masses abêties dans des sociétés purement utilitaires et destructurées. Il n’y a pas que la pensée qui n’ait guère évolué depuis le temps du Bouddha. Au quotidien il reste infiniment plus efficace, rapide et agréable d’user d’un balai pour dépoussiérer une pièce de taille moyenne que de sortir un aspirateur. Tout n’est pas à l’avenant mais c’est une tendance lourde, dont la prise en compte est indispensable pour comprendre les choses d’aujourd’hui. Malgré l’hypertrophie des transports, il reste peu imaginable de ne pas marcher. Des cultes internes ou parallèles à CCR valorisent d’ailleurs les corps tels qu’ils sont ou devraient être (sans le travail), à la fois capables de vivre et de s’échapper des destins CCR et incarnations de surhommes imputrescibles. Les fabricants de fétiches et les faiseurs d’effets recherchent avec une grande énergie des mains, des yeux, des personnes qu’il soit possible de commander et d’utiliser tout-à-fait comme aux débuts du capitalisme, ensemble qui n’avait pas vraiment rompu, au XVIIe siècle en Europe, avec les pratiques des marchands manufacturiers des époques antiques.

Il reste des territoires, des limites, des frontières et des cadres. Il s’en crée chaque jour. Les ordinateurs sont utiles, ou plutôt se sont imposés au rang d’incontournables, mais ils ne dispensent pas de savoir écrire, de formuler une pensée ou de les programmer avec la simple intelligence inquiète et mobile des êtres humains vivants, si possible entiers et donc contradictoires. Ils ont le bon goût de tomber régulièrement en panne, parce qu’ils ne sont pas faits pour durer et parce que CCR transcende des réalités, des éléments, pour les jeter régulièrement dans les poubelles. Beaucoup de machines ne sont pas utilisées pour le projet des grands poseurs de champ CCR qui est de faire des objets avec la nature pour les détruire pour en refaire de plus destructeurs, mieux emballés et plus vite jetés, en écrasant quelque peu au passage les finalités de cette dimension machinique que l’on avait crue libératrice (le processus dépassant le but, comme dans beaucoup de perspectives CCR). Les imaginaires sont solidement balisés mais ils gardent un caractère imprévisible. La médiatisation, dont les promoteurs se jugent si importants, se résoud rapidement à n’être qu’un bourdonnement de fond, une vague vibration qui n’empêche pas, malgré des efforts héroïques, les humains de penser, d’aimer, d’inventer leurs propres catégories et dimensions du temps, de relativiser.

Une grande part, l’immense majorité des réels avec lesquels la CCR travaille et qui occupent et structurent les humains sont des “hybrides”. Cette question d’hybride est compliquée et nous en pouvons que l’effleurer. Il y a des mélanges de catégories CCR, des imbrications de réalités CCR et du monde non assujetti à la métareligion et enfin de complexes de choses qui font depuis des millénaires le quotidien de l’espèce humaine. Il s’agit d’ensembles déstabilisés mais où l’on retrouve des processus d’apprivoisement, des sectorialisations, des liens et relations, des ordres non prévus, des croyances plus ou moins non répertoriées, des informations non mises en flux, donc encore porteuses d’authentique, des humeurs et des sarcasmes. Cette prolifération d’hybrides, de fragments des réalités plus solides (et encore) frottées à la puissance et aux perspectives et pratiques propres de CCR, est notre environnement. Il en surgit parfois des monstruosités, le monstre étant à ce niveau une variété de mélange non viable ou toxique. Globalement notre environnement d’hybrides n’est pas sans alternative. En gros nous ne sommes ni croissants, ni en crise ni réformés mais généralement inclassables tout en étant, dans certains champs et moments, incapables de résister à la séduction, à la force et à la capacité structurante des catégories de CCR. L’imprévisibilité humaine et l’épaisseur de certaines de ses réalités est une source de désagrément et parfois de rages pour des porteurs, parfois des victimes plus ou moins consentantes, des grandes réalités CCR. Le corps, la planète, le savoir, la possibilité de comprendre, l’Autre, ont des limites et demeurent toujours, peut-être plus que jamais, des mystères. Ceci n’est pas écrit pour revaloriser des religions plus cohérentes ou plus anciennes, dont la réalité ne paraît pas probable.

La fabuleuse, dangereuse et minutieuse structure de la CCR n’est pas non plus en cause. Il est simplement question de l’importance, fortement ambivalente dans les atmosphères surchargées de puissance, de la nécessité proprement humaine de croire ou faire confiance et de la nécessité, aussi importante, de prendre des distances par rapport à ce que l’on croit. L’humain reste plus que jamais un animal symbolique. Les symboles ont un poids, ils transportent une charge qui n’avait pas encore probablement été expérimentée, encore que cela ne soit pas certain. Tant d’affirmations de ”nouvelle ère”, ou de “spécificité absolue” pour le christianisme par exemple[40], ou d’interrogations sur l’isolement ou le tragique de l’humanisé-déshumanisé CCR (avant : moderne) ont sombré dans un ridicule peu aguichant. Les mythes sont loin d’être morts. Ils apparaissent surtout instabilisés, moins lisibles pour les adultes obsédés par le travail (ou son absence) et brouillés. Tout ceci est connu. Pour en revenir à l’être humain, projet central et ennemi aussi central des catégories CCR, il ne vit et même ne survit qu’en s’éloignant de ses propres productions symboliques. C’est sans doute en reconnaissant la part de sacré que CCR et ses tenants les plus ‘allumés’ tentent de monopoliser, mais en exigeant ou plutôt en fabricant aussi la plus grande part de variabilité, de fantaisie et d’intelligence critique (on n’ose plus parler de liberté tant le terme s’est vu ridiculisé en étant accolé au marché et à d’autres réalités infâmes) que l’on peut faire mieux que survivre en triste individu dans ‘notre’ période de CCR.

Amen.


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[1] Ce terme signifie mondial et vient de “globe”. Ce n’est qu’un anglicisme de plus.
[2] Tout ce qui veut signifier et comprendre une religion et un ensemble social en se référant à son discours explicite, sans parler de ses valeurs, est fortement décalé voir totalement hors de propos quand il s’agit de la CCR. Il nous semble que cette tendance est plus ancienne et plus large bien que certaines idées aient pu avoir de l’importance et que, dans CCR, des notions, des tropes et des ordres qui font appel à des théorisations pour s’imposer dans certains champs et cadre sont aussi présents. Notre perception ne nie pas M. Weber mais elle ne s’en préoccupe pas. Ce qu’il a dit sur le religieux nous paraît à la fois rigoureux et intelligent mais terriblement ethnocentré et réduit par les catégories de certaines philosophies gréco-européennes et par les limitations de son milieu et de son époque. Sans aucun doute nous avons les nôtres.
[3] La mesure de la capacité des crânes et les formes de nez, (réhabilités récemment sous des labels génétiques), les classificiations coloniales, le racisme l’orientalisme l’exoticismes, les zoos humains. Un passé très lourd effectivement. Est-il un peu surmonté? la sociologie a été au contraire associée à des perspectives progressistes. L’intégration de ces dernières à des fragments de vulgate CCR détruit en ce moment une grande part de cette discipline. Les origines sont loin et toute réalité peut inverser ses sens dans le champ d’hyper-puissance de CCR (voir plus loin).
[4] Admettons que c’en est une malgré les voisinages peu faciles que cela implique et l’industrialisation du savoir mise en scène. La discipline vit peut-être mieux dans l’artisanat.
[5] Par exemple. La volonté de tout dire, citer, mettre en scène est parfaitement suicidaire sur le sujet choisi.
[6] C’est ce que la pensée protestante nord-américaine, elle même fortement influencée par le fondamentalisme biblique, l’historicisme et le sentiment de mission manifeste (des USA) appelle fundamentalism et ce que des Français ont cru bien faire en le désignant comme intégrisme, une catégorie purement catholique et européenne, tout aussi restrictive que la précédente. La prolifération d’hybrides (nous verrons de quoi et par rapport à quoi plus loin), facteur de grande diversité qui n’a rien de nouveau dans le champ religieux et la perpétuation de courants culturels anciens et bien articulés, qui  met en scène l’existence de réels non assujettis à CCR, sont tous deux oubliés ou niés. Dommage. Nous vivons de miettes ou des restes.
[7] La tendance à abuser du “complexe” a rendu le terme indigeste et sans efficace. CCR est souvent compliquée mais pas tellement complexe. C’est une façon de la distinguer des hadith ou des commentaires shivaites.
[8] C’est une phrase qui était réservée aux enfants dans l’univers culturel de l’auteur avant la diffusion massive de la médiatisation de bas niveau qui fait de tout diffuseur et de tout récepteur de l’information un enfant, ou plutôt un infantilisé.
[9] Formules ou sons dotésde pouvoirs ou de vertus réflexives et sensorielles qui rapprochent du divin - du mieux, du juste, du vrai, de l’achevé - dans les univers hindous et bouddhiques.
[10] Ce mot est un anglicisme.
[11] Hummel, R. 1(988) Les gourous, Paris: Cerf-Fides.
[12] Le baril est une vieille unité de mesure anglosaxonne, expulsée depuis longtemps des systèmes de mesures itnernationaux, qui n’a cours que par la grâce de la puissance nord américaine, une certaine complaisance de journalistes et d’autres partisans de l’allégeance inconditionnelle, et la volonté, très partagée, de sanctuariser - en le rendant spécial -un chiffre aussi important et menaçant. Il y a trente ans, tout le monde comptait en tonnes. Voir aussi les “pieds” dans les avions et les “gallons” dans les outres à Whisky. Les USA sont cités à plusieurs reprises parce qu’ils sont un lieu géographique des tensions stratégiques et des imaginaires qui accompagnent et fondent la CCR. Ils sont aussi très bien pourvus en religions fossilisées ou réinventées. Ceci précisé l’antiaméricanisme ou toute autre abhoration de l’Autre est une niairerie.
[13] Le thème de la “mort des idéologies” avec référence alternative à la science ou à la sagesse des sociétés civile et des individus-consommateurs, est aussi pathétique que répétitif. Le côté catéchistique de certaines idéologies (affrontement de guerre froide, régimes de parti unique) les spécialisent mais ne les rend pas nécessairement plus puissantes ou plus dangereuses (pour qui et quoi?) que ce qui se déploie actuellement en CCR. L’idéologie c’est l’affirmation de ce qui constitue un savoir au dessus des savoirs parce que tous y souscrivent même et surtout quand ils n’y croient pas. Dans une donne des sociétés où la maîtrise des flots médiatiques, le quadrillage minutieux des paroles par des spécialistes (dont la CIA qui “authentifie” régulièrement sans faire rire ni persifler personne, les discours de O. Ben Laden), le chantage et la peur, et les nombreuses inflexions de sacré ou de supérieur développée par la CCR occupent presque tout le champ, il est difficile ou plutôt grotesque de parler de recul de l’idéologie. Les acteurs de la parole publique sont moins nombreux et libres que jamais. Les consommateurs sont d’abord animés par la peur qui ouvre la porte à des conditionnements de tous ordres. La société civile est une rhétorique protestante. Quant à la supériorité d’un langage scientifique, vieille lune marxiste et positiviste, c’est une monstruosité qui revient périodiquement pour connaitre le ridicule, les prédictions et les certitudes étant faites pour crever, au profit de la transcendance de l’ordre CCR ou sans raison particulière, comme c’est toujours arrivé.
[14] Rappelons que ce n’est pas un être ou une entité animée mais un rapport entre humains et entre les humains et leurs milieux, qui n’est invoqué de manière globale qu’afin de réduire la taille des explications!
[15] Courants de l’hindouisme brahmanique et abrahmanique, développés depuis 1500 ans à partir de réalités plus anciennes.
[16] Ce dernier n’étant nullement une expression purement moderne ou rationnelle de l’identité et de l’organisation (cela n’existe pas) mais au contraire un hybride où se cotoient de très nombreux éléments.
[17] La dimension divine n’est pas inexistante mais elle est minorisée comme dans certain hindouisme où le dieu est relatif, négociable, constamment refabriqué, sanctuarisé et dégradé selon les circonstances. Une proposition comme Dieux(x) créa le cadre supérieur à son image, lui donna un attaché case et le licencia, est parfaitement représentative de cet univers ‘divin’ de CCR quoique une inversion de la première partie de la proposition (le cadre supérieur créa dieu à son image) soit aussi acceptable, dans ce champ fluctuant. Une pratique parabouddhique qui refuse d’envisager l’image et la notion du dieu est aussi repérable à côté d’hyper abstractisation du principe divin qui rappellent l’islam et le protestantisme. Elle ne sont pas inférieures ou hors-champ. Ce n’est pas un grand enjeu que ce niveau du religieux et chacun peut se livrer à des jeux interprétatifs, dans la mesure où il lui reste du temps et un cerveau. Ce n’est pas un tabou.
[18] Les destructions de sites archéohistoriques, de métiers, de relations sociales, de milieux, de savoirs, de manières de dire et de faire, de systèmes d’adaptation à l’agression moderniste, d’hybrides plus ou moins viables sont beaucoup plus durement menée, avec une surcharge idéologique plus forte et des violences de tous ordres, en Chine, en Inde ou en Afrique qu’en France ou au Canada. Des régions entière d’Afrique n’ont plus de fonctions publiques, de systèmes d’enseignement, voire d’Etats, leurs monuments religieux étant en vente sur les marchés aux puces ou dans les foires aux enchères des pays riches.
[19] Genre P. Bruckner dont nous avons pu apprécier une certain mépris, matiné de peur et de haine quand il écrit sur l’Inde contemporaine, que nous connaissons un peu. Nous n’avons pas qualité pour parler de philosophie dans beaucoup d’autres champs.
[20] Relative, voir la consommation de chien, de cheval ou de serpent, certainement pas mauvais en matelotte ou en hachis, pour ceux qui apprécient les viandes. Les pratiques alimentaires de CCR sont fortement viandeuses, en référence aux cultes de la force et aux pratiques des sociétés pionnières mais une version végétarienne suscitée par une inflexion scientiste ou par des soucis d’environnement n’est nullement impossible. L’ensemble est très adaptable. A côté des tabous alimentaires, il existe des matières ou des activités immondes. Suer et travailler de ses mains tend à être caché.
[21] Voir les notions de chute et de rachat dans le nationalisme hindou contemporain, les obsessions de certains islamistes mêlant l’annonce de la chute ou l’apocalypse et le sentiment d’être assiégés par le péché, etc, ...
[22] Depuis une soixantaine d’années, des activités comme l’expédition de courrier (enveloppé dans du plastique), la construction de maisons, le nettoyage et le lavage, la production alimentaire, la préparation de repas, la médecine et les soins de base, les loisirs (liste sans fin), ont rejoint la production industrielle, les transports, l’urbanisme et l’armement qui étaient déjà organisés par le taylorisme et ses suites sur le modèle de la guerre (assez normal pour l’armement) et produisaient une grande quantité de rejets toxiques. Il est difficile de trouver des activités qui échappent à ces matrices. La vision d’une réalité où tout se vende, circule et détruise un lien ou un milieu au passage est indépassable en CCR. Voir les analyses pertinentes sur L’horreur économique (V. Forrester (1996) Paris: Fayard)
[23] En fait l’auteur est seul et son usage du nous de majesté est parfaitement tarte. Sa rencontre avec l’animal fut une belle expression de dualité sacré-profane ou croissant-indifférent. Il convient de s’en rendre compte.
[24] “Ceci est le seigneur. Le seigneur de nos croisssances, celui dont l’énergie  fait avancer notre char, celui qui à chaque retour de l’aurore nourricière nous fait monter un peu plus haut” (Herbert, J. 1980) La mythologie hindoue, son message, Paris: Albin Michel. C’est assez fascinant. On croirait entendre un bateleur s’égosiller sur une envolée du CAC 40 ou une variation des cours du pétrole, puisque le ‘char’ est en cause, sinon que le bateleur contemporain a peut-être moins de recul vis-à-vis de sa mouture de sacré que le compilateur de mythes hindous.
[25] Les rêves et les cauchemars d’empire sont récurrents. Cet ensemble a pour matrice récente les constructions impériales coloniales déjà mondialisées.
[26] Superbe chronique auto dans le journal régional de Toulouse le 11 -03-05 au moment où nous écrivons. Ces éléments de culte sont quotidiens et omniprésents. La métareligion part des objets ordinaires mais ils ne sont plus depuis longtemps ordinaires. Ils classent, ordonnent, élèvent détruisent.
[27] L’usage de métaphores empruntées aux sciences de la matière est tentant en matière de mise en scène de milieux sociaux écrasés de puissance mais il ne veut pas dire que les ensembles humains peuvent être assimilées à des matières et du courant électrique. Est-ce clair?
[28] Lire Todd, E. (1982) La troisième planète, Paris: Seuil.
[29] Certes, avoir le plus grand ‘truc’ rapporte à des catégories libidineuses masculines connues et l’on se rappellera avec profit les obsessions françaises à propos de paquebots, de tours, de ponts et d’énormes avions. C’est plus ancien que la CCR. Presque tout ce qui la compose est ancien. C’est devenu aujourd’hui nettement plus fort et autonome. Le culte c’est l’objet.
[30] L’opposition Nord-Sud est pauvre et réductrice. Elle ne sert qu’à raccourcir des propos.
[31] USA où la grande stabilité des groupes sociaux et des conditions est démontrée depuis des décennies et ne se voit pas remise en cause ce pour quoi cette région du monde reste viable en étant si dure.
[32] Fascisme et Communisme ont eu des rapports difficiles, de proximité et d’évitement, avec les religions et ensembles socio-religieux  installées sur leurs territoires. C’est la territorialisation accentuée de ces régimes qui les a, probablement fait perdre face à la donne actuelle de CCR, qui se voulait déjà, mondiale. Le communisme était internationaliste en théorie et le nazisme par impréialisme mais croire aux masses et à la force les a fragilisés. Ils l’ont cependant défiée, lui ont temprunté et l’on annoncé. CCR n’est pas responsable de la démocratie. Cette dernière est un legs des nationalismes et des communautés autant que de l’humanisme et des rapports sociaux en Europe. Le capitalisme tend à juste la tolérer ou à la sortir du champ, malgré ses potentialités marchandes  (voir les situations du Sud, en Chine et Inde par exemple). Tout porte à croire que le maintien des perspective actuelles, dans un contexte de désordre et de crise écologique réelle (pas un fantasme boursier) mettrait rapidement en cause les tentatives, sympathiques ou moins sympathiques, de faire participer les gens à leur croissance, crise, réforme.
[33] Hyperdramatisation et termes euphémisants, tendances qui sont liées et s’entretiennent l’une l’autre, sont à relier à la puissance du champ de CCR, surtout à la dipolarité de l’ensemble crise croissance et de son surcroît de puissance. Il existe bien entendu d’autres perspectives de compréhension de ce phénomène irritant.
[34] Ou post modernité, ces nuances sont sans intérêt. La croyance au moderne est un antécédant historicisé des ensembles CCR.
[36] Le jour d’après” où le responsable de la production place dans les bouches d’un président US (dramaturge, hiérarque et prêtre un peu déchu, au moins brusqué) une phrase qui insiste sur “la capacité destructive de la nature”. Les concepteurs de l’oeuvre ont fait par ailleurs d’un 4x4 (cause factuelle évidente du réchauffement climatique réel ou de la glaciation de cinéma) le héros, imputrescible américain et CCR, d’une des scènes d’un film qui réhabilite aussi les familles que l’on dissout par ailleurs. Monument ambigu, film médiocre, pièce de liturgie d’importance. Il met très bien en scène l’incapacité à se distancier de la marchandise fétichisée et la propension, propre au capitalisme (et à certain hindouisme), à avaler et digérer les contradictions et les contradicteurs.
[37] La langue anglaise qui confond (il nous semble) puissance et pouvoir se révèle une bonne matrice pour les grands discours CCR. Elle facilite à ce propos l’expression d’une ambiguïté fondatrice. Ce n’est pas le cas en français, dans les autres langues latines, en hindi ou encore en arabe mais partout les contenus de l’anglais s’impose. Dans ce domaine le commentateur rencontre vite ses limites. Cette contribution n’est par ailleurs nullement un projet érudit.
[38] A distinguer évidemment des anarchismes. La pensée et les pulsions anarchistes, qui restent après la décrépitudes de mouvements populaires abhorrés par les poseurs de champ, sont remarquablement intégrées dans la dynamique CCR au chapitre de la négation des appareils par les développeurs de puissance folle, une inflexion de l’ensemble. Ces remugles peuvent servir aussi à relativiser des croyances et des pratiques religieuses gênantes pour la “croissance de la croissance”.
[39] En France la laïcité est une soeur jumelle de la colonisation. Elle est adossée au missionarisme chrétien beaucoup plus qu’elle ne s’y oppose. C’est enfin une initiative de notables et de précurseurs de nos actuels cadres, la franc maçonnerie constituant un cas remarquable de religion sans dieu (en France). Sa cause mobilise des gens très variés parce qu’elle rejoint des notions d’âge d’or et parce qu’elle symbolise un équilibre entre des systèmes d’identification et de valorisation. La situation récente de remise en cause de principes laïcs par de jeunes musulmans est par ailleurs une conséquence directe de la colonisation.
[40] Voir le français M. Gauchet dont c’est l’un des propos principaux.


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